EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Résolument engagés pour la paix, les sénatrices et sénateurs communistes sont persuadés que le règlement pacifique des conflits est nécessaire. De cette conviction est née la volonté de déposer cette proposition de loi. Elle fait suite aux travaux en 2017 des Sénatrices Michelle Demessine et Christine Prunaud. Ceux-ci s'inscrivaient dans la droite ligne du rapport d'information publié en 2000 par les Députés Jean-Claude Sandrier, Christian Martin et Alain Veyret et alertant, déjà à l'époque, sur les dérives possibles des exportations d'armes. Le travail patient des Organisations Non-Gouvernementales, depuis plus de vingt ans, est aussi à souligner tant il a permis de nourrir les travaux parlementaires, dont le présent texte.

Deux décennies plus tard, les chiffres de la production et de la vente d'armes sont de nature à inquiéter, au-delà même des partisans de la paix, toutes celles et ceux attachés à la sécurité collective. Les dépenses militaires mondiales n'ont cessé d'augmenter ces dernières années, reprenant un rythme alarmant dans la dernière période. Revenues à un niveau jamais atteint depuis la fin de la Guerre froide, elles entraînent dans leur sillage l'augmentation continue des ventes d'armes.

Selon les estimations du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) le commerce des armes, qui représentait 87 milliards de dollars en 2011, a atteint 112 milliards de dollars en 2020. Parmi la soixantaine d'États exportateurs, les États-Unis, la Russie, la France, la Chine et l'Allemagne sont les cinq plus gros fournisseurs au monde, avec 77% du total des exportations de 2017 à 2021. À noter, une véritable explosion des exportations françaises sur toute la période 2012-2021, avec pas moins de 59% d'augmentation. Du côté des principaux importateurs, cinq États figurent au premier plan : l'Inde, l'Arabie Saoudite, la Chine, l'Égypte et l'Australie avec 38% du total des importations de 2017 à 2021.

Cette situation risque de s'aggraver encore. Précipitant les tendances à l'oeuvre, la guerre en Ukraine, l'extension de l'OTAN et la tendance plus générale au réarmement ont fait basculer l'Europe dans un nouveau paradigme. Le vote par le Parlement allemand de dépenses militaires de 100 milliards d'euros suffit, à lui seul, à décrire l'ampleur de la nouvelle course aux armements qui s'amorce sur le Vieux continent. Cette escalade est d'autant plus inquiétante que d'autres dangereux théâtres de confrontation se font jour dans le monde, à l'instar de la zone indopacifique.

S'ils pointent les dangers du surarmement planétaire, les auteurs de cette proposition de loi affirment d'emblée leur reconnaissance du droit des États à user de la légitime défense pour protéger leur intégrité territoriale conformément au droit international, notamment l'article 51 de la Charte des Nations Unies. Cette dernière établit également, en toutes circonstances, le recours privilégié à la diplomatie et à la résolution pacifique des différends. Par sa résolution adoptée en 1999, l'ONU affirme également la construction d'une culture de la paix comme une priorité pour assurer la sécurité mondiale.

En revanche il s'agit ici de refuser de considérer l'industrie de l'armement comme un simple pan de la stratégie commerciale de la France, une variable d'ajustement de la balance commerciale du pays ou un instrument de puissance au service de logiques de domination. C'est pourtant principalement sous ces aspects qu'il est envisagé ; en témoignent à la fois l'explosion des chiffres de la vente d'armes par la France (quasiment du simple au triple en l'espace de dix ans) et les destinations de contrats d'armement.

Il s'agit également de refuser de maintenir le secteur des ventes d'armes hors du contrôle démocratique du Parlement, au moment où ce secteur s'affirme comme un des instruments de la stratégie géopolitique française dans un contexte de réarmement.

Les ventes d'armes irresponsables font peser de lourdes menaces sur les droits humains et la stabilité du monde. Le nombre d'armes en circulation légalement ou illégalement (détournées après un passage automatique par le marché licite) est en constante augmentation. Ces armes alimentent escalades guerrières, coups d'État, réseaux criminels et terroristes. Et à l'heure où les États peinent à atteindre les ambitieux objectifs de l'Accord de Paris, il est impossible de passer sous silence l'impact climatique désastreux de la production et de l'utilisation des armements. À titre d'exemple en 2017, un rapport de la Brown University évaluait les émissions CO 2 de l'armée américaine à 59 millions de tonnes, soit plus que celles du Portugal ou de la Suède sur un an. Là encore il convient de rappeler la Charte des Nations Unies, qui dans son article 26 affirme l'objectif de ne détourner « vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde ».

