EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'invasion de l'Ukraine par la Russie a exacerbé les différents défis auxquels est confrontée l'Union européenne dans le domaine de l'énergie , au point que certains États membres mettent quasiment en oeuvre une véritable économie de guerre. En raison des sanctions adoptées envers la Russie, fournisseur essentiel pour l'Europe, les prix de l'énergie, déjà en hausse dès le début de l'été 2021 avec la reprise économique qui a suivi la crise de la Covid-19, ont connu une flambée, rappelant avec encore plus d'acuité les enjeux de sécurité et de souveraineté énergétiques auxquels l'ensemble des pays européens doit apporter, de façon urgente, des réponses. Le conflit ukrainien a particulièrement mis en lumière la vulnérabilité et la dépendance des économies européennes à l'égard des livraisons de gaz, de charbon et de pétrole russes . Selon les dernières données d'Eurostat, au premier semestre 2021, plus de 48 % des importations de gaz, 45 % de celles de charbon et plus de 25 % de celles de pétrole dans l'Union provenaient de la Fédération de Russie . Toutefois, le niveau de dépendance de chaque État membre en la matière est très variable. Le gaz russe ne représente, par exemple, que 17 % de l'ensemble des importations de gaz pour la France contre plus de 75 % pour dix États membres 1 ( * ) .

• Souveraineté et sécurité énergétiques devenues priorités
de l'UE

Les enjeux de souveraineté et de sécurité énergétiques, liés à la situation géopolitique, n'ont pas cessé de dominer l'agenda européen du premier semestre 2022 , au cours duquel, l'Union a adopté six paquets de sanctions à l'égard de la Russie , parmi lesquelles figurent notamment l'interdiction de la totalité des importations de charbon, d'ici août, et de 90 % de celles de pétrole, d'ici décembre, en provenance de Russie. Ces enjeux sont rendus plus aigus du fait de la décision de la Russie de réduire ses livraisons de gaz vers l'Europe , avec le risque de rupture d'approvisionnement en cas d'arrêt total des exportations russes. C'est pourquoi de nouvelles mesures ont été annoncées par la Commission européenne, le 20 juillet 2022, prévoyant notamment une réduction de 15 % de la consommation de gaz de l'UE.

Lors du Sommet de Versailles, des 10 et 11 mars derniers, les chefs d'État ou de Gouvernement de l'Union européenne avaient invité la Commission européenne 2 ( * ) à proposer, d'ici la fin du mois de mai 2022, un plan REPowerEU visant à rendre l'Union indépendante des combustibles fossiles russes . Présenté le 18 mai dernier par la Commission, ce plan s'articule autour de trois axes : les économies d'énergie, la diversification des approvisionnements et la transition énergétique . Il vise à répondre aux conséquences de la guerre en Ukraine sur le marché de l'énergie, à mettre fin à la dépendance européenne aux énergies fossiles russes et à limiter la hausse des prix des énergies. Le vice-président de la Commission européenne, M. Frans Timmermans, a ainsi déclaré : « nous réduirons nos importations de gaz russe d'un tiers dès cette année, puis, à l'horizon 2027, nous réduirons notre dépendance à zéro si tout fonctionne bien » . La Commission européenne estime que ce plan doit permettre à l'Union de réaliser une économie de près de 100 milliards d'euros par an sur ses dépenses d'importations de combustibles fossiles . Par ailleurs, près de 300 milliards d'euros devraient être mobilisés d'ici 2030 pour sa réalisation.

Dans le cadre de la conférence interparlementaire sur l'autonomie stratégique économique de l'UE, tenue au Sénat, le 14 mars 2022, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne (PFUE), la Commission des affaires économiques du Sénat a appuyé cette mobilisation européenne ; aussi, la Présidence française de cette conférence a publié des conclusions proposant « d'accélérer la mise en oeuvre de la sortie des économies européennes des énergies fossiles, prévue par le paquet “Ajustement à l'objectif 55” » , « d'adopter une stratégie européenne en faveur de la sécurisation de l'approvisionnement en métaux stratégiques pour la transition énergétique, adossée [à ce paquet] » , et « de limiter d'urgence la dépendance des économies européennes aux importations d'hydrocarbures, notamment de gaz, et de métaux stratégiques, notamment d'aluminium, de nickel, de palladium ou de titane, en provenance de Russie » .

