EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis le 1er janvier 1997, en application du décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996, sont interdites « la fabrication, l'importation, la mise sur le marché national, l'exportation, la détention en vue de la vente, l'offre, la vente et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d'amiante et de tout produit en contenant ».
Pour autant, l'amiante n'a pas disparu. Les risques de contamination des personnes comme de l'environnement sont toujours présents. L'amiante continue de tuer.
En 2005 déjà, un rapport du Sénat indiquait qu'il était responsable de 35 000 décès survenus entre 1965 et 1995 en France et allait causer de 65 000 à 100 000 décès supplémentaires entre 2005 et l'horizon 2025, 2030. Des chiffres confirmés par l'Agence nationale de santé publique (ANSP) qui estime que l'amiante sera responsable de 100 000 décès d'ici à 2050. La Ligue contre le Cancer précise qu'« il faut ajouter 18 000 à 25 000 décès dus au mésothéliome (cancer de la plèvre), sans même compter d'autres cancers tels que ceux du larynx ou des ovaires, pour lesquels la responsabilité de l'amiante a été confirmée par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ.) en 2009 ».
Devant nous est ouvert l'immense chantier du désamiantage et du traitement des déchets.
L'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) indique que les « fibres tueuses » restent présentes dans de nombreux équipements et bâtiments et alerte sur les risques que courent les professionnels des métiers de second oeuvre.
Selon les associations de défense des victimes, 20 millions de tonnes subsisteraient en France. En tout, 90 % des bâtiments, dont 85 % des bâtiments scolaires, construits avant 1997, 15 millions de logements construits entre 1960 et 1990, dont 3 millions de logements sociaux, seraient concernés.
Une étude de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) révèle que 4 % des canalisations d'eau potable au niveau national, soit 36 000 kilomètres, contiendraient encore de l'amiante. Le chiffre monte à 7 % dans la Métropole européenne de Lille (MEL).
Si les conditions de désamiantage des sites industriels, des bâtiments publics ou des logements particuliers évoluent globalement vers plus de rigueur - malgré des disparités entre les différents modes de traitement et les différentes régions - le problème de l'éradication de l'amiante reste, quant à lui, entier.
Il y aurait entre 300 000 et 600 000 tonnes de déchets par an, une fourchette large faute de chiffrage précis. Et 97 % d'entre eux sont enfouis dans le sol, sans inertage préalable, avec tous les risques que cela comporte sur les plans sanitaire et environnemental.
L'enfouissement ne peut plus être une fin en soi.
La résolution du Parlement européen du 14 mars 2013 était sans ambiguïté à ce propos et invitait « la Commission à promouvoir la création de centres de traitement et d'inertage des déchets contenant de l'amiante sur tout le territoire de l'Union en prévoyant l'arrêt progressif de l'élimination de ces déchets dans les décharges ».
Dans la foulée, le Comité économique et social européen adoptait en 2015 un avis (n° 2015/C 251/03 du 28 janvier) sur le thème « Éradiquer l'amiante de l'Union européenne », incitant les États membres à lancer des plans d'action et des feuilles de route pour l'éradication de l'amiante et à développer la recherche. Concernant la mise en décharge des déchets contenant de l'amiante, il indiquait : « La création de décharges pour les déchets d'amiante n'est qu'une solution provisoire au problème, qui est ainsi remis entre les mains des générations futures, car les fibres d'amiante sont pratiquement indestructibles. Il convient de promouvoir la recherche et l'innovation pour mettre en oeuvre des technologies durables pour le traitement et l'inertage des déchets contenant de l'amiante en vue de leur recyclage et de leur réutilisation en toute sécurité et de la réduction de la mise en décharge de ces déchets. »
Des solutions alternatives à l'enfouissement existent pourtant ou sont en cours de développement comme l'inertage par vitrification qui détruit totalement l'amiante.
Pour le moment, ce procédé n'est utilisé qu'à Morcenx dans les Landes, par la société Europlasma. Mais le coût de fonctionnement est élevé et la capacité du site réduite.
D'autres acteurs économiques, utilisant d'autres technologies que l'inertage (procédé Somez ou Valame par exemple), se disent prêts à massifier leur activité.
En décembre 2021, les travaux et un rapport de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) et du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGEITT) ont identifié quatre projets de procédés thermochimiques pour le « traitement des déchets d'amiante, afin de ne plus avoir à les stocker ». Une feuille de route devait être publiée en 2023. Elle se fait toujours attendre.
À l'évidence l'absence de volonté politique et de coordination publique se fait cruellement sentir. Ce que notait déjà un rapport sénatorial de 2014, qui préconisait la mise en place d'une structure interministérielle.
Le désamiantage et l'élimination définitive des déchets, qui suppose de mettre un terme à l'enfouissement, demandent un investissement important de la part des pouvoirs publics, seuls capables de répondre aux enjeux sanitaires et environnementaux et de garantir l'intérêt général. Cet investissement est cependant à mettre en rapport avec les coûts liés aux conséquences de l'exposition de 2 millions de salariés, dont la moitié dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), et avec ceux de l'impact environnemental.
Les collectivités locales sont régulièrement confrontées à des dépôts sauvages de déchets contenant de l'amiante sur leurs territoires. Cette situation représente un risque pour les populations et engage la responsabilité des collectivités.
L'article unique de la présente proposition de loi vise à créer un pôle public d'éradication de l'amiante qui interviendra dans toute la chaîne du processus de désamiantage, de la collecte des déchets jusqu'à leur élimination. Ce pôle public, constitué en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) répondra à un plan d'action national d'éradication de l'amiante tel que le préconise dans ses recommandations l'avis n° 2015/C 251/03 du Comité économique et social européen. Il rassemblera des acteurs du secteur dont l'intervention sera inscrite dans un cahier des charges.
Son conseil d'administration pourra être composé, à côté des représentants de l'État, d'élus locaux, de parlementaires, d'organisations représentatives des personnels, d'organisations syndicales des salariés, du Comité social et économique (CSE), des associations de défense des victimes de l'amiante et des maladies professionnelles ainsi que des associations de protection de l'environnement.
Le financement du pôle public sera déterminé par les lois de finances.