EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La contrefaçon est une criminalité à bas bruit, mais à haut risque. Elle ne déclenche ni cellule interministérielle, ni plan d'urgence, ni mobilisation médiatique. Pourtant, elle infiltre tous les secteurs, mine notre économie, met en péril notre sécurité sanitaire, affaiblit notre souveraineté industrielle et alimente les réseaux criminels les plus structurés, jusqu'au financement du terrorisme.
Le marché mondial de la contrefaçon représente 2,5 % du commerce international. En France, elle coûte chaque année entre 7 et 9 milliards d'euros, détruit 38 000 emplois et prive les finances publiques d'environ 16 milliards d'euros de recettes fiscales. Les secteurs stratégiques sont particulièrement touchés : le luxe subit un manque à gagner de 3,5 milliards d'euros, mais aucun domaine n'est épargné : pièces détachées, jouets, médicaments, logiciels, produits alimentaires, oeuvres culturelles.
Au-delà du préjudice économique, les dangers sanitaires sont majeurs : lunettes contrefaites qui brûlent la rétine, jouets toxiques ingérés par nos enfants, médicaments falsifiés inefficaces, voire mortels. La contrefaçon fait des victimes. Elle n'est pas le fait de petits délinquants isolés mais de réseaux transnationaux opportunistes et pluridisciplinaires, qui exploitent les failles de la mondialisation et les zones grises du commerce numérique. Elle irrigue les circuits du blanchiment, finance les mafias, les trafics de stupéfiants et le terrorisme. Elle « rapporte » davantage que le narcotrafic, tout en bénéficiant d'un niveau de tolérance sociale préoccupant et d'un niveau de poursuite judiciaire minime.
Ce n'est pas un délit folklorique : c'est un crime économique, un crime sanitaire, un crime démocratique.
La lutte contre la contrefaçon ne doit plus se limiter à des opérations ponctuelles ou à des condamnations symboliques. Elle exige une stratégie globale, articulée autour de trois piliers : la fermeté pénale, la responsabilisation des acteurs et l'acculturation citoyenne.
La contrefaçon est aujourd'hui un levier structurant de la criminalité économique. Elle s'insère dans des réseaux transnationaux qui maîtrisent les flux numériques, logistiques et financiers, et exploitent les failles de la mondialisation comme celles de nos dispositifs judiciaires. Le rapport sénatorial Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société (juin 2025) l'a établi sans détour : ces organisations, capables de blanchir jusqu'à 58 milliards d'euros par an, sont devenues trop rentables pour être négligées, trop agiles pour être contenues par des outils dispersés.
Face à cette sophistication, notre arsenal juridique reste trop faible, trop lent, trop dispersé. Il faut :
· spécialiser les juridictions dans le traitement des délits économiques, de propriété intellectuelle et de blanchiment ;
· renforcer les moyens d'enquête douaniers, cybercriminels et financiers, en créant des unités mixtes capables d'agir sur les flux numériques, logistiques et bancaires ;
· durcir les peines, en proportion du préjudice économique, sanitaire et institutionnel, pour que le crime ne paie plus ;
· sanctionner la détention, pas seulement la production ou la vente, par une amende forfaitaire applicable aux acheteurs ;
· organiser des opérations coup de poing, visibles et coordonnées, ciblant plateformes numériques, marchés physiques et zones logistiques ;
· assumer une stratégie médiatique, pour rendre la lutte contre la contrefaçon lisible, dissuasive et politiquement prioritaire.
La contrefaçon ne prospère pas sans acheteurs. Pourtant, le consommateur reste le grand absent des politiques publiques. Certains achats sont coupables : par goût du faux ou par souci d'économie, des consommateurs choisissent sciemment des produits contrefaits, alimentant directement les circuits criminels. Ce comportement doit être reconnu et sanctionné.
Mais une méconnaissance massive persiste. Le rapport UNIFAB (septembre 2023) montre qu'une part significative de la population, notamment les 15/18 ans, ignore que des produits du quotidien - jouets, cosmétiques, médicaments - peuvent être contrefaits. Cette ignorance est aggravée par les usages numériques : achats en ligne, marketplaces opaques, influence commerciale non régulée.
Ce déficit de perception est un angle mort stratégique. Il appelle une réponse pédagogique forte :
· intégrer la lutte contre la contrefaçon dans les programmes scolaires dès le collège ;
· former enseignants, éducateurs et médiateurs numériques à ces enjeux ;
· encadrer les pratiques des influenceurs et des plateformes, avec des obligations claires de transparence et de vérification ;
· déployer des campagnes ciblées, fondées sur des cas concrets et éloquents (lunettes qui brûlent la rétine, jouets toxiques, médicaments falsifiés).
Face à cette criminalité à bas bruit, mais systémique, notre réponse ne peut plus être fragmentaire ni passive. Il faut passer du constat à la stratégie, de la tolérance à la fermeté, de l'ignorance à l'acculturation.
La présente proposition de loi vise à :
· durcir la réponse pénale et institutionnelle ;
· responsabiliser les consommateurs ;
· donner aux enquêteurs des moyens adaptés à la sophistication des réseaux criminels.
Ainsi, l'article 1er ouvre la voie à une responsabilisation directe du consommateur. Trop souvent absent des politiques publiques, celui-ci est pourtant un maillon essentiel de la chaîne de la contrefaçon. En instaurant une amende forfaitaire délictuelle pour la détention de produits contrefaits destinés à l'usage personnel ou à la vente occasionnelle, il s'agit de sanctionner la demande qui alimente l'offre. Le montant de l'amende (200 €, minorée à 150 €, majorée à 450 €) est calibré pour être dissuasif sans être disproportionné, afin de rendre visible et tangible la responsabilité individuelle.
L'article 2 complète cette responsabilisation par un renforcement des moyens d'action des enquêteurs. La contrefaçon étant désormais orchestrée par des réseaux transnationaux structurés, il est indispensable que les infractions commises en bande organisée puissent bénéficier des mêmes techniques spéciales d'enquête que celles utilisées pour d'autres formes de criminalité organisée. Cette extension permet d'adapter notre arsenal judiciaire à la réalité des flux numériques et logistiques exploités par ces réseaux.
Dans le prolongement de ce renforcement, l'article 3 introduit une innovation opérationnelle : l'autorisation du recours à la technique dite du « coup d'achat ». En permettant aux officiers de police judiciaire de procéder à l'acquisition contrôlée de produits contrefaits, il s'agit de faciliter la constatation en flagrance des infractions et l'identification des auteurs. Cette disposition donne aux enquêteurs un outil concret et efficace, adapté à la sophistication des circuits de distribution illicites.
Enfin, pour que la réponse pénale soit à la hauteur du préjudice subi, l'article 4 prévoit un durcissement des peines encourues pour les délits de contrefaçon. En relevant les plafonds de prison et d'amende, la sanction devient proportionnée aux atteintes économiques, sanitaires et institutionnelles. Elle vise à dissuader des organisations criminelles qui considèrent aujourd'hui la contrefaçon comme plus rentable et moins risquée que le narcotrafic.
La présente proposition de loi traduit une volonté politique claire : faire de la lutte contre la contrefaçon une priorité nationale. Elle responsabilise les consommateurs, renforce les moyens d'enquête et durcit les peines, afin de réduire l'attractivité économique de ce crime et de protéger la santé publique, l'économie et la souveraineté nationale.