• La réponse : le plan REPowerEU, encore plus ambitieux que le paquet « Ajustement à l'objectif 55 »

Le plan REPowerEU prévoit un ensemble de mesures pour soutenir les objectifs de la politique énergétique de l'Union concernant l'accélération du déploiement des énergies renouvelables, le renforcement de l'efficacité énergétique, la consolidation de la sécurité d'approvisionnement électrique et gazière, la mise en place d'un mécanisme d'achat conjoint de gaz, des financements additionnels dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR). La réforme du marché européen de l'électricité, avec des discussions sur la révision du principe du coût marginal, et celle du marché européen du carbone sont également en débat.

La transition vers des sources d'énergies neutres en carbone et l'accélération de l'efficacité énergétique offrent, en effet, des leviers pour s'affranchir de la dépendance aux combustibles fossiles russes et pour assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'UE .

Dans le cadre de ce plan, plusieurs initiatives législatives sont proposées afin d'accroître les ambitions de l'Union européenne en matière de transition énergétique . Il s'agit, pour l'essentiel, de rehausser les objectifs relatifs aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique , fixés dans les directives de 2018 et 2012 respectivement, qui étaient déjà revus à la hausse dans le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». Ce plan est aussi accompagné d'autres initiatives, entre autres, un document de travail sur les besoins en investissements, des objectifs pour accélérer le développement du marché de l'hydrogène, un plan d'action pour le bio-méthane, une communication sur la stratégie solaire qui prévoit de doubler les capacités photovoltaïques de l'UE d'ici à 2025 et une recommandation sur les procédures d'autorisation pour les énergies renouvelables.

• La proposition de directive COM(2022) 222, élément du plan REPowerEU mettant l'accent sur les ENR et l'efficacité énergétique

La proposition de directive COM(2022) 222 du Parlement européen et du Conseil, publiée le 18 mai dernier et issue du plan REPowerEU, tend ainsi à réviser trois directives dont la refonte ou la modification sont déjà proposées, par ailleurs, dans le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » , en cours de négociation : la directive (UE) 2018/2001 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables , la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique . La concomitance des deux procédures de révision des mêmes directives est assez inédite : elle démontre combien les événements récents bousculent l'Union, au point de l'obliger à revoir ses objectifs avant même de les avoir définitivement fixés.

Dans le cadre de ce paquet, publié le 14 juillet 2021, qui vise à mettre en oeuvre la loi européenne sur le climat afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030, la Commission européenne a notamment proposé, une révision de la directive de 2012 sur l'efficacité énergétique pour porter l'objectif de réduction de la consommation d'énergie primaire et finale, respectivement, à 39 % et à 36 %, d'ici 2030. Elle a également proposé de rehausser, à l'échelle européenne, l'objectif en matière d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale de l'UE à 40 % d'ici à 2030.

Les négociations sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » se sont déroulées sous présidence française. Durant ces négociations, le choix a été fait d' écarter les nouveaux objectifs ciblés que propose le plan REPowerUE , afin de ne pas compromettre et retarder l'adoption de positions de compromis au Conseil. Seul un point relatif aux procédures d'octroi de permis pour les projets d'énergies renouvelables a été intégré à la discussion. Des orientations générales ont ainsi été adoptées, lors de la réunion des ministres de l'énergie, le 27 juin 2022, sur les propositions de directives relatives aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique, sans y introduire à ce stade les objectifs rehaussés, préconisés par la présente proposition, soumise au Sénat au titre du contrôle de subsidiarité. Le vote en séance plénière au Parlement européen sur ces deux textes devrait intervenir au mois de septembre prochain. Les trilogues pourront alors débuter et permettront de débattre de ces nouveaux objectifs. Les discussions sur la refonte de la directive de 2010 sur la performance énergétique des bâtiments, proposée plus tardivement par la Commission, le 15 décembre 2021, dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », ont aussi débuté sous présidence française et ont fait l'objet d'un rapport sur les progrès réalisés lors du Conseil « énergie » du 27 juin dernier.

Afin d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables et l'efficacité énergétique dans l'Union européenne, dans le contexte géopolitique actuel qui impose de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles russes, plusieurs mesures très ambitieuses ont donc été proposées, le 18 mai dernier, par la Commission européenne .

