EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de loi fait partie d'un ensemble de textes déposés par Olivier Jacquin dans le cadre des débats budgétaires pour le PLF 2026.
1,5 milliard par an en France. Le nombre de livraisons de colis a considérablement augmenté ces dernières années du fait de l'explosion du e-commerce et de l'accélération du changement des modes de consommation, notamment dopée par la crise sanitaire de 2020-2021. Le directeur général de Colissimo estimait même au sortir du premier confinement avoir « gagné entre deux et trois ans de croissance d'un coup et le marché n'est pas structuré pour ces volumes ». Mais cette explosion du nombre de colis livrés chaque jour en France représente également d'immenses défis sociaux, économiques, environnementaux, financiers... et réglementaires !
Les plateformes de vente en ligne génèrent une concurrence déloyale avec les commerçants physiques de nos centres-villes et centres-bourgs en pratiquant un dumping considérable sur les coûts de livraison des biens qu'elles commercialisent, le plus souvent à perte. C'est en partie ce qui explique qu'un géant comme Amazon dégage un résultat net aussi faible en proportion de son chiffre d'affaires (environ 1 %). Alors que la législation avait interdit la livraison gratuite, les plateformes contournèrent le problème en proposant une livraison à quelques centimes ou gratuite sur abonnement.
Ces pratiques génèrent des flux de livraison non-optimisés qui sont également particulièrement impactants en termes d'émissions de gaz à effet de serre et de congestion routière du fait des nombreuses rotations de véhicules. En ville, ce flux de transport de marchandises correspond à 20 % du trafic et à 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Outre les conséquences en matière environnementale et sur la santé publique, l'expansion toujours croissante des livraisons opérées par les acteurs du e-commerce contribue fortement à augmenter la congestion urbaine et l'usure des infrastructures routières et des emplacements de livraisons, à la charge des collectivités, alors même que les investissements de ces collectivités cherchent, par le développement des transports en commun, à libérer de l'espace de voirie et à décongestionner le trafic. C'est donc sans contrepartie que les plateformes d'e-commerce profitent ainsi doublement des investissements locaux dont elles neutralisent en partie les effets.
Alors que des villes ou États étrangers ont mis en place des dispositifs fiscaux visant à frapper les livraisons des biens opérées par ces plateformes (la ville de Barcelone, l'État du Colorado ou encore l'État du Minnesota), plusieurs propositions ont également été avancées en ce sens en France : une taxe sur les livraisons liées au commerce électronique avait été envisagée en 2018 dans le cadre de la proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs ; une proposition similaire figurait également dans le rapport commandé par le ministère des transports à l'ancien député Philippe Duron en 2021 ; le rapport du Sénat de juillet 2023 sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité appelait encore à l'établissement d'une telle contribution. Cette piste a également été partagée par des groupes politiques de tous bords lors des Assises du financement des transports franciliens en début d'année 2023 et, plus récemment, le Groupement des autorités responsables de transport (GART) a proposé une mesure similaire.
En parallèle, la mission d'information sénatoriale de 2021 sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux avait souligné l'impact environnemental de ces livraisons. Elle avait formulé des recommandations pour responsabiliser davantage les consommateurs sur ce sujet, notamment à travers l'instauration d'un écoscore permettant d'évaluer le bilan carbone des livraisons.
La présente proposition de loi vise ainsi à concrétiser plusieurs des propositions énoncées et se veut une contribution complémentaire à la préparation de la future loi cadre suite aux conclusions de la conférence « Ambition France Transports », car si l'atelier 4 était consacré au transport de marchandises, il n'a pas traité ce sujet spécifique des livraisons de biens et s'est davantage consacré aux infrastructures logistiques.
C'est pourquoi l'article 1er propose d'instaurer une taxe des livraisons du e-commerce, basée sur un écoscore prenant en compte l'impact environnemental de la livraison. Cet écoscore, inspiré du dispositif existant depuis 2024 pour le bonus écologique sur l'acquisition de véhicules propres, prendrait notamment en compte la distance entre le lieu de fabrication ou de stockage du bien et le lieu de livraison, les modes de transport employés au cours du processus de livraison ou encore les délais de livraison choisis par le consommateur. Ses critères et modalités de calculs seraient définis par un décret, pris après avis de l'Ademe.
L'article 2 crée une taxe sur les livraisons de biens opérées par certaines plateformes numériques de vente en ligne dont le produit serait affecté aux AOM et AOMR. Cette taxe entend assujettir les seules plateformes qui opèrent les volumes de livraisons les plus conséquents, définies à partir d'un critère objectif et rationnel fondé sur les seuils de chiffre d'affaires également applicables en matière de taxe sur certains services numériques, tout en exonérant les livraisons de biens à destination des territoires ruraux, lesquels sont moins concernés par les problématiques susmentionnées et dont les habitants sont parfois contraints de recourir à de telles livraisons.
Il vise également à défendre les petits commerçants en rééquilibrant la concurrence déloyale avec les géants du e-commerce et lutter contre les oligopoles. Bien que l'e-commerce puisse être une opportunité pour des petits commerçants et créateurs de toucher de nouveaux clients, ils ne sont pas égaux face aux plateformes et n'ont pas les mêmes moyens. En exemptant les petits commerçants de cette contribution via un chiffre d'affaires minimum à réaliser et en excluant les livraisons en magasin physique, l'auteur souhaite encourager un équilibre plus juste entre les plateformes d'e-commerce et les vendeurs indépendants. Une exemption pour les services de livraison en point-relais participerait également à favoriser l'activité et le dynamisme des commerces de proximité tout en limitant les déplacements inutiles du dernier kilomètre dus aux échecs de livraisons des destinataires absents. En faisant payer à la plateforme un montant forfaitaire au moment de la validation du panier pour l'envoi du colis, peu importe le nombre de colis, le regroupement des envois est favorisé, évitant la multiplication des envois à l'unité, ce qui aide également les entreprises de logistique à consolider leurs envois pour une meilleure efficacité.
Enfin, l'affectation de la taxe aux collectivités territoriales constitue une simple modalité de financement des collectivités concernées et n'entraîne, pour elles, aucune charge nouvelle ni aucune dépense supplémentaire.
Enfin, l'article 3 propose que soit instituée une taxe sur les livraisons qui serait dégressive à mesure que la durée de livraison augmente afin d'envoyer un signal prix aux consommateurs. Ainsi, si une personne souhaite mobiliser des moyens logistiques importants pour se faire livrer un bien produit sur un autre continent en mois de 24 heures, elle devra en supporter un coût supérieur, ou accepter que ce bien suive un parcours moins cher et donc plus optimisé (fret maritime au lieu de fret avion, camion 39 tonnes au lieu de petit utilitaire). L'affichage de prix différenciés selon le temps de livraison selon le temps de livraison, et donc incitatifs au temps moins court, permettrait d'entamer l'évolution des pratiques de consommation et serait de nature à réduire l'empreinte carbone de la logistique de la livraison.
Ainsi, une livraison à J-0 pourrait être taxée à 3 % du montant de la commande, à J+1 à 2 % et à partir de J+3 à 1 %.