Renforcement et réforme de l'Organisation des Nations Unies, démantèlement total et multilatéral des arsenaux nucléaires, réduction du nombre d'armes en circulation, reconversion des industries d'armements... Les pistes pour avancer vers un monde en paix sont nombreuses. Sans attendre, les auteurs de cette proposition de loi se proposent d'avancer sur un volet central : le contrôle de la vente d'armes et de matériels d'armement.

Cette proposition de loi s'appuie pour ce faire sur trois leviers. Le premier c'est le renforcement de la transparence, au travers du rapport annuel publié par le Gouvernement. Le second, c'est le renforcement du rôle du Parlement, avec l'objectif que les parlementaires puissent prendre leurs responsabilités en bloquant certaines ventes lorsque la situation l'exige. Enfin le troisième, c'est la transcription dans la législation française d'un texte international sur le respect des embargos.

I. LA FRANCE, ACTRICE MAJEURE DE LA VENTE D'ARMES DANS LE MONDE

1) Des ventes françaises massives et en expansion

Troisième exportatrice mondiale après les États-Unis et la Russie, la France est devenue une toute première puissance en matière de commerce des armes et des armements. Depuis 2016 et la loi de programmation militaire pour la période 2019-2025, la progression des exportations est devenue constante. Au total de 2015 à 2019, les ventes de la France ont bondi de 72% par rapport à 2010-2014. En 2021 un seuil historique est franchi en raison notamment des contrats de vente de Rafale, avec 28 milliards d'euros d'exportations. Le précédent record datait de 2015, lorsque 16,9 milliards d'euros de vente d'armes avaient été déclarés.

Ce développement des exportations françaises tient à trois éléments majeurs :

- une politique plus libérale que ses concurrents en matière de transferts de compétences

- des exportations appuyées sur les coopérations militaires historiques (Égypte, Émirats Arabes Unis, Chine...)

- un matériel arrivé à « maturité » avec reconnaissance de son efficacité sur les terrains opérationnels, du fait de la multiplication des opérations extérieures auxquelles participe la France. Cela pose la question du sur-déploiement des forces françaises à l'étranger.

Cette recherche française de nouveaux contrats d'exportation d'armements a été explicitée dans le rapport annexé à la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale. Il y est écrit que « la France fait le choix de considérer que l'industrie de défense est une composante essentielle de son autonomie stratégique. Elle est aussi un facteur de compétitivité pour l'ensemble de l'économie. Elle joue un rôle majeur pour l'emploi industriel. Elle fonde aussi l'expression d'une ambition à la fois politique, diplomatique et économique ».

2) Des problèmes croissants liés aux ventes d'armes de la France

La vente d'armes est donc favorisée tous azimuts par la France. Pourtant la question, décisive, des destinataires finaux des exportations devrait imposer la plus grande prudence. Ces dernières années, de nombreux scandales liés à la politique d'exportation française ont émaillé l'actualité.

Ainsi les rapports au Parlement sur les exportations d'armes de la France font état de prises de commande et de livraisons de matériel avec plusieurs États ayant été ou étant sous le coup d'embargos de l'Union européenne, de l'Organisation des Nations Unies ou encore de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). En parallèle on trouve aussi des traces de livraisons d'armes françaises en Libye entre 2007 et 2013 ; en Israël durant l'opération Plomb Durci à Gaza où 1 300 Palestiniens, principalement des civils, sont morts ; au Pakistan et en Inde pour un total de 500 millions d'euros en 2015, ce alors que les deux pays se disputent le Cachemire depuis 1947 ; ou encore en Azerbaïdjan, (190 millions en 2019) soupçonné de crimes de guerre dans le Haut Karabagh ; et évidemment aux Émirats Arabes Unis, impliqués depuis 2014 dans la sanglante guerre du Yémen qui a occasionné 377 000 morts directes et indirectes selon l'ONU, en écrasante majorité civiles.

Concernant les biens à double usage, on peut citer la vente depuis 2007 du système automatisé d'écoute, de surveillance et d'interception Eagle, conçu par l'entreprise française Amesys, à des États comme la Libye (contrat « Candy »), le Qatar (contrat « Finger »), l'Arabie saoudite (contrat « Kinder »), le Kazakhstan (contrat « Miko ») ou encore le Maroc (contrat « PopCorn »). Ces contrats interrogent fortement au vu des accusations récurrentes d'atteinte aux droits humains de la part de ces États. Le caractère dual de la technologie conçue par Amesys avait permis aux gouvernements concernés de ne pas retranscrire l'information de ces ventes dans le rapport annuel présenté aux parlementaires sur la politique d'exportation d'armements. Le gouvernement français avait pourtant toute latitude pour bloquer ces ventes, pour lesquelles des licences d'exportation sont toujours délivrées aujourd'hui.

