EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présence de travailleurs sans papiers dans différents pans de notre économie est une réalité identifiée et largement documentée. Selon une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), parue en 2021, si les immigrés occupent, en France et en moyenne un emploi sur dix (10,2 %)1(*), cette proportion peut s'élever à plus d'un sur quatre dans certains secteurs professionnels. Les travailleurs étrangers en situation irrégulière sont, par exemple, surreprésentés dans les domaines de l'emploi à domicile, du bâtiment et des travaux publics, de la sécurité et du gardiennage, ainsi que de l'hôtellerie-restauration.

Dans son enquête Besoins en Main-d'oeuvre rendue en 2024, France Travail a recensé pour chaque catégorie de métiers le taux de difficulté à recruter. Sans surprise, parmi ces métiers, nous retrouvons : les « aides à domicile et auxiliaires de vie », les « ouvriers qualifiés en menuiserie et en agencement du BTP » ou bien encore les « carrossiers automobile ». Cette pénurie de personnel alerte d'autant plus qu'elle survient dans des métiers où les personnes étrangères sont déjà surreprésentées.

Loin de toute forme de submersion, l'immigration joue un rôle fondamental et précieux sur le marché du travail français, en répondant à des besoins spécifiques dans des secteurs où la main-d'oeuvre est souvent comblée par des personnes étrangères. Ces travailleurs contribuent activement à l'économie et à la vie sociale du pays, bien que leur statut irrégulier les contraigne à une précarité inacceptable. Leur situation, tolérée de fait par les pouvoirs publics, les prive de leurs droits fondamentaux et maintient une pression à la baisse sur les salaires dans plusieurs filières professionnelles.

En plus de cela, de nombreuses personnes vivant en France se retrouvent privées d'opportunités professionnelles en raison de l'absence de papiers en règle. Sans autre choix, elles doivent s'appuyer sur des dispositifs d'hébergement d'urgence ou sur des solutions précaires pour subvenir à leurs besoins, alors même qu'elles souhaitent travailler et pourraient pourtant intégrer le marché du travail immédiatement ou après une formation, que plusieurs secteurs d'activité et organismes publics sont disposés à mettre en place.

Face à cet état des choses, l'évolution de notre droit ne semble pas apporter les bonnes réponses.

Jusqu'en 2023, la procédure d'admission exceptionnelle au séjour permettait une régularisation par le travail des ressortissants étrangers présents irrégulièrement sur le territoire national. Ce dispositif, prévu aux articles L. 435-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), avait été précisé par la circulaire du 28 novembre 2012 dite « circulaire Valls ». Ainsi, l'étranger pouvait bénéficier d'une carte de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire » s'il satisfaisait une triple condition de résidence, d'actualité de l'emploi et d'ancienneté professionnelle.

Toutefois, cette procédure ne semblait pas aboutie juridiquement puisqu'elle impliquait notamment la production par le ressortissant étranger de preuves de son investissement professionnel, à travers un formulaire CERFA rempli par son employeur, et des bulletins de salaire. Elle plaçait mécaniquement chaque travailleur sans papier dans une situation de dépendance et de précarité à l'égard de son employeur. Elle avait également conduit à une problématique d'engorgement des préfectures face au nombre de demandes à traiter.

Tenant compte de ces difficultés, un nouveau dispositif avait été proposé en février 2023 lors de la présentation du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, afin de créer une carte de séjour temporaire avec la mention « travail dans des métiers en tension ». Cette dernière devait venir pallier les limites posées par le droit en vigueur et son application tirée de la circulaire « Valls », en ouvrant une voie au séjour à la seule initiative du ressortissant étranger sans qu'il ait à justifier d'une entrée régulière sur le territoire français. La délivrance de la carte de séjour devait être assujettie à une double condition : justifier d'une activité professionnelle salariée dans un métier et une zone géographique en tension durant au moins huit mois, consécutifs ou non, sur les vingt-quatre derniers mois, d'une part, et justifier d'une résidence ininterrompue d'au moins trois années sur le territoire français, d'autre part.

