EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors qu'elle a longtemps été envisagée comme un acte avant tout juridique et administratif, la commande publique est devenue un enjeu profondément politique au croisement de toutes les grandes mutations du monde et la preuve de concept par excellence pour des élus attachés à retisser des liens de confiance avec leurs concitoyens.

Désormais politique publique pleine et entière, la commande publique constitue ainsi un puissant levier de soutien à l'activité économique. En 2023, elle représentait - pour les seuls contrats d'un montant supérieur ou égal à 90 000 euros HT - environ 170,7 milliards d'euros, soit 6 % du PIB. La Cour des comptes européenne a quant à elle estimé son poids économique à 14 % du PIB, soit près de 2 400 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne et près de 400 milliards d'euros pour notre seul pays.

Au terme de ses travaux avec un rapport et 67 recommandations adoptés à l'unanimité le 8 juillet 2025, la commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française a souligné le potentiel insuffisamment exploité de la commande publique pour accélérer le basculement de l'économie française et européenne dans l'ère de la souveraineté économique, agricole, industrielle et numérique, des transitions écologiques et sociales et du renforcement de nos entreprises et de l'emploi dans nos territoires.

Trop longtemps un impensé de l'action publique, qu'elle irrigue pourtant, la commande publique a subi ces dernières années un pilotage défaillant, la soumettant à des injonctions contradictoires ayant pour conséquence un décalage entre les annonces et les actes, au détriment des acheteurs publics les moins experts et des opérateurs économiques, en particulier les TPE-PME. Il importe aujourd'hui de changer de méthode, d'affirmer un cap, de s'y tenir et de conjuguer volontarisme politique et efficacité de la dépense publique. Ses acteurs dans la sphère publique comme privée, qui constituent un rouage essentiel de l'action publique, méritent une meilleure reconnaissance de leur activité et un soutien accru à leur professionnalisation.

Dans le même temps, il appartient à l'État de revoir d'urgence les modalités de pilotage politique et administratif de cette politique, dans un souci de plus grande clarté et de meilleure association des collectivités territoriales, qui constituent les premiers acheteurs publics de France. Il résulte en effet du recensement économique établi par l'OECP que la commande publique est principalement portée par les collectivités territoriales, qui représentaient, en 2023, 80 % de l'ensemble des marchés publics, contre seulement 8 % pour l'État et 12 % pour les entreprises publiques et les opérateurs de réseaux.

Il est difficile de voir clair au travers de cette architecture centrale particulièrement confuse au sein de laquelle les responsabilités sont diluées et parfois difficilement attribuables. Il faut d'urgence mettre un capitaine à la barre. Compte tenu des montants en jeu, des objectifs assumés de contribution à la souveraineté économique française et européenne et de la profonde transversalité de la politique publique que constitue la commande publique, la commission d'enquête a défendu la nécessité que la responsabilité de son pilotage incombe au Premier ministre, qui serait ainsi le garant de sa cohérence et de son efficience. En effet, s'ils sont, en théorie, libres de définir leur politique d'achat, les hôpitaux et les collectivités territoriales ne disposent pas de la maîtrise de leurs ressources et se trouvent par conséquent contraints par des décisions relevant du Gouvernement.

Afin de faire vivre cette politique publique et de la placer dans une logique d'amélioration continue en y associant étroitement la représentation nationale, l'organisation d'un débat annuel d'évaluation de la politique d'achat de l'État au Parlement, prenant appui sur un véritable pilotage par la donnée, constituera un temps fort pour la modernisation de l'action publique.

Pour garantir l'efficacité de la dépense publique, un pilotage par la donnée pleinement effectif s'impose urgemment en systématisant les remontées statistiques dès le premier euro - tandis que le seuil de déclaration est aujourd'hui à 25 000 euros HT - tout en modulant les obligations de remontée des données en fonction du montant du marché pour tenir compte des contraintes particulières pesant sur les petits acheteurs. Ce pas supplémentaire en matière de transparence est une garantie indispensable de la fiabilité et de l'exhaustivité des données présentées. Une telle mesure apparaît également comme un gage de vérité à l'heure où, comme cela a été mis en lumière par les travaux de la commission d'enquête, l'évolution rapide du cadre juridique se fait souvent au détriment de la prise en compte de son effet sur les plus petits acheteurs, les décideurs publics n'ayant accès qu'à un suivi de la mise en oeuvre de ces mesures nouvelles sur les plus gros marchés.

L'article 1er met ainsi en oeuvre les recommandations n° 4, n° 6 et n° 61 de la commission d'enquête.

Le titre II de la présente proposition de loi entend simplifier les procédures de la commande publique et développer la mutualisation des achats.

