EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Chaque enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est l'occasion pour l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de nous rappeler que la France est l'un des pays où l'origine sociale des élèves pèse le plus sur leur réussite scolaire. C'est tout le contraire de la mission que la République a confié à son école : celle de faire réussir TOUS les élèves, quel que soit le milieu d'où ils viennent.

Les personnels de l'Éducation nationale qui oeuvrent au quotidien à accomplir cette mission font face à un obstacle de taille : l'entre-soi. Notre école souffre d'une ségrégation sociale qui ne cesse de s'accroître entre les établissements qui accueillent un public toujours plus favorisé et ceux auxquels on abandonne les enfants issus d'un milieu défavorisé.

De nombreux travaux universitaires démontrent que la mixité sociale, si elle n'est pas suffisante, est nécessaire à la réussite scolaire de tous et donc à la promesse d'égalité des chances.

La mixité sociale à l'école a d'abord des effets psychosociaux positifs sur les élèves les moins favorisés, en renforçant l'estime de soi scolaire et un sentiment d'optimisme. Les travaux menés par le chercheur Julien Grenet dans les établissements parisiens lui ont permis de démontrer que lorsqu'on accroît la mixité sociale, pour les enfants, « ce qui change de façon considérable c'est la perception du système, le fatalisme social, le sentiment de n'avoir aucune perspective d'ascension sociale. Quand bien même leurs résultats ne changeraient pas ou peu, ils vont faire des choix beaucoup plus réfléchis et par exemple davantage s'orienter vers des filières générales. »

Mais, à l'heure où l'intolérance, les violences symboliques ou physiques et le repli sur soi prospèrent, la mixité sociale à l'école est aussi un enjeu de cohésion sociale et de lutte contre les inégalités, car le vivre ensemble s'apprend dès le plus jeune âge. Fréquenter des enfants d'origines diverses dès la maternelle, se frotter à l'altérité dans la cour de récréation et s'habituer à l'hétérogénéité en classe, tout cela permet de développer la compréhension interculturelle et la prise en considération des différences. Ce sont des compétences sociales cruciales dans la vie de tout citoyen comme dans le milieu professionnel.

La République doit donc prendre le problème de la mixité sociale à l'école à bras le corps, car une insuffisante mixité scolaire nuit à la réussite de tous les élèves et à la promesse d'égalité des chances de l'École républicaine.

La loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République avait fait entrer la notion de mixité sociale dans les objectifs du service public de l'éducation en introduisant à l'article L. 111-1 du code de l'éducation la phrase : « Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement ».

À cette fin, la même loi avait permis de compléter le deuxième alinéa de l'article L. 213-1 du code de l'éducation, relatif aux compétences des départements, par la disposition suivante : « Lorsque cela favorise la mixité sociale, un même secteur de recrutement peut être partagé par plusieurs collèges publics situés à l'intérieur d'un même périmètre de transports urbains. »

Malgré la mise en place d'un certain nombre d'expérimentations sur la base du volontariat depuis 2016, dont celles couronnées de succès dans le département de Haute-Garonne ou à Paris, force est de constater que, dix ans plus tard, ces dispositions législatives n'ont pas permis d'améliorer la mixité sociale dans les établissements scolaires à l'échelle nationale. Au contraire, la récente publication de l'indice de position sociale (IPS - instrument de calcul des disparités sociales existant entre et au sein des établissements ; un indice élevé signifiant un contexte favorable) de l'ensemble des établissements de l'hexagone et de l'outre-mer a démontré que l'école française était de plus en plus ségréguée.

Dans le secteur public, qui accueille 80 % des élèves, l'IPS moyen des collèges REP+ est de 74 alors que celui des collèges publics hors éducation prioritaire est de 106. À la rentrée 2022, les collèges publics les moins favorisés scolarisaient moins d'un élève sur 10 issu d'un milieu social très favorisé contre plus de 4 élèves sur 10 dans les collèges les plus favorisés. Dans le dixième des établissements les moins favorisés, plus de 6 collégiens sur 10 sont issus d'un milieu défavorisé, alors qu'ils sont moins de 2 sur 10 dans le dixième des établissements les plus favorisés. Selon le Centre national d'étude des systèmes scolaires (2015), les collégiens et lycéens d'origine aisée comptent dans leur classe deux fois plus de camarades également d'origine aisée que les élèves d'origine moyenne ou populaire.

Pour l'année scolaire 2020-21, sur les 100 collèges ayant les IPS les plus élevés, 81 sont des établissements privés sous contrat. À l'inverse, sur les 100 établissements avec les IPS les plus faibles, il n'y a qu'un seul collège privé. Dans une note d'information de juillet 2022, le ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse relevait qu'à la rentrée 2021, la proportion d'élèves qui sont enfants d'ouvriers ou d'inactifs (milieu défavorisé) était de 42,6 % dans le public contre 18,3 % dans le privé. À l'inverse, la proportion d'enfants d'enseignants, de cadres supérieurs, de chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus ou dont le représentant exerce une profession libérale (milieu très favorisé) est plus élevée dans le privé (40,1 %) que dans le public (19,5 %).

Il n'est plus possible de se voiler la face sur ces disparités qui minent la confiance en l'école de la République. L'objectif de mixité sociale fixé à l'article L. 111-1 du code de l'éducation ne peut plus être abandonné au bon vouloir des collectivités locales qui accepteraient de revoir leur sectorisation. C'est pourquoi l'article unique de cette proposition de loi propose de transformer en obligation la possibilité offerte aux départements, par l'article L. 213-1 du code de l'éducation, de modifier les secteurs de recrutement des collèges afin d'y favoriser la mixité sociale.

Cette formulation permettra par ailleurs à des acteurs locaux, comme l'association No Ghetto qui a inspiré cette proposition de loi, de saisir la justice administrative en cas de manquements manifestes à cette nouvelle obligation de la part d'un conseil départemental.

Partager cette page