À ces conditions, le ressortissant étranger aurait pu se voir délivrer une carte de séjour temporaire « travail dans des métiers en tension » d'une durée d'un an, valant autorisation de travail pour l'activité professionnelle ayant justifié sa délivrance. Cette carte aurait été accessible aux étrangers en situation irrégulière, selon des modalités plus simples, notamment sans le concours de leur employeur. De cette manière, en limitant l'appréciation discrétionnaire de l'administration, elle devait faciliter la vie des préfectures en accélérant le traitement de chacune des procédures, et ainsi aboutir à un désengorgement des services.

Malheureusement, au cours de l'examen de ce texte, et malgré le besoin manifeste de travailleurs étrangers, une inflexion singulière dans le discours politique a remis en cause cette orientation initiale. Le Parlement, à l'initiative de la majorité sénatoriale, a finalement supprimé le dispositif initialement proposé par le Gouvernement, pour en adopter un autre permettant, certes, une admission exceptionnelle au séjour pour les métiers en tension, mais en la laissant toujours à la discrétion du préfet.

Aujourd'hui en vigueur, le dispositif retenu prévoit une première série de critères formels proches de ceux du texte initial : l'exercice d'un emploi en tension pendant au moins douze mois, consécutifs ou non, sur les vingt-quatre derniers mois ; l'occupation d'un tel emploi au moment de la demande ; une résidence ininterrompue d'au moins trois années en France. Par ailleurs, il renforce la liberté d'appréciation revenant au préfet. Ce dernier doit désormais vérifier : la réalité et la nature des activités professionnelles de l'étranger ; son insertion sociale et familiale ; son respect de l'ordre public ; son intégration à la société française et son adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci ; son adhésion aux principes de la République.

Plus encore, une circulaire du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, rendue le 24 janvier 2025, est venue définir de nouvelles orientations pour l'admission exceptionnelle au séjour (AES) concernant les étrangers en situation irrégulière. Cette dernière a pour objet de renforcer le pouvoir de libre arbitrage qu'ont déjà les préfectures, les invitant à davantage de fermeté en matière de régularisation.

Ce revirement engagé depuis maintenant deux ans semble regrettable puisqu'il n'assure plus un parcours d'intégration simplifié et fluide pour toutes celles et ceux désireux d'apporter leurs compétences dans les secteurs qui souffrent d'un défaut de personnel. Face au durcissement des conditions d'octroi de titres de séjour, notamment dans le cadre du travail, les risques sont multiples. Les employés illégaux n'étant pas protégés par le droit du travail, les conditions de travail des personnes étrangères risquent de se détériorer davantage, jusqu'à créer parfois des formes d'exploitation. En effet, durcir les conditions de séjour peut pousser un plus grand nombre de personnes dans la clandestinité, rendant l'accès au travail déclaré ou aux droits sociaux plus difficile.

Aussi, dans son article 1er, cette proposition de loi entend établir un mécanisme de régularisation par le travail. Cette mesure permettrait aux étrangers ayant exercé une activité professionnelle salariée dans un secteur en tension durant au moins douze mois, consécutifs ou non, au cours des vingt-quatre derniers mois, et qui justifient d'une période de résidence ininterrompue d'au moins trois années en France, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié » d'une durée d'un an.

Un tel mécanisme permettrait une régularisation fondée sur des critères objectifs et non discrétionnaires, ce qui permettrait en même temps de remédier à l'engorgement des préfectures.

L'article 2 prévoit de ne plus sanctionner pénalement un employeur qui, pour une activité professionnelle salariée figurant dans la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement, aurait recruté des salariés étrangers en situation irrégulière à condition de les embaucher dans les mêmes conditions qu'un autre employé non étranger.

* 1 Dares, Quels sont les métiers des immigrés ?, n° 36, juillet 2021

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