Dans un monde toujours plus connecté, où grandissent les aspirations à la transparence et au contrôle démocratique il est illusoire de penser possible de maintenir le grand écart entre les valeurs et principes promus par la République française et la réalité des conséquences dans le monde de sa politique étrangère. De fait depuis fin 2021, en moins d'une année donc, la France a été épinglée à pas moins de trois reprises pour ses contrats d'armement et de matériels militaires.

En novembre 2021, le site d'information Disclose publie des informations classées « confidentiel-défense » au sujet de l'opération « Sirli » impliquant le renseignement français en Égypte. Les dispositifs de renseignement français auraient été utilisés pour le repérage et la mise à mort d'opposants au régime. Cela fait suite, notamment, à l'utilisation par l'Égypte de véhicules blindés et munitions vendus par la France, officiellement destinées au ministère de la Défense, mais en réalité mobilisés lors de la sanglante répression des manifestations de 2013.

En avril 2022, au coeur de la guerre d'Ukraine, nouveau scandale : la Russie de Vladimir Poutine utiliserait du matériel français dans ses opérations militaires sur le sol ukrainien. En particulier, une caméra thermique fabriquée par Thales aurait été retrouvée sur un blindé russe près de la ville de Boutcha, où des opérations de l'armée russe sont visées par des accusations de crimes de guerre. Quelques semaines plus tôt, Disclose publiait de nouvelles informations selon lesquelles la France aurait « délivré au moins 76 licences d'exportation de matériel de guerre à la Russie depuis 2015 » en vertu de contrats antérieurs à 2014 et l'annexion de la Crimée.

Dernière actualité en date, en juin 2022 plusieurs ONG annoncent le dépôt d'une plainte pour complicité de crimes de guerre contre trois entreprises françaises (Thalès, Dassault et MBDA). En cause, la guerre au Yémen dans laquelle notamment l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis utilisent de nombreux matériels produits en France. De nombreuses alertes et actions juridiques avaient été effectuées par les ONG depuis le déclenchement du conflit, notamment avec la saisine du tribunal administratif de Paris en 2018 par ASER, rejoint par l'ACAT, MDM et Salam4Yemen ; une procédure pour laquelle le 12 novembre 2021, le Conseil d'État a clôt l'instruction pour la première fois sous la V ème République.

Mis bout à bout, tous ces épisodes ont affaibli la voix de la France sur la scène internationale et contribuent à miner sa crédibilité. Les parlementaires sont systématiquement mis devant le fait accompli et sommés de défendre les conséquences de décisions stratégiques lourdes auxquelles ils n'ont pas été associés, et bien souvent, dont ils n'ont même pas débattu. En ce sens, le renforcement du contrôle démocratique des exportations françaises apparaît comme prioritaire.

Au-delà de ces « affaires », l'utilisation massive dans les guerres d'aujourd'hui d'armes explosives de plus en plus puissantes en zones peuplées a des conséquences désastreuses. L'ONU s'est saisie de ces enjeux. Un État vendeur d'armes comme la France ne peut pas ne pas se sentir interpellé par la dissémination d'armes de plus en plus sophistiquées, à laquelle il participe pleinement.

3) Des bénéfices économiques pour la Nation discutables

Ces dernières années dans le débat public, les lourds problèmes liés aux droits humains et aux garanties en termes d'usage des armements vendus par la France ont été évacués, autour de l'idée que la « realpolitik » nous imposerait de poursuivre la fuite en avant. Selon les défenseurs du modèle actuel, la vente massive et généralisée d'armes permettrait à la France de maintenir ses capacités industrielles et d'innovation, et ainsi de défendre sa souveraineté en matière de défense.

L'industrie de l'armement française compte environ 115 000 salariés, soit 3,7% de l'emploi industriel du pays. Le ministère de la Défense communique quant à lui sur 200 000 emplois directs et indirects par le réseau des grands groupes comme Naval Group, STX, Dassault ou Thalès. Des chiffres contestés par certains experts, tant les frontières entre civil et militaire peuvent être floues à l'image du secteur de l'aéronautique.

Ce secteur contribue à limiter le déficit structurel de la balance commerciale française. De fait, l'industrie d'armement est devenue un des principaux leviers des exportations françaises, le montant des contrats signés pouvant rapidement monter très haut et ces derniers s'inscrivant généralement dans des coopérations larges et durables. Ainsi les entreprises exportatrices d'armement représentaient sur la période 2010-2013 1% des entreprises françaises d'export, quand leurs réalisations à l'international pesaient pour 24% du total des exportations. La loi de programmation militaire couvrant la période 2019-2025 a maintenu cet axe stratégique par le biais de simplification des dépôts de brevet pour l'armement, et en menant un plan de recrutement de 400 personnes au sein de l'opérateur SOUTEX. Les industriels de la défense ne sont pas en reste, l'exportation étant devenue la priorité commerciale de ces entreprises. Ainsi, Naval Group ambitionnait de tirer plus de la moitié de ses revenus de l'exportation.

