EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le succès historique de la pétition sur le site de l'Assemblée nationale contre la loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, dite « loi Duplomb », rassemblant 2 131 081 signatures, est venu illustrer avec force la vive préoccupation de nos concitoyennes et de nos concitoyens devant l'usage considérable de produits phytosanitaires en agriculture.

Préoccupation pour la santé humaine, à commencer par celle des agriculteurs et des agricultrices alors que les études se multiplient faisant état de lien avéré ou de présomption forte entre l'exposition aux pesticides et certaines maladies graves (lymphomes non hodgkiniens, tumeurs cérébrales, cancers de la prostate, cancer de l'ovaire, cancer du poumon et mélanomes, maladie de Parkinson, etc.).

En 2023, l'étude Géocap Agri de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) portant sur plusieurs milliers de jeunes de moins de 15 ans montre une association entre le risque de développer une leucémie de type « lymphoblastique » et l'étendue de la surface couverte par les vignes autour du domicile.

En 2024, le ministère de la Santé faisait état de près de 17 millions de nos compatriotes, un quart de la population, exposés à de l'eau non conforme aux limites de qualité vis-à-vis des pesticides au moins une fois dans l'année dont 12 millions régulièrement.

Cette pollution des eaux est une charge considérable pour la collectivité. Selon un rapport de 2011 du Commissariat général au développement durable, le coût complet du traitement annuel de pollutions liées à l'agriculture et à l'élevage (nitrates et pesticides) dissous dans l'eau serait supérieur à 54 milliards d'euros par an. Le coût théorique complet de dépollution du stock des eaux souterraines serait supérieur à 522 milliards d'euros. Une partie de ces montants, 640 à 1140 millions d'euros, se répercute de manière bien réelle chaque année sur la facture d'eau des ménages, représentant entre 7 et 12 % de cette facture en moyenne nationale.

En 2025, la vaste enquête Pestiriv' conduite par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et Santé publique France portant sur plus de 250 zones viticoles a mesuré la présence de 56 substances dans l'urine et les cheveux de 1 946 adultes et 742 enfants, ainsi que dans l'air extérieur, les poussières, l'air des habitations et certains potagers.

Préoccupation pour l'environnement également, alors que l'Europe a perdu plus de 25 % de ses oiseaux depuis 37 ans, l'étude Farmland practices are driving bird population decline across Europe a démontré que l'usage des pesticides et des engrais de synthèse était la raison principale de ce déclin. Cette causalité est notamment illustrée par l'effondrement bien supérieur des populations d'oiseaux dans les plaines agricoles : 60 % en 37 ans.

L'effondrement des populations d'insectes en Europe est également vertigineux avec des baisses mesurées allant de 25 à 80 % en quelques décennies, affectant l'ensemble de la biodiversité et les processus de pollinisation essentiels à l'agriculture.

Plus inquiétant encore, une étude parue en octobre dans la revue Environmental Science & Technology a pour la première fois estimé que plusieurs tonnes de substances actives (herbicides, insecticides, fongicides et leurs métabolites) étaient présentes dans les nuages circulant au-dessus du territoire de la France métropolitaine (au moins 6 tonnes et jusqu'à 20 fois plus selon la couverture nuageuse). Et qui peuvent ainsi être distribués à longue distance dans l'environnement très loin des zones de pulvérisation.

Tout à la fois légitimement préoccupés mais également conscients des difficultés structurelles du monde agricole, nos compatriotes font état de demandes raisonnables aujourd'hui largement ignorées par les pouvoirs publics et les syndicats agricoles : informations sur les périodes d'épandages et les produits pulvérisés, zones de non-traitement (ZNT) autour des habitations et lieux accueillant du public, notamment des publics fragiles, protection des zones de captages d'eau potable, etc.

Devant cette inertie de l'État, une soixantaine de maires à travers tout le pays et représentant toutes les sensibilités politiques se sont fait écho de cette aspiration en prenant des arrêtés pour interdire ou encadrer l'usage des pesticides sur leur territoire communal sur le fondement de leur pouvoir de police générale, venant ainsi combler un manquement de l'autorité administrative. Ces arrêtés ont été successivement cassés par plusieurs décisions du Conseil d'État confirmant l'incompétence des maires même en cas de carence de l'autorité de police spéciale de l'État et confortant avec vigueur l'exclusivité de la police spéciale des produits phytosanitaires.

Pour autant le problème reste entier. La protection des populations face à l'utilisation des pesticides est longtemps restée un angle mort des politiques publiques. Il a fallu attendre 2014 pour que le Gouvernement prenne les dispositions législatives nécessaires pour mettre à l'abri les établissements accueillant un public considéré comme particulièrement fragile. Il a ensuite fallu une condamnation de l'État pour qu'enfin la loi EGALIM du 30 octobre 2018 prévoie des dispositions propres à limiter l'exposition des riverains aux risques de contamination aigüe ou chronique sur la durée à compter du 1er janvier 2020.

