EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au cours des dix dernières années, des recherches archivistiques ont montré quenviron 1,7 millions de tonnes de munitions en surplus sont restées abandonnées à lissue des guerres dans des dépôts, sur le front comme à larrière. Dans les périodes qui ont suivi, ces stocks n'ont cessé denfler à mesure que sy ajoutaient les projectiles obsolètes découverts sur les champs de bataille à la faveur des travaux de remise en état et aussi progressivement découverts dans des caches. La reprise des labours après les guerres ont fait remonter dautres engins que la terre ne veut digérer.

Toutes les munitions de guerre et l'essentiel des munitions de chasse contiennent des composants ou agents toxiques et/ou polluants. La toxicité des munitions tirées ou non tirées est un des problèmes qui préoccupe de plus en plus les experts en pollution environnementale. Les mémoriaux ont rassemblé de nombreux témoignages sur les séquelles de guerres mais, étonnamment, il semble que les impacts écotoxicologiques ou même sanitaires liés aux munitions tirées ou perdues aient été complètement oubliés par les historiens, comme d'ailleurs par les gestionnaires et usagers des sites concernés 1 ( * ) .

Cent ans plus tard, l'intérêt pour les liens entre la Grande Guerre et environnement peine encore à émerger et comme la écrit K.H. Lohs en 1991 : « La guerre ne sest pas terminée le jour du dernier tir. »

Tous ces objets métalliques, qu'ils datent des guerres ou résultent d'incivilités plus ou moins récentes, finissent toujours par remonter à la surface. Munitions, boîtes de soda, papier aluminium et autres métaux sont autant d'agents polluants qui risquent de finir dans la panse du bétail ou totalement broyés et dispersés par les engins agricoles. Les dommages écologiques et patrimoniaux mettent en exergue l'urgence de s'organiser pour dépolluer et assainir les sols.

Il existe pourtant une activité qui participe incontestablement à la dépollution des sols : la détection de métaux. Les propriétaires de détecteurs de métaux aussi appelés « poêles à frire » sont nombreux en France (selon les estimations ils seraient entre 100 000 et 120 000). Toutefois, dans le sens commun, les utilisateurs de détecteurs de métaux, dits détectoristes, sont qualifiés de « pilleurs » ou encore vu comme des chasseurs de trésors sans foi ni loi.

C'est pourquoi, la loi du 18 décembre 1989 a soumis à la double autorisation de l'État et du propriétaire du terrain lutilisation des détecteurs de métaux à des fins archéologiques. Concrètement, cette double autorisation est très restrictive et a pour effet d'assimiler les détectoristes à des voleurs.

Précisément, larticle L. 542-1 du Code du patrimoine énonce que « nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection dobjets métalliques, à leffet de recherches de monuments et dobjets pouvant intéresser la préhistoire, lhistoire, lart ou larchéologie, sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche ».

Lutilisation dun détecteur de métaux est donc soumise à autorisation du représentant de l'État dans la région pour toute recherche pouvant intéresser la préhistoire, lart et larchéologie. Ce faisant, « toute publicité et notices relatives aux détecteurs de métaux sans mention des interdictions légales » et « toute utilisation sans autorisation pour de la recherche archéologique » expose à une amende allant jusqu'à 1 500 €, dit la loi. La « non-déclaration » ou « fausse déclaration de découverte », peut, elle, coûter 3 750 € tandis que les recherches archéologiques non autorisées sont sanctionnées par une amende de 7 600 €. Quant aux faits de « destruction, détérioration, dégradation du patrimoine archéologique » (au sens de larticle L. 510-1 du Code du patrimoine), ils relèvent du Code pénal et exposent à des peines pouvant aller jusqu'à 7 ans de prison et 100 000€ damende, voire 10 ans et 150 000€ si les faits sont commis par plusieurs personnes « agissant en qualité dauteur ou de complices ».

Ainsi formulée, cette réglementation s'est fixée comme objectif de protéger les gisements archéologiques en postulant que la détection altère des gisements et sous-entend que les détectoristes sont par essence des pilleurs. L'interprétation de la réglementation actuelle tendrait à considérer ces 120 000 passionnés d'histoire pratiquant cette activité comme des malfrats alors qu'il n'en est rien.

L'archéologue danois Andres Dobat, du département de la culture de l'Université d'Aarhus, a publié dans le Journal Européen de lArchéologie en 2013 une étude qui dresse un tableau réaliste de lapport des détectoristes au Danemark. Il y présente le modèle libéral danois et précise que c'est grâce à celui-là même que bon nombre de célèbres trésors ont été trouvés comme celui de Staffordshire, le plus important trésor d'or anglo-saxon découvert à ce jour, par un amateur, Terry Herbert, dans un champ du Staffordshire en Angleterre. « Aucune autre méthode de prospection, depuis l'invention de la pelle, que le détecteur de métaux n'a autant contribué à accroitre la quantité de données et de sites datant de périodes riches en métaux. » affirme l'auteur. A cet égard, les chiffres officiels de la plateforme britannique dédiée à la déclaration des artefacts découverts par des détectoristes, nommée Portable Antiquities Scheme, sont parlants. En effet, en 2018 sur 1094 objets considérés comme « trésors » 1051 ont été trouvés et déclarés par des détectoristes anglais, soit plus de 90% 2 ( * ) .