Pour autant même du point de vue des promoteurs de cette orientation, les résultats économiques concrets laissent à désirer. On peut s'étonner de la volatilité du nombre d'emplois dans un secteur très soutenu par la puissance publique et dont les grandes entreprises réalisent des profits records. On peut également mettre en cause le modèle économique profondément inégalitaire du secteur. Ainsi concernant les Rafale, l'économiste Claude Serfati a montré comment la hausse des ventes de 2011 à 2019 a conduit à une augmentation des dividendes de 146%, contre des augmentations de salaires de 11%.

Il peut aussi apparaître hasardeux de parier tout le développement industriel français sur l'étranger, et d'associer à ce point l'emploi industriel français aux exportations. L'annulation récente du « contrat du siècle » par l'Australie est révélatrice de l'instabilité grandissante de cette stratégie. S'appuyer de manière si importante sur cette industrie n'est ni responsable ni viable dans un moment où les tensions internationales s'accroissent et où les alliances nouées il y a plusieurs décennies se fragilisent.

Au-delà, le pouvoir exécutif semble s'être enfermé dans une politique d'acceptation très permissive des transferts technologiques liés aux contrats d'exportation, conduisant la France à former elle-même ses concurrents sur le marché de l'armement et donc à hypothéquer à brève échéance l'avenir des ouvriers travaillant actuellement en France.

Par ailleurs, flécher un tiers de la production française vers les exportations est difficilement compréhensible, au moment même où les forces armées nationales pâtissent de graves manques en matière d'équipements. De nombreux experts comme des parlementaires ont notamment pointé les faibles stocks de munitions. Quand bien même cela dépasse le champ de cette proposition de loi, ses auteurs estiment nécessaire de réorienter l'ensemble de la stratégie de défense française, pour la centrer sur un modèle d'armée de défense du territoire correctement dotée et en capacité de mener ses missions dans une totale indépendance opérationnelle.

Enfin, la nature même des matériels concernés fait de l'armement une industrie spécifique et pose la question de sa maîtrise démocratique nationale. Dans ce cadre, on ne peut que condamner le désengagement progressif de l'État au sein des grands groupes français industriels dès les années 2000, à l'instar de l'aéronautique (fusion Aerospatiale/Matra en 1998) ou de Naval Group devenu entreprise anonyme de droit privé en 2003 malgré un État seul détenteur jusqu'à l'entrée au capital de Thalès en 2007. Ce dernier avait d'ailleurs connu la même dynamique avec une privatisation en 1998. De même, 75 % du capital de Safran est considéré comme « flottant » et donc soumis aux aléas du marché. Dassault avait aussi vu ses derniers capitaux publics être transférés le 14 mai 1998 au profit du groupe Dassault et d'EADS. Plus récemment, la privatisation en 2015 de Nexter (anciennement GIAT Industries) et son rapprochement avec l'allemand KMW a suscité le débat sur la capacité de la France à assurer son indépendance concernant la défense terrestre.

La maîtrise publique acquiert un caractère d'autant plus sensible avec l'évolution des terrains sur lesquels se portent les conflits. Ainsi à l'heure où la maîtrise des données acquiert un caractère essentiel pour obtenir la supériorité dans un conflit, la domination dans les partenariats de défense de grands groupes américains comme Google ou Palantir pose question.

II. UN CONTRÔLE TROP PEU DEMOCRATIQUE DES EXPORTATIONS : LA FRANCE, UNE EXCEPTION DANS LE MONDE OCCIDENTAL

1) Des engagements internationaux peu respectés par la France

Comme évoquée ci-avant, la Charte des Nations Unies affirme deux principes fondamentaux, le devoir de la recherche de paix entre les États et le droit de ces derniers à se protéger. Ainsi l'ONU fixe d'une part des objectifs de limitation et de contrôle des armements, et d'autre part met en place des mandats en matière d'interventions armées.

Si le nombre d'armes en circulation a drastiquement augmenté depuis plus de quinze ans maintenant, la communauté internationale s'est aussi progressivement dotée d'un certain nombre de traités impliquant la France et visant la régulation du commerce des armes. Ces textes ne sont pas contraignants et s'appuient sur le principe de l'autorégulation par les États de leur propre production et commerce. C'est pourquoi le législateur ne peut que regretter le décalage entre nos engagements internationaux, engageant la parole de la France, et la réalité de sa politique d'exportation.