Pour accéder à un marché, et, dans certains cas, périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du marché, un opérateur économique est tenu de fournir à l'acheteur public un certain nombre de documents, ce qui représente une véritable lourdeur administrative pour les deux parties. Dans ce contexte, la création d'un « passeport commande publique » constitue une mesure de simplification attendue. Concrètement, il s'agit de créer une plateforme permettant de vérifier la régularité de la situation fiscale et sociale des candidats, remplie, notamment, par l'administration fiscale et les organismes chargés du recouvrement des cotisations sociales, consultable par les acheteurs publics et respectant les exigences posées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Une attestation de non-exclusion de la procédure de passation des marchés serait ainsi automatiquement générée pour les candidats à jour de leurs obligations légales et réglementaires. Le temps gagné en conséquence par les acheteurs et les opérateurs économiques pourrait dès lors être réinvesti dans le sourcing des offres locales et l'amélioration de l'expression de leurs besoins dans l'objectif de faciliter l'accès des TPE et des PME à la commande publique. Conformément à la recommandation n° 43 de la commission d'enquête, l'article 2 met donc en place, via une plateforme en ligne, un « passeport commande publique » attestant du respect par les soumissionnaires à un marché public et son titulaire de leurs obligations légales et réglementaires, notamment en matière fiscale et sociale.

Une part non négligeable des marchés publics est réalisée par des centrales d'achat pour le compte d'autres acheteurs publics. Le recours à ces structures permet d'accélérer le délai d'acquisition de fournitures ou de services, les centrales d'achat effectuant en interne les procédures de passation des marchés, dont les démarches de publicité et de mise en concurrence, selon diverses procédures (acquisition dynamique, accord-cadre, achat-revente). Elles garantissent la validité juridique de leur montage contractuel et contribuent à l'atteinte de seuils de massification d'achats et de maîtrise de la dépense pour les acheteurs publics au volume d'achat restreint. En effet, conformément à l'article L. 2113-4 du code de la commande publique, un acheteur qui recourt à une centrale d'achat est considéré comme ayant respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

La plus connue d'entre elles, l'Union des groupements d'achats publics (Ugap) est un établissement public industriel et commercial placé sous la tutelle du ministre chargé du budget et du ministre chargé de l'éducation nationale à laquelle tout acheteur public peut recourir. Elle représente à elle seule près de 3 % des marchés publics français, avec des commandes enregistrées d'un montant de 5,9 milliards d'euros en 2024, en progression de 6,2 % en un an.

Au vu des montants financiers concernés par ces procédures, des interrogations et des insatisfactions exprimées par de nombreux acheteurs publics faisant appel à leurs services, un pilotage politique assumé de la gouvernance de ces structures apparaît nécessaire et déterminant pour garantir l'atteinte des objectifs fixés, notamment en matière d'efficacité de la dépense publique, de soutien aux TPE-PME et de structuration de filières économiques souveraines à l'échelle de notre pays et de notre continent.

Conformément aux recommandations n° 6, n° 30 et n° 31 de la commission d'enquête, l'article 3 précise donc les objectifs assignés à l'Ugap et modernise sa gouvernance en actualisant sa tutelle gouvernementale, en limitant le mandat des administrateurs dans le temps et en permettant aux deux chambres du Parlement d'être représentées au sein de son conseil d'administration. Il institue par ailleurs une obligation de déclaration des centrales d'achat auprès du ministère de l'économie et leur impose, à partir d'un seuil d'achat fixé par décret, de publier un rapport annuel d'activité.

Forte de très nombreux témoignages d'élus locaux, la commission d'enquête a appelé à encourager fortement le recours à la mutualisation des achats publics, notamment pour les petites communes aux faibles volumes d'achats afin qu'elles bénéficient de l'expertise et de la force de structuration des achats offertes par la massification des marchés. Tel est l'objet de l'article 4 qui met en oeuvre la recommandation n° 14 de la commission d'enquête en assouplissant les conditions de recours aux groupements de commandes pour les communes et les intercommunalités.

Le pilotage de la restauration scolaire se heurte à l'articulation parfois complexe des compétences entre les collectivités territoriales et l'État. En effet, si les collectivités sont prescriptrices du fonctionnement des services de restauration collective des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) et assurent leur financement, les secrétaires généraux chargés de la gestion matérielle, financière et administrative, agents de l'Éducation nationale, ont conservé la maîtrise des recettes et des dépenses de certaines sections du budget des établissements scolaires, notamment de celle relative au service de restauration. Bien que l'article 145 de la loi dite 3DS ait consacré une forme d'autorité fonctionnelle des collectivités sur ces adjoints gestionnaires des EPLE, cette solution n'est pas opérante sur le terrain. L'effet concret d'une telle mesure est à relativiser aux dires des collectivités entendues et plaide en faveur du transfert de ces agents du ministère de l'Éducation nationale aux collectivités pour instaurer une réelle autorité hiérarchique, plus concrète et efficace. Afin d'assurer un pilotage plus cohérent des services de restauration scolaire, l'article 5 de la présente proposition de loi s'inscrit dans la perspective de la recommandation n° 8 de la commission d'enquête en prévoyant, d'ici la rentrée scolaire 2027, un transfert des secrétaires généraux des établissements publics locaux d'enseignement aux collectivités de tutelle de ces derniers.