Ainsi, le nouvel article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime dispose que l'utilisation des pesticides près des habitations est subordonnée à la mise en place de mesures de protection compte tenu du contexte pédoclimatique, topographique, environnemental ou sanitaire local, des matériels et des techniques utilisés. Celles-ci sont censées prendre la forme de chartes d'engagement départementales, validées par le préfet après consultation des riverains ou de leurs représentants.

L'objectif initial louable de ces textes départementaux était de mieux protéger les riverains, grâce à un processus permettant la compréhension mutuelle et l'apaisement des relations entre les différentes parties prenantes (agriculteurs, riverains, etc.). Cependant, considérant la très grande faiblesse de la réglementation nationale prévoyant essentiellement des zones de non-traitement (ZNT) insuffisantes oscillant entre 3 et 20 mètres selon les types de produits et les types voisinages, il est pour le moins curieux de confier une telle réglementation de l'usage des produits phytosanitaires aux utilisateurs eux-mêmes. Pire encore, ni le législateur ni le pouvoir réglementaire n'ont prévu de mécanisme de suivi, ni aucun mécanisme de contrôle de l'utilisation de ces chartes d'engagement, ni aucune sanction en cas de mauvaise application. Ces documents, quand ils existent, n'ont ainsi pratiquement aucune utilité.

Deux décisions de justice sont venues illustrer le caractère juridiquement bancal de ce dispositif. Ainsi, dans sa décision du 19 mars 2021, le Conseil constitutionnel a jugé les mots « après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées avec un produit phytopharmaceutique » figurant à la dernière phrase du premier alinéa du paragraphe III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime contraires à la Constitution pour non-respect des dispositions de l'article 7 de la Charte de l'Environnement relatif à la consultation du public. Le Conseil constitutionnel indique notamment à juste titre que les personnes travaillant à proximité des zones traitées sont totalement absentes du processus de concertation. Dans la foulée, dans sa décision du 26 juillet 2021, le Conseil d'État a jugé que la réglementation sur les chartes d'engagement n'assurait pas une protection suffisante des personnes habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées et des personnes présentes. Ces deux décisions n'ont curieusement entraîné, quatre ans plus tard, aucune modification de la loi.

L'article 1er de la présente proposition de loi ambitionne donc d'adapter le droit au regard de la décision du Conseil constitutionnel en spécifiant que l'élaboration de la charte doit respecter les procédures de consultation du public prévues par l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement. Plus largement, il revoit largement le processus d'élaboration de la charte en associant, sous l'autorité du préfet, les utilisateurs de produits phytosanitaires, les riverains des parcelles et les maires des communes concernées, invités à prendre toute leur place dans cette concertation en définissant avec leur conseil municipal les zones sensibles de leur territoire communal. L'article prévoit également que cette charte doit être compatible avec le plan régional de l'agriculture durable, les éventuels projets alimentaires territoriaux et les schémas de cohérence territoriaux. Les chartes doivent également prévoir des dispositifs d'information des riverains en temps réel comme cela existe déjà dans certaines communes viticoles. Il vise enfin à créer un comité de suivi pour en assurer l'application et un mécanisme de révision quinquennale.

S'agissant de l'information du public, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'État, le 1er juillet 2025, à transmettre les registres d'épandage de pesticides agricoles de la commune de La Sauve (Gironde), que l'association Générations Futures lui réclamait sur une demande fondée sur le droit d'accès aux informations environnementales prévu par la directive européenne n° 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 et les articles L. 124-2 et L. 124-5 du code de l'environnement. Cette condamnation est venue illustrer le non-respect par la France des dispositions du règlement européen (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 relatives aux registres d'épandage. En vertu de ce règlement, les utilisateurs professionnels de produits phytosanitaires doivent tenir pendant au moins trois ans les registres des produits qu'ils utilisent (nom, dose, moment d'utilisation, zone et culture concernées). Sur demande, ils doivent les communiquer à l'autorité compétente, les tiers concernés (industrie de l'eau potable, habitants...).

Au mois de septembre 2025, à l'issue de la publication de son étude PestiRiv, qui démontre que les riverains des vignes sont plus imprégnés par les pesticides que les autres Françaises et Français, l'ANSES demande la création d'un registre national sur l'utilisation des produits phytosanitaires.

L'article 2 adapte le droit national aux exigences du droit communautaire (article 67 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 relatives aux registres d'épandage) tout en exigeant la transmission systématique des registres d'épandage à l'autorité administrative et leur mise à disposition du public sur demande. Il crée également le registre national demandé par l'ANSES et géré par elle qui est une indispensable mesure de santé publique tant pour faciliter les travaux de recherche que pour favoriser le traitement médical des empoisonnements aux pesticides. Il s'agit de garantir le droit d'accès à l'information relative à l'environnement et d'assurer l'accès à ces registres sur une temporalité suffisamment longue dans un objectif de recherche à visée scientifique.

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