Ainsi la France est signataire de conventions interdisant ou limitant fortement : les armes classiques produisant des effets traumatiques excessifs ou frappant sans discrimination (depuis 1981) ; les armes bactériologiques, biologiques ou à toxines (depuis 1984) ; les armes chimiques (depuis 1995) ; les mines anti-personnelles (depuis 1997) ; et les armes à sous-munitions (depuis 2009).

À ces traités internationaux visant à interdire ou fortement limiter des types précis d'armes s'ajoutent un certain nombre de régimes multilatéraux concernant les exportations. Outre les embargos spécifiques basés sur des décisions communes de l'Union Européenne, des résolutions des Nations Unies ou des décisions de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), la France est aujourd'hui partie prenante, et souvent à l'initiative, de régimes multilatéraux de contrôles des exportations. Ces groupes informels ont pour mission de renforcer la coopération entre États en vue d'élaborer des régimes harmonisés de contrôle des exportations d'armes, qu'elles soient classiques ou d'autres natures (notamment nucléaires ou chimiques).

Au plan communautaire, les exportations sont encadrées depuis le règlement CE n°3381/94 du Conseil de l'Union Européenne du 19 décembre 1994 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations de biens à double usage. Ce dispositif, régulièrement réactualisé pour mettre à jour la liste des biens soumis à un contrôle à l'exportation, prévoit la mise en place de règles communes en matière de matériel pouvant avoir des finalités civiles et/ou militaires. Ce type de matériel doit être soumis, tout comme les armes classiques, à une autorisation d'exportation délivrée par les autorités compétentes de l'État exportateur. Par ailleurs, les entreprises sont tenues de constituer un registre relayant les biens exportés et transférés.

Suite à la guerre irako-iranienne où les pays européens avaient fourni les deux belligérants, les dispositifs européens se sont renforcés. Le Code de conduite de l'Union Européenne de 1998 est devenu contraignant en 2008, par le biais d'une Position commune sur les exportations d'armement. Il comprend huit critères que les États acheteurs doivent respecter pour se voir vendre des armes par un État européen, dont le respect des droits humains, l'objectif de préservation de la paix et de la sécurité, l'absence de conséquences négatives de la vente pour les États membres de l'UE ou leurs alliés, ou encore l'absence de risque de détournement du matériel.

On peut également citer le traité sur le commerce des armes (TCA) de 2013 dont la France a été un des pays initiateurs. Ce texte est devenu la référence internationale en matière de contrôle du commerce licite et illicite des armements et met en place des normes très ambitieuses. Il s'agit donc d'un véritable point d'appui pour le contrôle du secteur. Ratifié par 110 États (donc 3 membres du Conseil de sécurité de l'ONU) et signé par 30 autres, il instaure un régime de contrôle national et de réglementation de l'exportation des armes, des registres de suivi des armes, et d'autre part rappelle l'obligation de respecter les embargos sur les armes ou de bloquer toute transaction dont le destinataire est fortement soupçonné de participer au commerce illicite ou d'en faire un usage présentant un risque pour les Droits de l'Homme. Une simple présomption d'utilisation criminelle permet le blocage de la transaction. Le texte laisse aux États le soin de transposer ses dispositions en vue d'une pleine effectivité.

La France a certes adapté au fil des années son arsenal législatif et ses procédures de contrôle aux obligations internationales. Toutefois, ces dernières sont sujettes à des interprétations plus ou moins souples. De fait à la lumière des critères communautaires et de nos engagements internationaux, combien des contrats passés actuellement par la France apparaissent satisfaisants ? La vente de matériel militaire vers des pays frappés d'embargos ou qui sont le théâtre de graves violations des droits humains ou du droit international humanitaire et vers des zones de conflits armés (avec parfois des livraisons à tous les belligérants) sont hautement problématiques, d'autant plus en l'absence de toute boussole principielle claire permettant à l'exécutif et au Parlement de déterminer à quels États il est justifié de vendre.

2) L'insuffisance des dispositifs de contrôle en France

Dans le cadre de notre droit national, la régulation du commerce des armes est prévue par le code de la Défense. Ses articles L. 2331-1 à L. 2339-19 et R. 2335-1 à R. 2335-46 établissent un certain nombre de règles : autorisation préalable avant l'installation des entreprises de fabrication et commerce de matériels de guerre ; contrôle des entreprises, sur place et sur pièces, par des commissaires du Gouvernement ; tenue d'un registre des exportations ; autorisations préalables pour la vente ou le transfert d'armes.

