EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames et Messieurs,

382 000. C'est le nombre de nouveaux cas de cancer pour l'année 2018 en France métropolitaine estimé par l'Institut national du cancer (INCA). Ils représentent la première cause de décès chez l'homme et la deuxième chez la femme. Le nombre de décès dus au cancer est ainsi estimé à 157 400 par an, dont 89 600 chez l'homme (57 %) et 67 800 (43 %) chez la femme.

Si le nombre de nouveaux cas de cancer s'est accru, notamment en raison du vieillissement de la population, la hausse importante de certains cancers dits « de mauvais pronostic » mérite une vigilance toute particulière. Sur la période 2010 - 2018, nous constatons une hausse annuelle de 5 % du cancer du poumon chez les femmes, de 2,6 % du cancer du pancréas chez les hommes et de 3,2 % chez les femmes ou encore de 2,7 % du cancer du foie chez les femmes.

En France, il existe à l'heure actuelle des registres de cancer (des registres généraux couvrant une zone géographique, des registres spécialisés parfois dans certaines localisations cancéreuses comme les cancers digestifs ou encore un registre pédiatrique) qui recueillent et documentent des cas de cancer adultes et pédiatriques.

Néanmoins, ces registres couvrent seulement 24 % de la population française (environ 14 millions de personnes) et servent pourtant de base pour le calcul de l'incidence des cancers au niveau national. Cette dernière n'est donc qu'une estimation - voire une extrapolation - dont la méthodologie repose, de surcroît, sur une hypothèse - par nature non confirmée - selon laquelle la zone géographique constituée par les registres existants serait représentative de la France métropolitaine en matière d'incidence des cancers. Les territoires ultramarins sont eux fort peu documentés.

Cette approche n'est donc pas exempte de critiques, parmi lesquelles, par exemple, le fait que les conséquences environnementales sur les cancers sont peu étudiées. De plus, l'absence d'une stratégie nationale, ou a minima d'une meilleure coordination entre les registres, ainsi que le manque de visibilité et de lisibilité des comités et procédures d'évaluation aboutissent à une forme d'isolement qui fragilise ces structures, en raison d'un manque de ressources mais aussi d'un manque de visibilité.

Pourtant, chaque registre dans sa spécialité prouve, grâce à son histoire et aux nombreux travaux publiés qui en sont issus, que l'exhaustivité et la qualité du recueil sont sources de nombreuses avancées scientifiques et thérapeutiques.

La création d'un registre national des cancers permettrait d'améliorer tous les aspects de la lutte contre le cancer : la prévention, le dépistage, le diagnostic, le suivi et le traitement... Car, une bonne prévention évite des cancers, un dépistage tôt facilite le traitement, en diminue les coûts, améliore la qualité de vie des patients et très largement leur pronostic (survie et guérison).

Dès lors, si un tel registre est parfois perçu comme un coût, il est en réalité un investissement sûr et limité en matière de santé publique, compte tenu du poids économique de la prise en charge actuelle des cancers (en 2020 : 5,9 milliards d'euros de dépenses hospitalières liées au diagnostic, au traitement ou au suivi des personnes atteintes de cancer selon le Panorama des Cancers en France publié en 2022 par l'INCA), ainsi que le recommande l'Académie nationale de Médecine dans son rapport « Les cancers en France : vers un registre national de fonctionnement centralisé » rédigé par le Professeur François GUILHOT et adopté en décembre 2021.

Cette démarche serait d'autant plus bienvenue d'un point de vue de santé publique qu'elle s'inscrirait dans un mouvement européen de création et d'harmonisation des registres des cancers.

En effet, la couverture de l'ensemble de la population par un registre général des cancers est disponible dans 22 pays européens.

Par exemple, les registres danois, finlandais, norvégien, islandais et suédois ont été créés entre 1942 et 1958 et totalisent aujourd'hui une population de près de 26 millions d'habitants. Aux Pays-Bas, le registre national collecte les données depuis 1989 et produit des recommandations dont l'impact a permis d'assister à une diminution de la mortalité post-opératoire du cancer du pancréas de 24 à 4 %.

Surtout, en 1990 a été créé le Réseau européen des registres du cancer (ENCR), que les registres nationaux peuvent rejoindre grâce à des critères simples, qui vise à créer une base pour la surveillance de l'incidence du cancer et de la mortalité par cancer dans l'Union européenne. L'objectif du réseau est d'améliorer la qualité, la comparabilité et la disponibilité des données sur l'incidence du cancer ; de fournir des informations régulières sur la charge du cancer en Europe et sa prévalence ; et de promouvoir l'utilisation des registres du cancer dans la lutte contre le cancer, la planification des soins de santé et la recherche.

Si un registre français était mis en place, il pourrait rejoindre le réseau ENCR afin d'alimenter et participer à une base de données extrêmement riche en qualité et portant sur un très grand effectif, permettant de consolider et développer les études épidémiologiques.

Ainsi, la comparaison européenne met en exergue le retard de la France en la matière et rend pertinent, si ce n'est indispensable, la mise en place d'un registre général des cancers.