S'agissant de la directive relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables , la présente proposition modifie plusieurs dispositions et insère de nouveaux articles afin de :

- rehausser de 40 à 45 % l'objectif en matière de part d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie en 2030 dans l'Union européenne ;

- obliger les États membres à identifier les zones terrestres et maritimes spécifiques favorables à l'implantation d'installations utilisant des sources d'énergies renouvelables et à mettre en place ces zones ;

- réduire la complexité administrative et la durée des procédures d'octroi d'autorisations pour les projets dans le domaine des énergies renouvelables ;

- exiger des États membres qu'ils encouragent l'expérimentation de nouvelles technologies liées aux énergies renouvelables.

Concernant la directive relative à l'efficacité énergétique , la proposition propose de renforcer celle-ci en portant de 9 à au moins 13 % en 2030 l'objectif de réduction de consommation d'énergie de l'UE, par rapport au scénario de référence de 2020.

Enfin, la Commission assortit son initiative d'une disposition législative qui tend à insérer un nouvel article 9 bis sur les toits solaires, dans la directive sur la performance énergétique des bâtiments . Afin de développer l'intégration de l'énergie solaire dans les bâtiments, elle demande aux États membres d'assurer le déploiement d'installations solaires sur les bâtiments publics et commerciaux ayant une surface utile supérieure à 250 m 2 , d'ici le 31 décembre 2026 pour le neuf et d'ici le 31 décembre 2027 pour l'existant, ainsi que sur tous les nouveaux bâtiments résidentiels d'ici le 31 décembre 2029. Les États membres devraient aussi définir les critères nécessaires à la mise en oeuvre de ces obligations et prévoir les éventuelles exemptions pour certains types de bâtiments, « en lien avec l'évaluation technique et économique du potentiel des installations d'énergie solaire et les caractéristiques du bâtiment couvert par l'obligation » . Cette mesure doit permettre de contribuer à l'objectif retenu par la Commission de doter l'UE d'une capacité de plus de 320 GW de panneaux solaires photovoltaïques d'ici 2025 et près de 600 GW d'ici 2030.

• Un volontarisme de la Commission qui met à mal les principes de subsidiarité et de proportionnalité

Sans nier l'importance et le rôle des énergies renouvelables dans la transition énergétique et climatique, on peut observer que plusieurs mesures adoptées par la Commission apparaissent particulièrement volontaristes et interrogent sur le caractère réaliste et opportun de leur mise en application dans le contexte géopolitique actuel . En outre, en imposant des préférences technologiques pour certaines sources d'énergie à l'échelle de l'Union, la Commission néglige les spécificités nationales, notamment en termes de bouquet énergétique et d'adaptation de la structure des systèmes énergétiques des États membres aux enjeux de décarbonation.

De même, sans remettre en cause les objectifs de réduction des émissions de carbone et la trajectoire dessinée par l'Union européenne, force est de s'interroger sur le choix opéré par la Commission de rehausser encore plus certains objectifs, plus particulièrement celui relatif aux énergies renouvelables, dont le relèvement était déjà proposé par le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », plutôt que de sécuriser leur réalisation, au vu de la diversité des situations initiales de chaque État membre dans le domaine énergétique.

Or l'article 5 du traité sur l'Union européenne dispose que l'Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité , que « si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union » . Les principes de subsidiarité et de proportionnalité sont indissociables. En vertu de ces derniers, les règles proposées par la Commission doivent laisser aux États membres des marges de manoeuvre suffisantes pour atteindre les objectifs fixés en matière de transition climatique et énergétique, dans le respect de la spécificité de leur bouquet énergétique et du degré actuel de décarbonation de leur production d'énergies .

La conformité de la proposition directive COM(2022) 222, telle qu'elle est présentée, aux principes de subsidiarité et de proportionnalité semble à ce titre discutable .

• La politique énergétique de l'UE, une compétence partagée avec les États membres et précisément encadrée par les traités

Pour fonder en droit , via ce texte, une nouvelle révision des trois directives évoquées ci-avant, la Commission européenne invoque deux bases juridiques :

- l'article 194, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui définit les compétences de l'UE en matière énergétique . Il prévoit que l'Union peut agir, dans « un esprit de solidarité entre les États membres », pour assurer le fonctionnement du marché de l'énergie et la sécurité de l'approvisionnement énergétique, pour promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies renouvelables et l'interconnexion des réseaux énergétiques. Toutefois, les mesures prises au niveau communautaire ne sauraient affecter le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différents sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ;

- l'article 192, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui prévoit les procédures d'adoption par l'Union européenne des réglementations en vue de réaliser les objectifs de l'Union dans le domaine de l'environnement .

Depuis le traité de Lisbonne, en effet, ces dispositions spécifiques définissent clairement le cadre de l'intervention de l'UE en matière énergétique et prévoient, pour cette intervention, la procédure législative ordinaire.