Les autorisations préalables peuvent prendre trois formes différentes :

- Les licences générales d'exportation, ne nécessitant pas de demander au préalable des licences individuelles par opération (prospection, négociation). Ces licences ne passent pas devant la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre.

- Les licences globales d'exportation, en direction d'un destinataire identifié, sans limitation de quantité ni de montant, en une ou plusieurs fois.

- Les licences individuelles d'exportation, en direction d'un destinataire identifié, en une ou plusieurs livraisons limitées.

Pour appliquer ces dispositions et contrôler les exportations de la France, la Commission Interministérielle pour l'Étude des Exportations de Matériels de Guerre (CIEEMG) occupe un rôle central. Placée auprès du Premier Ministre, elle examine les demandes d'agrément préalables à l'exportation de matériels de guerre.

Autre actrice centrale, la Direction Générale pour l'Armement (DGA) est en charge de l'étude préliminaire des demandes d'exportation de la part des industriels. Elle détermine si le matériel concerné relève de la catégorie « matériel de guerre ou assimilé », et donc si les demandes doivent être transmises à la CIEEMG.

Par ailleurs, le comité de contrôle a posteriori des exportations de matériels de guerre (CMCAP), composé à une très grande majorité d'agents de la DGA, est en charge de contrôler sur pièces et sur place les opérations d'exportation et de transfert qu'il juge sensibles. Lorsque le comité constate un risque d'infraction, il peut prendre différentes mesures, de la simple demande d'explications supplémentaires à la dénonciation de faits au Procureur de la République, en passant par le rappel à la loi et la suspension temporaire ou définitive de licences.

Si toutes ces dispositions législatives et réglementaires semblent juridiquement en cohérence avec le Traité sur le commerce des armes et l'ensemble des traités internationaux, leur portée semble insuffisante pour permettre en pratique un contrôle suffisamment contraignant sur la production et la vente de matériel militaire. Il semble d'ailleurs contradictoire que la France, actrice diplomatique majeure, soit en même temps la troisième puissance exportatrice de matériel de guerre et ne fasse pas partie des États ayant une législation suffisamment stricte en matière de contrôle de la production et de la vente d'armes.

Par ailleurs, on ne peut que s'interroger sur le manque de prise en compte des organisations de salariés au sein des groupes industriels, l'émergence de contrats dits fragmentés permettant aux entreprises d'échapper aux contrôles en conseil d'administration. L'intervention des représentants des salariés pourrait pourtant constituer un « contre-pouvoir » interne utile et nécessaire pour prévenir les abus.

En fait, les dispositifs de contrôle mentionnés ci-avant sont intégralement assurés par le pouvoir exécutif, échappant donc très largement à la transparence et au débat contradictoire propres à l'activité du pouvoir législatif. Certes le décret n°2021-885 du 2 juillet 2021 marque une avancée non négligeable, en prévoyant la présentation du rapport annuel devant le Parlement. Mais plus qu'une présentation, c'est bien un débat qui devrait s'engager sur une stratégie française industrielle structurante en matière de Défense, ainsi que sur les moyens d'un contrôle parlementaire approfondi en la matière. De plus certaines données capitales manquent comme le nombre de refus et les motifs de ces refus de délivrance de licences, ainsi que les destinataires finaux des matériels. Ces absences empêchent tout débat réellement instruit, en séance publique ou en commission.

Les assemblées sont aussi confrontés de manière croissante à l'empêchement d'accès aux informations au motif de données sensibles, tous les parlementaires ne bénéficiant pas des habilitations « Confidentiel Défense » ou « Secret Défense ». Cela pose de sérieuses questions démocratiques. L'enjeu du commerce des armes dépasse largement la question des données sensibles traitées et touche bien à une stratégie commerciale de la France. Comme le soulignaient déjà en 2000 les députés Jean-Claude SANDRIER, Christian MARTIN et Alain VEYRET (« rapport d'information n° 2334 sur le contrôle des exportations d'armement »), « la transparence est désormais considérée comme la preuve d'une politique loyale et assumée, et l'opacité comme l'indice d'une politique d'exportation aux mobiles plus lucratifs que politiques ».

Plus récemment, le rapport d'information rédigé par Jacques MAIRE et Michèle TABAROT, s'il estimait que le contrôle par l'État des exportations est suffisant et « robuste », ne manquait pas de noter un décalage de plus en plus profond entre la politique française d'exportations et son acceptation par les citoyens et citoyennes. Le rapport pointait, par ailleurs, une judiciarisation des exportations avec une multiplication des contentieux administratifs partout en Europe, en s'appuyant sur la Position commune de l'Union européenne et le Traité sur le commerce des armes. Le rapport recommandait de mettre en oeuvre un contrôle administratif renforcé des armes de petit calibre et des véhicules blindés légers plus sujets à détournement, mais aussi de la destination finale des armements vendus. En parallèle et dans une optique de renforcement de l'information parlementaire, il était proposé de créer une liste des biens à double usage complémentaires des listes internationales et européennes, ainsi que de réorienter le périmètre du secret de la défense nationale.

Toutes ces pistes de réflexion, si elles méritent un débat parlementaire et public approfondi, constituent autant de premiers pas non négligeables. De la même manière, l'appel de 14 organisations non-gouvernementales humanitaires et de défense des droits humains de novembre 2020 démontre, s'il le fallait, la place de plus en plus importante que prend le sujet dans le débat public. Ce mouvement, qui appelle notamment à ce que « le Parlement puisse enfin remplir son devoir de contrôle sur l'action du gouvernement en termes de ventes d'armes à l'étranger » est d'autant plus légitimé que 72% des Françaises et Français s'expriment en faveur d'un contrôle renforcé du Parlement sur les ventes d'armes et des matériels d'armements.

Ces attentes s'expriment aussi au sein des entreprises de l'armement, jusqu'à venir parfois menacer les besoins en recrutement. Dans les nouvelles générations d'ingénieurs mais pas seulement, l'environnement, les droits humains, la paix, constituent des préoccupations croissantes. La volonté de ne plus participer aux logiques actuelles de militarisation produit de manière grandissante un sentiment de malaise chez les salariés, pouvant aller jusqu'au refus de travailler sur le volet militaire des projets, ou à la démission.

L'ensemble de ces questions démontre la nécessité que les représentants de la Nation puissent se saisir de cette question de l'industrie d'armement, et que le Gouvernement entre dans une logique de transparence encadrée.

3) Contrôle des exportations : des dispositifs plus ambitieux à l'étranger

Sur la question des exportations d'armes, on ne peut manquer de noter que certains États sont allés plus loin que la France, en confiant à leurs parlements un pouvoir plus grand dans le domaine militaire.

Les États-Unis (36,2 milliards d'euros de ventes en 2015) s'appuient sur le « Arms export control act », l'« International traffic in arms regulations » et l'« Export administration act » de 1976 et 1979, pour ouvrir la possibilité au Congrès de bloquer toute autorisation d'exportation par le biais d'une motion commune, sous un délai de 30 et 15 jours selon que le pays destinataire soit dans l'OTAN ou non. L'information fournie par le Gouvernement fédéral au Congrès est bien plus complète que dans le cas français. De plus la présence d'un seul composant américain emporte le droit de blocage. Pour finir, Washington limite très fortement l'émission de licences globales au profit de licences individuelles, qui obligent à plus de contrôles. Dernier élément tangible, le Département d'État est en capacité d'exiger des clauses de non-réexportation ( End User's certification ).

Le Royaume-Uni (15,2 milliards d'euros de vente en 2015), pourtant très libéral en matière d'exportations de matériel de guerre, a mis en place depuis 1999 un débat parlementaire sur la base du rapport annuel sur la politique d'exportation produit par le Gouvernement. Par ailleurs tous les trimestres, l'ensemble des données brutes sur les licences d'exportation est mise en ligne en accès libre sur le site du Gouvernement. Cette règle, qui a également cours aux Pays-Bas, est une puissante garantie au service de la transparence sur les choix gouvernementaux.

L'Allemagne (8 milliards d'euros de vente en 2015) a mis en place depuis 1982 les « Principes politiques fondamentaux pour l'exportation d'armes de guerre et autres matériels d'armement » impliquant d'une part un contrôle du Parlement grâce à un débat suivi d'un vote sur le rapport annuel et des auditions en amont par les commissions parlementaires de tous les acteurs concernés par un contrat de vente. Par ailleurs, l'Allemagne a en place un principe de présomption de refus de ventes, ces dernières n'étant autorisées que lorsque les intérêts nationaux allemands ne sont pas en jeu.

L'Espagne (4,5 milliards d'euros de vente en 2015) a adopté en 2007 la « Ley sobre el control del comercio exterior de material de defensa » qui organise deux débats annuels suivis d'un vote sur la politique d'exportation. Par ailleurs, la loi oblige Madrid à respecter pour tout contrat les huit critères du code de bonne conduite édicté par l'Union européenne.

La Suède (12 milliards de couronnes, soit 1,3 milliards d'euros de vente en 2013) a établi la saisine automatique du Parlement dans le cadre de contrats majeurs d'armement avec l'étranger. Par ailleurs, la politique d'exportation des armes fait l'objet de deux rapports depuis 1985, un issu du Gouvernement et un de l'Inspectorat national des produits stratégiques, lié au Parlement.