Il apparait en effet urgent de mettre en place un registre national, couvrant les territoires métropolitains et ultra-marins et l'ensemble des populations (majeures et mineures), des cancers afin de soutenir et approfondir le travail mené par les acteurs existants.

Si ce registre national n'a pas vocation à se substituer aux registres existants, il permettra le recensement des cas de cancer de façon exhaustive pour déterminer des indicateurs nationaux en matière de morbi-mortalité, incidence et prévalence.

L'extraction de tout ou partie du fichier pourra être faite pour être exploitée à des fins de recherche sur la base d'un protocole établi par les équipes scientifiques et validé par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Ces protocoles pourront porter sur l'épidémiologie, la recherche de facteurs de risques éventuels, la qualité des soins, l'efficacité d'un traitement, l'évaluation de déterminants géographiques (tels que l'éloignement d'un centre anticancéreux ou une exposition professionnelle ou environnementale spécifiques à un territoire donné) et de déterminants sociaux. Il pourra ainsi être le point de départ de programmes de réduction des inégalités en matière de santé.

Il pourra aussi permettre la constitution de cohortes ad hoc utiles aux recherches biomédicales pour évaluer l'efficacité de nouveaux traitements, pour la constitution de sérothèques et banques de tissus cancéreux indispensables à l'amélioration de la sensibilité et de la spécificité des marqueurs sérologiques, à la constitution de marqueurs biologiques et génétiques prédictifs, ainsi que de l'amélioration des diagnostics anatomopathologiques.

Un tel registre national verra donc son utilisation, en fonction des équipes de recherche, appliquée à l'épidémiologie, à la recherche fondamentale comme les études en économie de la santé et amélioration des protocoles de soin ou de dépistage. En outre, la qualité et l'exhaustivité des données sont indispensables sur le plan européen et international pour intégrer des équipes en pointe sur la recherche en cancérologie.

Il pourra, de plus, être un outil de veille sanitaire et d'alerte pour détecter l'émergence de nouveaux cancers ou de cancers rares, ainsi que des groupes de cas anormalement élevés témoignant d'un risque particulier.

Si, de l'avis de tous les professionnels, l'intelligence artificielle (IA) ne remplacera pas la mise en place d'un registre national avec des données de qualité - justifiant dès lors sa mise en place -, ce dernier pourra néanmoins être utilisé par les algorithmes de l'IA en santé. De même, il pourra être une base rigoureuse au service des travaux menés par ou en lien avec la Caisse nationale assurance maladie (CNAM), le Système National des Données de Santé (SNDS), les structures spécialisées (telles qu'Unicancer, l'INCA), les agences de recherche (telles que l'Inserm), ainsi que les équipes universitaires (en santé publique ou en sociologie, par exemple).

Afin que les données collectées soient de qualité et interopérables, le registre pourra suivre les recommandations du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) et de l'ENCR qui ont établi un minimum de données à collecter pour chaque cancer. Les règles de collection seront, elles aussi, précisées afin d'éviter les doublons, permettre un suivi épidémiologique localisé et un suivi intégral du parcours de soin.

Sur le plan juridique, ce registre, compte tenu des données à caractère personnel qui seront collectées, devra garantir une protection maximale de celles-ci en respectant les règles prévues par le règlement général sur la protection des données (RGPD)1(*) et la loi informatique et liberté de 19782(*).

En dernier lieu, la question du fonctionnement du registre, de sa structure et de sa composition est majeure, afin de répartir les missions et responsabilités de manière adéquate et d'assurer la pérennité des registres existants et du réseau Francim, compte tenu de leur intérêt médical et scientifique majeur.

Ainsi, tout en laissant le soin aux acteurs - aux premiers rangs desquels l'Institut national du Cancer (INCA), Francim (le réseau français des registres des cancers), Unicancer (la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer), Santé Publique France et le ministère de la Santé et de la Prévention - de s'organiser en bonne intelligence afin que le registre fonctionne de manière efficace et efficiente compte tenu de l'importance d'un tel projet, l'INCA pourrait assurer les aspects administratifs et l'hébergement du registre ; Francim pourrait assurer les aspects techniques et scientifiques, l'évaluation des données et leur analyse (éventuellement en lien avec Santé Publique France).

Une convention annuelle ou pluriannuelle entre les acteurs pourrait préciser leurs relations et garantir la pérennité des registres existants et de Francim.

L'objectif de la présente proposition de loi vise donc à mettre en place un registre national général des cancers afin de soutenir, compléter et approfondir le travail mené par les acteurs existants mais aussi utile pour les nouveaux acteurs de la recherche sur les cancers, dans le respect de l'intérêt public.

Il a vocation à être un outil au service d'une plus grande efficience de la prise en charge des cancers en France.

L'article unique (article premier) de la présente proposition de loi vise donc à confier la mise en oeuvre d'un registre national en cancérologie à l'Institut national du Cancer dont les prérogatives sont prévues à l'article L. 1415-2 du code de la santé publique.

Cet article unique fixe les objectifs poursuivis par ce registre et renvoie à un décret en Conseil d'État le soin d'en fixer les modalités, après avis public et motivé de la CNIL.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

* 1 Règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données

* 2 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés