N° 451

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 juillet 2005

PROPOSITION DE LOI

visant à abroger l'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés,

PRÉSENTÉE

Par M. Jean-Pierre MICHEL, Mme Bariza KHIARI, MM.Claude DOMEIZEL, Jean-Pierre BEL, Yannick BODIN, Roger MADEC, Bernard FRIMAT, Mme Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Jean-Pierre GODEFROY, Jean-Pierre SUEUR, Claude SAUNIER, Serge LARCHER, Claude LISE, Richard YUNG, Raymond COURRIÈRE, Mme Odette HERVIAUX, M. Jean-Marc TODESCHINI, Mmes Michèle ANDRÉ, Maryse BERGÉ-LAVIGNE, MM. Bernard DUSSAUT, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Serge LAGAUCHE, Mmes Sandrine HUREL, Alima BOUMEDIENE-THIERY, Dominique VOYNET, MM. Jean-Marc PASTOR, Gérard MIQUEL, Mmes Marie-Christine BLANDIN, Catherine TASCA, Christiane DEMONTES, MM. Charles GAUTIER, Pierre MAUROY, Daniel REINER, Mmes Gisèle PRINTZ, Patricia SCHILLINGER, Raymonde LE TEXIER, Claire-Lise CAMPION, MM. David ASSOULINE, Jean-Louis CARRÈRE, Jean DESESSARD et Jacques GILLOT,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Rapatriés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés dispose :

« Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite.

Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.

La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée . »

Il convient tout d'abord de noter le caractère redondant des énoncés de cet article quant à l'oeuvre accomplie par des personnes de toutes origines durant la présence française outre-mer. Il est en effet rendu hommage à celles-ci, dès l'article premier de la loi, dans des termes clairs et concis :

« La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. »

Il convient également de noter que le troisième alinéa de l'article 4 est sans aucune portée juridique.

En revanche, l'article 4 de la loi excède l'expression de la reconnaissance de la Nation, telle qu'elle peut légitimement être exprimée dans un texte voté par le Parlement.

Tout d'abord, ce texte constitue une injonction à l'égard des responsables des programmes scolaires et universitaires. La compétence d'élaboration des programmes appartient au ministre de l'éducation nationale, après avis du Conseil national des programmes, composé de personnalités qualifiées nommées par le ministre, notamment de représentants des enseignants.

S'il est du domaine de la loi de déterminer l'organisme compétent pour participer à l'élaboration des programmes, il n'est pas de son ressort de fixer, en quelque matière que ce soit, le contenu des programmes scolaires et universitaires.

Ce faisant, la loi, bien que votée dans les formes démocratiques, constituerait l'amorce d'une dérive vers l'instauration d'une histoire officielle telle qu'elle n'est réalisée que par les régimes totalitaires. Ainsi, la rédaction du texte de l'articler 4 obère l'éventualité d'effets négatifs en ne mentionnant explicitement que la reconnaissance « en particulier du rôle positif de la présence française outre-mer ».

Telle ne saurait être la volonté du législateur. Toutefois, le texte de la loi porte atteinte à la neutralité républicaine. Il révèle une volonté d'ingérence du pouvoir politique dans les recherches accomplies par les historiens, en vue d'orienter les conclusions de leurs travaux.

D'autre part, l'article 4 anticipe sur les débats qui font aujourd'hui l'objet du travail des chercheurs. Il n'est en effet pas établi que le rôle de la présence française outre-mer puisse être qualifié globalement de positif. La présence française outre-mer a été multiforme. Sa durée s'est étalée sur plusieurs décennies, avec des effets divers, positifs parfois, mais aussi très négatifs, notamment pour les populations locales.

Il importe donc avant tout de laisser le débat se poursuivre afin de permettre aux universitaires et aux historiens de dégager progressivement, à travers les documents disponibles et les témoignages, les éléments de faits qui permettront d'établir la vérité historique. Ce travail ardu et délicat, compte tenu des guerres, des conflits et des traumatismes nombreux qui ont marqué la fin de la colonisation, doit impérativement se dérouler dans la sérénité. Aucune injonction dans ce domaine n'est recevable.

Que l'ancienne puissance coloniale s'arroge le droit de décider, de façon unilatérale au moyen d'un texte législatif, que sa présence a eu des effets positifs, -semble-t-il à l'exclusion de tous autres effets éventuels- et que ces effets positifs doivent être enseignés dans les programmes scolaires, ne peut que nuire à la sérénité du débat.

Cette attitude est déjà ressentie comme une marque de mépris par les populations des pays autrefois colonisés. Il en est de même pour les personnes issues de l'immigration, ce qui va à l'encontre de la volonté d'intégration affirmée par ailleurs, et risque de conduire ces populations au repli communautaire.

Elle est perçue comme une persistance de l'état d'esprit colonial et peut nourrir de regrettables malentendus avec les représentants des États constitués après la fin de la colonisation. Elle peut aussi favoriser un négationnisme réciproque, non seulement sur les effets négatifs avérés de la présence coloniale, mais aussi sur les circonstances tragiques qui ont marqué la fin de la colonisation.

A l'évidence, l'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ne répond pas aux aspirations de toutes celles et tous ceux qui ont vécu de manières différentes la colonisation ou ont été victimes, à des titres divers, des drames qui ont marqué la fin de cette époque.

A l'inverse, sa rédaction se révèle lourde de dangers, tant à l'égard de la neutralité scolaire, expression essentielle du principe de laïcité nécessaire à l'unité nationale, que de la liberté de pensée qui fonde toute recherche scientifique.

Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés est abrogé.

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