EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'article 205 du code civil impose aux enfants de subvenir aux besoins de leurs ascendants dans le besoin. Or, cette obligation ne prend pas en compte l'histoire familiale ni la qualité de la relation entre le parent et l'enfant, ce qui peut conduire à des situations profondément injustes.
Aujourd'hui, un enfant dont le parent a failli à ses responsabilités peut être contraint, à l'âge adulte, de lui apporter une aide financière, y compris lorsqu'il a été victime de violences ou de négligence. Actuellement, seule une décision judiciaire permet d'y déroger, après un long parcours administratif et émotionnel qui impose à l'enfant victime de prouver la défaillance de son parent.
La notion de défaillance parentale, bien qu'elle ne soit pas directement consacrée par le droit civil et puisse paraître trop générique, trouve un écho évident dans l'article 371-1 du code civil. Celui-ci rappelle que : « L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant. Elle appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. L'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques. Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
Autrement dit, dès lors que ces obligations fondamentales ne sont pas respectées - protection, sécurité, santé, moralité, éducation, respect de l'enfant -, on peut caractériser une défaillance parentale ou un manquement grave aux devoirs parentaux.
Depuis la loi « Bien vieillir » du 8 avril 2024, des exemptions ont été introduites à l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles, mais elles restent limitées. Seuls les enfants ayant été retirés de leur milieu familial pendant au moins 36 mois jusqu'à leurs 18 ans ou ceux dont un parent a été condamné pour des violences sur l'autre parent peuvent être exonérés de cette obligation.
Pourtant, de nombreuses autres formes de défaillance parentale demeurent ignorées par la loi, imposant aux enfants une charge morale et financière d'une profonde injustice. Déjà marqués par l'abandon, la négligence ou la maltraitance, ces enfants subissent une « double peine » : après avoir grandi sans le soutien, l'amour ou la protection auxquels ils avaient droit, ils se voient contraints, une fois adultes, de subvenir aux besoins d'un parent avec lequel ils n'ont parfois plus aucun lien.
Cette obligation, perçue comme une injustice, les force à financer l'hébergement en EHPAD ou l'entretien d'un parent qui n'a jamais assumé ses responsabilités, ravivant des blessures qu'ils tenteront de surmonter toute leur vie.
Depuis 1804, le modèle familial a profondément évolué, dépassant largement la structure dite « traditionnelle ». Les familles monoparentales, recomposées, adoptives ou encore homoparentales sont aujourd'hui pleinement reconnues, reflétant la diversité des familles en France. Pourtant, le droit français peine à s'adapter à ces nouvelles réalités, laissant subsister des règles obsolètes qui ne prennent pas en compte la complexité des liens familiaux contemporains.
Le principe de l'obligation alimentaire repose sur une solidarité intergénérationnelle supposée réciproque. Or, cette réciprocité n'existe pas toujours. Un parent qui a failli à ses devoirs ne peut exiger un soutien de son enfant sous prétexte d'un lien biologique. Cette asymétrie crée une inégalité insupportable, que cette proposition de loi vise à corriger.
Au-delà, une réflexion plus large qui mériterait un Grenelle des familles en France, d'autres pays ont déjà évolué sur ces questions, en adaptant leurs législations aux nouvelles réalités des liens familiaux. Il est temps que la France ouvre ce débat à l'échelle nationale pour repenser l'équilibre des obligations entre générations.
Cette proposition de loi vise à rétablir une justice pour les enfants victimes de parents défaillants en leur permettant de se libérer plus facilement de l'obligation alimentaire.
L'article 1er introduit un droit à la libération de l'obligation alimentaire pour l'enfant, par acte notarié, à partir de 18 ans et jusqu'à la veille de ses 30 ans, envers le parent défaillant. Cela ne nécessitera aucune justification de la part de l'enfant.
Par ailleurs, la preuve renversée sera possible en permettant au parent concerné de contester, sous un délai de 6 mois, cet acte de libération à l'obligation alimentaire devant le juge aux affaires familiales.
L'article 2 dispose qu'il lui appartiendra alors de prouver qu'il a fait preuve de bienveillance et qu'il a rempli ses devoirs parentaux durant l'enfance. Ce renversement de la charge de la preuve protège l'enfant qui reste victime même après le passage à l'âge adulte.
L'article 3 prévoit que l'exonération de l'obligation alimentaire de l'enfant victime entraînera automatiquement la perte des droits successoraux sur le patrimoine du parent concerné.
L'obligation alimentaire repose sur un principe de solidarité familiale qui trouve sa justification dans l'idée d'un échange réciproque entre générations. Or, lorsque cette solidarité a été unilatérale, il est injuste de la maintenir à sens unique.