EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les violences fondées sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre connaissent une recrudescence inquiétante en France. Selon les données publiées par le ministère de l'Intérieur, les actes à caractère homophobes et transphobes ont connu une progression de 13 % en 2022, suivie d'une nouvelle augmentation de 19 % en 20231(*). Ces chiffres traduisent une aggravation durable des violences subies par les personnes LGBTQI+, encore trop souvent exposées aux discriminations et agressions.
Mais ces chiffres officiels ne reflètent qu'une réalité partielle. En effet, une étude conjointe de l'INSEE et du ministère de l'Intérieur révèle que seule une victime sur cinq d'actes anti-LGBTQI+ engage une démarche de dépôt de plainte. En d'autres termes, une part considérable de ces violences demeure invisible et impunie, renforçant l'urgence d'une réponse publique adaptée.
Parmi les formes les plus préoccupantes de violences recensées, les guet-apens homophobes et transphobes se distinguent par leur caractère ciblé et prémédité. Généralement organisés via des plateformes de messagerie ou des applications de rencontre, ils consistent à attirer les victimes dans des lieux isolés, parfois même à leur domicile, pour leur infliger des violences physiques, les dépouiller ou les extorquer. Ces agressions, qui peuvent survenir dans l'espace public comme dans des lieux privés, exploitent la vulnérabilité des victimes et rendent d'autant plus difficile la reconnaissance du mobile discriminatoire dans les procédures judiciaires.
L'ampleur du phénomène a été mise en évidence par une enquête relayée par Mediapart, qui estimait à plus de 300 le nombre de personnes homosexuelles ayant été victimes de guet-apens homophobes entre 2017 et 20212(*). En 2022, ce chiffre aurait connu une forte progression, avec 122 cas recensés. Ces chiffres, déjà alarmants, sont pourtant largement sous-évalués en raison du faible taux de plainte, mais aussi des obstacles rencontrés pour faire reconnaître, dans les procédures judiciaires, le caractère homophobe de ces agressions.
La fermeture, en juin 2024, de l'application de messagerie en ligne Coco a illustré de manière éclatante l'ampleur de ce phénomène. Cette plateforme a été identifiée comme ayant permis l'organisation de nombreux actes à caractère homophobe, commis au préjudice de victimes ciblées en raison de leur orientation sexuelle. Ces événements ont mis en lumière l'existence d'un système structuré d'agressions, reposant sur une logique de ciblage, d'isolement et de violence, souvent dans des lieux privés, échappant ainsi à la vigilance de l'espace public.
Les associations de lutte contre les discriminations, telles que Stop Homophobie, jouent un rôle essentiel dans l'accompagnement des victimes, la qualification des faits, la reconnaissance du caractère discriminatoire des infractions et leur reconnaissance devant les juridictions. Leur présence aux côtés des personnes concernées constitue un levier essentiel pour garantir l'accès au droit, faciliter les démarches judiciaires et documenter les dimensions discriminatoires souvent sous-estimées des violences commises.
Ce rôle d'alerte, d'accompagnement et d'action en justice est également crucial dans un autre domaine particulièrement sensible : celui des thérapies de conversion. Ces pratiques, désormais interdites par la loi n° 2022-92 du 31 janvier 2022, visent à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre réelle ou supposée d'une personne, souvent au moyen de pressions psychologiques, morales, médicales ou spirituelles. Elles demeurent, malgré leur interdiction, une réalité préoccupante, en particulier pour les jeunes personnes LGBTQI+ ou les mineurs vivant dans des environnements hostiles.
Dans la pratique, les associations de lutte contre les discriminations sont aujourd'hui confrontées à deux types de blocages juridiques lorsqu'elles tentent d'accompagner juridiquement les victimes dans ces affaires. D'une part, elles doivent obtenir le consentement de la victime majeure ; d'autre part, lorsque la victime est mineure, l'autorisation des représentants légaux est exigée ; ce qui revient bien souvent à solliciter l'autorisation de celles et ceux qui ont eux-mêmes organisé ou toléré les actes. Ces exigences limitent considérablement les possibilités d'intervention des associations dans des situations pourtant urgentes et graves, où leur présence est essentielle pour soutenir les victimes, alerter les autorités judiciaires et obtenir réparation.