Plusieurs autres mesures de simplification ont été suggérées par les acheteurs publics entendus par la commission d'enquête, s'agissant par exemple de la rémunération du maître d'oeuvre. En effet, M. Emmanuel Sallaberry, maire de Talence et coprésident de la commission des finances de l'AMF, a fait état des conséquences financières de la libre négociation de cette rémunération : « Je prendrai pour exemple une modification dans les concours d'architectes qui a moins de cinq ans. Auparavant, on choisissait à la fois l'équipe et le pourcentage de rémunération de la maîtrise d'oeuvre [...] Désormais, on choisit l'équipe et l'on négocie ensuite le pourcentage de gré à gré. En conséquence, ce pourcentage a augmenté, passant de 5 % ou 10 % à 15 % avec la rémunération de tous les bureaux d'études ». Afin de redonner de la visibilité aux élus et leur permettre de décider en toute connaissance de cause, l'article 6 met donc en oeuvre la recommandation n° 44 de la commission d'enquête visant à exiger la mention, dans le dossier de candidature, de la rémunération demandée au titre de la maîtrise d'oeuvre dans le cadre d'un concours.

Le titre III de la présente proposition de loi entend répondre à plusieurs préoccupations exprimées par les élus, les acheteurs et les opérateurs économiques pour sécuriser l'exercice de leurs prérogatives.

Comme le souligne le rapport remis en mars 2025 au Premier ministre par M. Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d'État, intitulé « Sécuriser l'action des autorités publiques dans le respect de la légalité et des principes du droit », le champ du délit de favoritisme est extrêmement large et conduit souvent à des autocensures excessives et préjudiciables à l'intérêt général. Conformément à la recommandation n° 55 de la commission d'enquête, dans le plus strict respect de l'État de droit, il convient donc d'exclure du délit de favoritisme toute méconnaissance, même délibérée, du droit de la commande publique, lorsqu'elle vise à permettre d'atteindre un objectif d'intérêt général impérieux et lorsque l'acheteur, en le méconnaissant, même délibérément, n'avait pas l'intention d'octroyer un avantage injustifié. Tel est l'objet de l'article 7.

Plusieurs informations portées à la connaissance de la commission d'enquête l'ont conduit à penser que, sous couvert de leur rôle de conseil, certains assistants à maîtrise d'ouvrage (AMO) pourraient inciter un maître d'ouvrage à recourir à des solutions dans lesquelles ils ont, par ailleurs, des intérêts. Or, il appartient aux pouvoirs publics de protéger, par le développement de la formation des acheteurs, leur autonomie de jugement et d'action ainsi que leur liberté de choix, conditions sine qua non à la bonne utilisation des deniers publics. Pour les accompagner dans cette démarche, l'article 8 met, quant à lui, en oeuvre la recommandation n° 60 de la commission d'enquête en soumettant les organismes qui assurent des missions d'AMO auprès de personnes publiques à l'obligation d'obtenir une habilitation qui serait accordée par l'État, à la condition de fournir des garanties suffisantes en termes de probité, notamment par la mise en oeuvre de processus internes de prévention des conflits d'intérêts en lien avec l'exercice de telles missions au profit d'entreprises privées.

En 2024, la commande publique représentait 42,3 % de l'activité de détection d'indices de pratiques anticoncurrentielles des services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contre 33 % en 2020. Pour autant, en cas de transaction proposée par le ministre de l'économie, le montant de cette dernière ne peut excéder 150 000 euros ou 5 % du dernier chiffre d'affaires connu en France si cette valeur est plus faible. En tout état de cause, le montant maximal de la transaction paraît beaucoup trop faible pour être véritablement dissuasif. Conformément à la recommandation n° 2 de la commission d'enquête, l'article 9 propose donc de supprimer le plafond de 150 000 euros applicable aux transactions pouvant être proposées par la DGCCRF aux entreprises ayant recouru à des pratiques anticoncurrentielles.

L'article 10 procède quant à lui aux nécessaires coordinations pour l'application de la présente proposition de loi en outre-mer.

Partager cette page