III. POUR UN CONTRÔLE PARLEMENTAIRE RENFORCE

S'inspirant de certaines initiatives vertueuses à l'étranger, cette proposition de loi a l'ambition de renforcer d'une part le contrôle de l'État sur les entreprises fabricant et vendant du matériel de guerre, et d'autre part le contrôle de la représentation nationale sur le Gouvernement en charge de négocier les contrats de vente.

Ainsi, elle vise à renforcer les missions de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques par le Parlement, tel que prévu par le premier alinéa de l'article 24 de la Constitution. Si le Président de la République est chef des armées (article 15 de la Constitution) et négocie les traités (article 52 de la Constitution), l'opacité dans laquelle sont menées les négociations et les ventes posent question. Le rapport annuel remis au Parlement n'a jusqu'ici jamais fait l'objet de débats. Aucun contrat n'est soumis au vote du Parlement, malgré l'article 53 de la Constitution disposant que « Les traités de paix, les traités de commerce, [...] ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi. Ils ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés. »

L'absence d'intervention parlementaire dans le processus de ventes d'armes pose donc une vraie question démocratique : comment justifier que des contrats d'armement, qui alimentent les conflits internationaux auxquels prennent part nos compatriotes, ne fassent jamais l'objet d'un examen ou d'une discussion avec les Représentants de la Nation ? Renforcer le rôle des parlementaires permettrait aussi de rappeler que le commerce des armes revêt une importance politique et doit constituer une production d'exception. Les auteurs de cette proposition de loi considèrent qu'il y a aujourd'hui un déficit démocratique en la matière, qui affaiblit la capacité de la France à se doter d'objectifs stratégiques dans la durée, dans un domaine qui relève des intérêts fondamentaux de la Nation.

L' article 1 er prévoit l'inscription à l'ordre du jour du Parlement par le Gouvernement d'un débat annuel, suite à la remise par le ministère de la défense du rapport au Parlement sur les exportations d'armes prévu à l'article 11 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale. Par ailleurs, la nouvelle rédaction de cet article permet une clarification quant au contenu dudit rapport, afin que les représentants de la Nation aient une vision plus globale de la situation. Ainsi, le nouveau format du rapport permettra d'avoir des éléments à la fois sur le matériel de guerre dont les armes légères et petits calibres (ALPC) mais aussi sur le matériel à finalité duale ou ne devant être qu'un composant pour une arme. De la même manière, le rapport permettra aux parlementaires de juger du bien-fondé des contrats passés à l'aune des destinataires et usages finaux des matériels exportés.

L' article 2 crée, à l'image de ce qu'il peut exister dans d'autres secteurs, une délégation parlementaire en charge du contrôle effectif de certains contrats d'armements, comme ce qui peut exister en Allemagne. Cette délégation pourrait, en appui des travaux des commissions permanentes des deux chambres du Parlement, participer à la construction progressive d'une doctrine française d'exportation, centrée autour de l'appui à la souveraineté et à la défense des États.

L' article 3 renforce le rôle des Commissaires du gouvernement dans leur mission de contrôle des entreprises productrices et commerçantes d'armes.

L' article 4 supprime les licences d'exportation globales prévues par le code de la défense. Si ces dernières ont pour vocation de fluidifier l'activité des entreprises d'armement et d'alléger leurs procédures administratives et commerciales, elles sont source d'opacité.

Les articles 5, 6, 7 et 8 reprennent pour l'essentiel un projet de loi jamais promulgué de 2006 visant à ériger en délit le non-respect d'un embargo déterminé par l'Organisation des Nations Unies ou l'Organisation pour la sécurité et la coopération européenne. Il est ainsi ajouté au Code pénal un article définissant la notion d'embargo et prévoyant les peines applicables à toute personne physique ou morale enfreignant cet embargo. Il prévoit les peines et exemptions d'usage si une personne qui a tenté de commettre l'infraction à un embargo a fait le choix de prévenir l'autorité administrative ou judiciaire, et a activement empêché la commission de ladite infraction. Par souci de coordination et de complément des dispositions législatives, les Codes de procédure pénale et des douanes sont modifiés pour d'une part définir la procédure applicable à l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement du délit d'infraction à l'embargo, et d'autre part permettre la poursuite de l'enquête pour des faits commis sous embargo malgré l'abrogation ou l'aménagement de ce dernier.

Les articles 9 et 10 prévoient les modalités pratiques de mise en oeuvre de la loi, son champ d'application et son gage financier.

Tel est le sens de la présente proposition de loi.

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