L'article 194 se borne par conséquent à définir les objectifs généraux de la politique énergétique de l'Union, et prévoit, au service de ces objectifs, une compétence partagée entre l'UE et les États membres, sans porter atteinte au droit d'un État membre de décider de son bouquet énergétique et de choisir les technologies utilisées . Ce droit qui reconnaît la souveraineté énergétique des États exige aussi que l'UE garantisse une neutralité technologique entre les procédés ou les technologies . Il a d'ailleurs été rappelé à plusieurs reprises par les dirigeants européens. Lors de sa réunion du 19 décembre 2019, le Conseil européen a ainsi conclu, dans le cadre de la réalisation de l'objectif de neutralité climatique, être conscient « de la nécessité d'assurer la sécurité énergétique, et de respecter le droit des États membres de décider de leur bouquet énergétique et de choisir les technologies les plus appropriées » . Ce principe a, d'ailleurs, été inséré dans la « Stratégie de développement à long terme à faibles émissions de gaz à effet de serre » de l'UE, notifiée le 6 mars 2020 à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

La politique énergétique européenne doit s'inscrire dans le respect de ces dispositions des traités. Elle doit donc garantir la compétence des États membres en matière de choix du bouquet énergétique et veiller à la neutralité technologique. Le respect de la neutralité technologique revêt une importance particulière pour les pays qui disposent déjà d'une production d'électricité fortement décarbonée : il ne peut leur être imposé d'objectifs de diversification inadaptés à la structure même de leur système énergétique. La sortie des énergies fossiles constitue, en effet, une priorité incontestée de l'UE, qui a pris toute sa dimension avec la crise ukrainienne, mais la politique européenne dans le domaine de l'énergie doit tenir compte de l'ensemble des sources d'énergie bas-carbone . À ce titre, l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone constituent des alternatives qui doivent pouvoir être intégrées dans le choix des bouquets énergétiques qui ressort de chaque État membre.

Dans sa résolution sur l'inclusion de l'énergie nucléaire dans la taxonomie verte, adoptée le 7 décembre 2021, et celle sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », adoptée le 5 avril 2022, le Sénat a déjà rappelé la nécessité de faire prévaloir la neutralité technologique, dans la législation européenne sur l'énergie, de même que des objectifs et des normes adaptés et proportionnés aux différents mix des États membres.

L'adoption de mesures par l'Union dans le domaine de l'énergie doit donc respecter un équilibre permettant d'assurer des marges de manoeuvres aux États membres . Par conséquent, l'objectif d' « élimination progressive de la dépendance en augmentant la disponibilité d'une énergie abordable, sûre et durable dans l'Union » 3 ( * ) ne peut s'entendre sans prendre en compte l'ensemble des sources d'énergies décarbonées et ne peut légitimer la fixation d'une part trop élevée d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique, car cela conduirait à remettre en cause le libre choix des États membres à déterminer leur bouquet énergétique.

• Une base juridique en outre incomplète et une absence d'étude d'impact

Il faut aussi souligner que l'article 194 du TFUE, dans son paragraphe 2, insère une réserve selon laquelle l'UE ne pourra intervenir sur le choix des États membres en rapport avec leurs sources d'approvisionnement énergétique, sauf à l'unanimité et pour des raisons environnementales 4 ( * ) , ce qui renforce ainsi la souveraineté énergétique des États membres dans ce domaine . Or il apparaît que la Commission européenne n'a pas expressément retenu l'article 192, paragraphe 2, point c), pour fonder sa proposition et que le texte présenté est soumis à la procédure législative ordinaire. Pourtant, le Tribunal de l'UE a considéré, dans un arrêt du 7 mars 2013, que cet article est de nature à constituer la base juridique applicable dès lors que les mesures indiquées dans l'acte relèvent du point c) 5 ( * ) . Par conséquent, la procédure retenue par la Commission pour l'adoption de la présente proposition apparaît litigieuse et ne laisse pas suffisamment de flexibilités aux États membres dans l'exercice de leur souveraineté énergétique .