En conséquence, la présente proposition de loi modifie l'article L. 4163-11 du code de la santé publique afin de permettre que toute personne, et non plus uniquement un professionnel de santé, puisse être poursuivie pour avoir proposé ou prescrit des thérapies de conversion. Cette clarification garantit l'effectivité de la loi de 2022 et sécurise l'action des associations, en s'appuyant sur une base juridique applicable à tous les auteurs de ces pratiques.
De plus, la capacité des associations à agir en justice demeure encadrée de manière restrictive par une liste limitative d'infractions pour lesquelles elles peuvent se constituer partie civile. L'article 2-6 du code de procédure pénale ne leur permet de se constituer partie civile que pour certaines infractions (discrimination, harcèlement, violences, dégradations), excluant des actes pourtant récurrents dans les guet-apens comme la séquestration, le vol ou l'extorsion.
Face à cette évolution préoccupante, une adaptation du droit s'impose. Une première initiative a été portée en 2024 devant le Conseil constitutionnel par l'association Stop Homophobie : une question prioritaire de constitutionnalité contestait la conformité de l'article 2-6 du code de procédure pénale aux principes d'accès au juge et d'égalité devant la loi. Dans sa décision n° 2024-1113 QPC du 24 novembre 2024, le Conseil constitutionnel rejetait l'argumentaire développé en ne retenant aucun des griefs mis en avant par l'association requérante. Il revient donc au législateur de renforcer les prérogatives des associations afin de leur permettre d'intervenir plus largement devant les juridictions pénales et de favoriser la reconnaissance des infractions motivées par la haine liée à l'orientation sexuelle ou à l'identité de genre. Une telle réforme contribuerait à répondre de manière plus cohérente aux enjeux soulevés par la recrudescence de ces violences.
À ces infractions doivent désormais s'ajouter explicitement, dans la liste mentionnée à l'article 2-6 du code de procédure pénale, le viol (article 222-23 du code pénal), la séquestration (article 224-1 du code pénal), le vol (articles 311-1 à 311-13 du code pénal), l'extorsion et le chantage (articles 312-1 à 312-15 du code pénal), le harcèlement moral (articles 222-33-2 à 222-33-2-3 du code pénal), les atteintes à la vie privée (articles 226-1 à 226-7 du code pénal), le doxxing (article 223-1-1 du code pénal) ainsi que les délits de presse à caractère LGBTphobe (articles R. 625-7 et suivants), lorsque la circonstance aggravante prévue à l'article 132-77 du code pénal est retenue.
Cette restriction constitue, en effet, un double obstacle. D'une part, elle empêche les associations d'intervenir efficacement dans de nombreux cas où leur soutien est pourtant crucial pour l'accès à la justice des victimes. D'autre part, elle crée une rupture d'égalité entre associations.
D'autres acteurs, par exemple ceux oeuvrant pour les droits des personnes handicapées, âgées ou malades, peuvent déjà se constituer partie civile pour des infractions comme l'extorsion. Cette exigence d'égalité devant la loi et la justice est mise à mal puisqu'une différence de traitement est opérée entre les associations. L'article 2-8 du code de procédure pénale prévoit en effet que les associations ayant pour objet statutaire la défense des personnes handicapées, âgées ou malades peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour un ensemble d'infractions, parmi lesquelles figure notamment l'extorsion.
S'agissant de l'infraction de séquestration, il convient de relever que certaines catégories d'associations bénéficient d'ores et déjà de la faculté de se constituer partie civile. Tel est notamment le cas des associations oeuvrant en faveur des victimes de violences sexuelles ou de la protection des libertés fondamentales, lesquelles peuvent, en application des articles 2-2 et 2-17 du code de procédure pénale, exercer les droits reconnus à la partie civile lorsque les faits poursuivis entrent dans le champ de leur objet statutaire.