Dès le début de l'archéologie des détecteurs de métaux à la fin des années 1970, le corps des archéologues et les législateurs danois ont décidé de poursuivre un modèle libéral basé sur la coopération et l'inclusion plutôt que sur la confrontation et la criminalisation. Depuis lors, la détection des métaux est devenue un passe-temps populaire pratiqué principalement par des passionnés d'histoire, comme dans de nombreux autres pays du monde (y compris ceux qui interdisent ou criminalisent la détection des métaux par des non-professionnels comme c'est le cas dans notre pays). Aujourd'hui, 50 ans plus tard, la détection des métaux par les amateurs au Danemark est non seulement généralement considérée comme un grand succès, mais elle a également eu de profondes implications pour la pratique et la recherche du patrimoine archéologique.

Cette étude alerte en parallèle sur les pratiques agricoles actuelles. En effet, toujours plus performant, le système agricole actuel altère irrémédiablement les artefacts qui remontent à la surface. De la même manière, les archéologues suédois, Monika Fjaestad, Anders G. Nord, Kate Tronner, Inga Ullèn, Agneta Lagerlöf, ont observé que les artefacts métalliques archéologiques mis au jour aujourdhui sont généralement plus corrodés que ceux trouvés il y a 50 ou 100 ans. Ils démontrent ainsi que lacidification des sols et les dégradations de lenvironnement en sont les causes majeures 3 ( * ) . Dès lors, la pratique de la détection de métaux est la seule chance de préservation qui soffre à nous.

Enfin, il est clair, qu'une grande part de cette activité se résume à de la dépollution et sa pratique a sans conteste des vertus écologiques et patrimoniales. L'objet de cette proposition de loi est donc de permettre l'activité de détection de métaux de loisir dans un objectif de dépollution des sols en créant un cadre légal au sein du Code de l'environnement. Il s'agit de passer d'un régime de contrôle et de défiance entre les acteurs à un modèle de coopération et de synergie.

L'article unique de la proposition de loi crée une nouvelle section dans le chapitre VI du titre V du livre V du Code de l'environnement intitulée « Dispositions applicables à lexercice dune activité de détection dobjets métalliques aux fins de contribuer à la dépollution des sols ». Cette section est composée de cinq articles.

Le premier crée un dispositif d'agrément pour les utilisateurs de détecteurs de métaux par le représentant de l'État dans la région. Les usagers de détecteurs de métaux, pour exercer leur loisir, s'engagent à se déclarer et à respecter diverses obligations. Il s'engagent particulièrement à déclarer toute découverte fortuite d'un monument ou d'un objet pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou larchéologie à lautorité administrative compétente en matière d'archéologie. Cette obligation permet de protéger les différents artefacts pouvant être retrouvés dans les sols. Les usagers de détecteurs de métaux s'engagent à ne pas pratiquer de manière nocturne, ni sur un site portant un intérêt archéologique notoire ou sans l'accord du propriétaire ou de l'occupant du terrain.

Le deuxième article crée un fichier informatisé comportant la liste des découvertes et leur description, leur localisation ainsi que les données personnelles des détenteurs de lagrément . Sa création est établie dans le respect des prescriptions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et celles du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016.

Le troisième article concerne le régime de la propriété des vestiges ou objets découverts par le détenteur de lagrément. Il apporte, en sus dune dérogation aux articles L. 541-4 et 541-5 du code du patrimoine, une précision de la procédure de reconnaissance dun intérêt scientifique afin dexclure toute possibilité dappropriation publique (hors le cas dun manquement à lobligation déclarative). Il précise également le régime de restitution des biens après la procédure de reconnaissance, qui pourrait alors être assortie de mesures de conservation par exemple.

Le quatrième article prévoit des sanctions en cas de non respect des obligations de l'agrément prévu à l'article L. 556-4, d'utilisation de détecteur de métaux sans agrément ou en dépit de son retrait.


* 1 Enquête sur l'héritage toxique de la Grande Guerre, Daniel Hubé, Michalon éditeur, 2 juin 2016

* 2 Site officiel du Portable Antiquities Scheme https://finds.org.uk

* 3 Monika Fjaestad, Anders G. Nord, Kate Tronner, Inga Ullèn, Agneta Lagerlöf. (1996). Environmental threats to archeological artefacts, ICOM committee for conservation, Vol II, pp. 870-875.

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