En outre, cette proposition, pourtant jugée nécessaire et politiquement sensible par la Commission européenne, n'a donné lieu à aucune étude d'impact sur sa valeur ajoutée, notamment en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni sur sa faisabilité, ni enfin sur sa conformité au principe de subsidiarité. Pourtant, l'effort demandé à certains États membres en matière de déploiement des énergies renouvelables pour atteindre collectivement l'objectif de 45 % de part d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique de l'UE, par rapport au niveau de 1990, est considérable. Cette part a atteint 22 % en 2020 au niveau de l'Union européenne, soit 2 points de plus que l'objectif de 20 % fixé par la directive de 2009. À l'exception de la France, tous les États membres ont atteint ou dépassé leur objectif national pour 2020 inscrit dans la directive. Pour parvenir à ce seuil de 20 % au niveau de l'Union, chaque État membre s'était fixé un objectif contraignant à atteindre, différent d'un contexte national à un autre. Sur cette base, l'Union européenne devait atteindre un objectif supérieur à 33,1 % d'énergies renouvelables en 2030. Or l'effort demandé par la Commission, en application du plan REPowerEU, est supérieur de près de 12 points, ce qui implique un niveau d'investissements, d'ici à 2030, équivalent à ce qui a été réalisé au cours des trente dernières années. Il semble donc disproportionné au regard de la structure générale existante de l'approvisionnement énergétique des États membres.

De même, au regard de l'objectif du texte qui doit s'inscrire dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe, aucune évaluation de l'impact carbone des technologies requises pour le développement des énergies renouvelables n'a été réalisée . Or plusieurs de ces technologies sont produites en dehors du sol européen, à des conditions peu respectueuses de l'environnement et leur importation nécessite un transport émetteur de carbone. Dans un rapport publié le 7 juillet dernier, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) indique ainsi que le monde dépendra presque entièrement de la Chine pour la production de panneaux solaires jusqu'en 2025 . Pour la France, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a évalué la part des lauréats des appels d'offres sur le photovoltaïque dont l'une des étapes de fabrication est française ou européenne à seulement 17 % en 2019 6 ( * ) .

Tout en considérant l'intérêt de l'implantation de panneaux solaires sur les bâtiments au regard des possibilités ainsi offertes en termes de surface disponible et de conditions d'installations, il importe de s'interroger sur le risque de favoriser de nouvelles dépendances européennes à l'égard de fournisseurs extra-européens de tels panneaux . Par ailleurs, faute d'analyse d'impact, le seuil retenu de surface utile par la Commission pour le déploiement de ces installations sur les bâtiments neufs et existants ne fait l'objet d'aucune justification . Or cette disposition tend à substituer une obligation de moyens à une obligation de résultats - qui était de parvenir à ce que toutes les structures construites, à partir de 2030, soient à émission zéro -, et donc cela revient à imposer aux États membres des choix technologiques. La décision d'y parvenir par l'implantation de panneaux solaires doit demeurer une option. La proposition de la Commission européenne ne respecte donc pas en l'état le principe de neutralité technologique prévu par le TFUE.

En conséquence, plusieurs dispositions proposées par la Commission apparaissent disproportionnées au regard des objectifs de diminution de la dépendance aux combustibles fossiles importés et de réduction des émissions de CO 2 , et portent atteinte à la souveraineté des États membres dans la détermination de la structure générale de leur approvisionnement énergétique.

Dès lors, pour l'ensemble de ces raisons, la commission des affaires européennes du Sénat a estimé que la proposition de directive ne respectait pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité . Elle a, en conséquence, adopté la proposition de résolution européenne portant avis motivé suivante :


* 1 Autriche, Bulgarie, Estonie, Finlande, Hongrie, Lettonie, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie.

* 2 « Alors que l'UE s'emploie à atteindre cet objectif, la situation actuelle nous oblige à réévaluer entièrement la manière dont nous assurons la sécurité de nos approvisionnements énergétiques. À cet égard, nous sommes convenus de nous défaire progressivement de notre dépendance aux importations de gaz, de pétrole et de charbon russes, et ce dès que possible » - Déclaration de Versailles des 10 et 11 mars 2022

* 3 Considérant 3 de la proposition de directive COM(2022) 222 du 18 mai 2022.

* 4 L'unanimité est ainsi requise au Conseil pour « les mesures affectant sensiblement le choix d'un État membre entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique » (article 192, paragraphe 2, point c).

* 5 Arrêt du 7 mars 2013, Pologne/Commission, T-370/11, point 18).

* 6 Rapport d'information du Sénat n°553 (2021-2021), Où en est l'application de la loi « Énergie-Climat » ? Où en est l'objectif de « neutralité carbone » ?, par Daniel Gremillet, au nom de la commission des affaires économiques, 5 mai 2021, p. 48.

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