Dès lors, le maintien d'une restriction du champ infractionnel permettant aux associations de lutte contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'exercer l'action civile devant le juge pénal apparaît en contradiction avec les principes fondamentaux de notre ordre juridique.
Consacré depuis la loi Pleven du 1er juillet 1972, le droit pour ces associations d'agir en justice constitue un outil essentiel dans la lutte contre les violences discriminatoires. En limitant cette capacité d'intervention à un nombre restreint d'infractions, le législateur empêche une prise en compte effective de la diversité des violences subies.
De plus, cette limitation constitue une atteinte manifeste au droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, ainsi qu'au principe d'égalité devant la loi, consacré par son article 6.
La présente proposition de loi vise donc à adapter notre arsenal juridique à la réalité contemporaine des violences anti-LGBTQI+.
L'article 1er élargit le champ des infractions ouvrant droit à la constitution de partie civile des associations de lutte contre les discriminations anti-LGBTQI+ en insérant une liste précise et complète d'articles du code pénal, fondée sur les infractions fréquemment commises dans les guet-apens homophobes ou transphobes.
L'article 2 modifie le code de la santé publique afin de permettre que les auteurs de thérapies de conversion soient poursuivis, qu'ils soient ou non professionnels de santé, et que les associations puissent ainsi agir plus efficacement contre ces pratiques.
L'article 3 apporte deux avancées majeures : d'une part, la suppression du pronom possessif « leur » dans l'article 225-1 du code pénal, afin de prendre en compte les discriminations indirectes ; d'autre part, l'ajout de « l'expression de genre » aux motifs prohibés de discrimination, en cohérence avec les recommandations internationales et la directive européenne 2024/15003(*).
Enfin, l'article 4 poursuit cette logique en harmonisant l'ensemble des textes juridiques où figurent les motifs de discrimination. Il modifie plusieurs articles du code pénal (notamment les articles 222-13, 225-1 et 225-4-13) afin de remplacer la formule actuellement en vigueur : « l'orientation sexuelle ou l'identité de genre », par une formulation élargie, incluant « l'expression de genre » : « l'orientation sexuelle, l'expression de genre ou l'identité de genre ». Il modifie également la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, aux articles 24, 32 et 33, afin d'y introduire explicitement la reconnaissance de « l'expression de genre » comme motif autonome de répression des injures, diffamations ou provocations à la haine. Cet article vise ainsi à garantir une cohérence juridique dans l'ensemble des dispositions réprimant les discours ou les violences discriminatoires, tout en assurant la transposition effective de la directive (UE) 2024/1500. Il permet de mieux protéger les personnes victimes de discriminations ou de violences fondées non sur leur identité de genre mais sur leur apparence ou leur comportement de genre, trop souvent ciblés dans les faits.
Ces évolutions législatives permettent de mieux refléter la diversité des violences subies par les personnes LGBTQI+ et de garantir aux associations les moyens juridiques d'agir pour les prévenir, les faire sanctionner et accompagner les victimes.
* 1 « Les chiffres des infractions anti-LGBT+ enregistrées en 2023 », publié le 17 mai 2024, ministère de l'Intérieur et des Outre-Mer. https://www.info.gouv.fr/actualite/les-chiffres-des-infractions-anti-lgbt-enregistrees-en-2023
* 2 Documentaire « Guet-apens, des crimes invisibles », écrit par Sarah Brethes, Mathieu Magnaudeix et David Perrotin, publié le 19 avril 2023 sur Mediapart. https://www.mediapart.fr/studio/documentaires/france/le-documentaire-guet-apens-des-crimes-invisibles-sur-mediapart
* 3 Directive (UE) 2024/1500 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 relative aux normes applicables aux organismes pour l'égalité de traitement dans le domaine de l'égalité de traitement et de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes en matière d'emploi et de travail, et modifiant les directives 2006/54/CE et 2010/41/UE.