N° 458 rectifié

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 30 juin 2006

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet 2006

PROPOSITION DE LOI

tendant à autoriser le repos hebdomadaire par roulement pour les établissements de commerce de détail,

PRÉSENTÉE

Par MM. Roger KAROUTCHI, Roger BESSE, Joël BILLARD, Dominique BRAYE, Louis de BROISSIA, Christian CAMBON, Serge DASSAULT, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Robert del PICCHIA, André DULAIT, Jean-Pierre FOURCADE, Alain GOURNAC, Mmes Adeline GOUSSEAU, Colette MÉLOT, et M. Charles PASQUA,

Sénateurs.

( Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Travail.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 14 juin dernier relatif à l'affaire du centre commercial d'« Usines Center » a, depuis, fait couler beaucoup d'encre. Nombreux ont été ceux qui ont dénoncé une justice bureaucratique, par trop éloignée des réalités économiques de notre pays. Pourtant, la cour d'appel s'est contentée de rappeler notre droit et, elle-même, dans ses considérants, n'a pas omis de souligner « qu'il convient de rappeler qu'il n'appartient pas au juge de se substituer au législateur en adaptant sa jurisprudence à l'évolution inexorable qui serait apparue en matière commerciale en ce qui concerne l'ouverture dominicale ».

Cet arrêt invite le législateur à prendre ses responsabilités et à remédier derechef à cette situation inique tant du point de vue du commerce que de l'emploi qui fait de la France, une fois encore, une exception parmi ses partenaires européens. La présente proposition de loi n'a pas pour ambition de traiter de la totalité de la problématique du travail dominical mais entend apporter une réponse adaptée à la question de l'ouverture des commerces de détail le dimanche, tant pour des raisons d'amélioration du service aux clients que pour des considérations économiques.

Le droit en vigueur...

Si l'article L. 221-5 du code du travail proclame solennellement que « le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche », les articles suivants s'emploient à définir les exceptions à cette règle, principalement pour des motifs de sécurité industrielle ou sanitaire, mais également au regard de la nature particulière du service rendu.

En matière de commerce de détail, les dérogations se font plus rares et ne relèvent que de trois ordres :

- en premier lieu, la dérogation liée aux zones touristiques « d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente » ; dans ce cas la dérogation se limite aux périodes d'activités touristiques pour les seuls établissements spécialisés dans les loisirs ;

- en deuxième lieu, la dérogation liée à la nature des prestations quand ces dernières doivent pouvoir être accessibles le dimanche, comme les matières périssables (denrées alimentaires, fleurs), la culture (journaux, spectacles, musées), les services publics (transports, eau, électricité) ;

- en dernier lieu, la dérogation à la discrétion du maire (ou du préfet s'il s'agit de Paris) qui lui permet de supprimer, par arrêté, jusqu'à cinq dimanches par an afin de développer ponctuellement l'activité commerçante, notamment les jours de fêtes municipales.

Cette dernière disposition a ouvert une fenêtre en faveur de l'activité commerciale dominicale non négligeable qui a permis d'appréhender, dans toute son ampleur, l'intérêt qui réside en l'ouverture des magasins ce jour.

... est inadapté au développement économique

Inadapté, tout d'abord, à l'évolution de la société. À l'heure du commerce en ligne qui connaît un développement exponentiel où nos concitoyens peuvent commander, nuit et jour, les articles qu'ils désirent et alors que 72 % des Franciliens ont exprimé leur souhait de voir l'ouverture dominicale des commerces se généraliser, nous sommes en droit de nous interroger sur l'opportunité de maintenir en l'état des dispositions législatives datant de 1906 et qui avaient surtout été prises en considération de motifs religieux.

Inadapté, ensuite, en matière économique puisque l'ouverture d'un jour supplémentaire des commerces est mécaniquement créatrice d'emplois. Il est faux de considérer que les achats non effectués le dimanche se reportent sur d'autres jours de la semaine. Les statistiques démontrent que 60 % des clients du dimanche ne consommeraient pas les mêmes produits un autre jour. De surcroît, les commerces ouverts le dimanche réalisent entre un quart et un tiers de leur chiffre d'affaire sur cette journée. Permettre l'essor d'un cycle vertueux de la consommation est le point de départ du développement économique.

Inadapté, en conséquence, pour l'emploi. En effet, pour le seul cas du site d'« Usines Center » à Villacoublay, ce sont 600 personnes, presque toutes titulaires d'un CDI, qui encourent le risque d'un licenciement économique. Bien au-delà, une étude précise de l'IFRAP (Institut français pour la recherche sur les administrations publiques) estime à 150 000 le nombre d'emplois qui pourraient être créés par une simple généralisation de l'ouverture des commerces le dimanche.

Inadapté, enfin, aux désirs des salariés eux-mêmes. En effet, l'évolution de notre société, notamment sur la sacralité du dimanche et des jours fériés, ainsi que l'éclatement des structures familiales et leur éparpillement géographique conduisent beaucoup de nos concitoyens à revendiquer le droit de travailler le dimanche, en raison des avantages et contreparties financières liés à l'exercice d'une activité salariée ce jour. Les majorations de salaires et l'octroi de jours de repos supplémentaires font que pour beaucoup de nos concitoyens - ne serait-ce que pour les étudiants qui souhaitent financer leurs études sans rogner sur leurs cours - le travail dominical devient un choix de vie bien plus qu'une contrainte.

Pour toutes ces raisons, il convient de légiférer. Le parti pris de la présente proposition de loi consiste à prendre la problématique du travail dominical sous un nouvel angle : en finir avec l'opposition entre petits commerçants et grandes structures commerciales ; redonner leur place aux élus locaux dans le choix final de l'ouverture des commerces le dimanche ; garantir que le travail dominical s'accompagne d'une amélioration des droits des salariés.

1. Traiter les commerces en fonction de leur taille

Ce qui frappe, en premier lieu, l'esprit du législateur, c'est l'absence totale, en France, de prise en compte de la taille desdits commerces. La petite boutique de quartier est considérée de la même manière que le gigantesque centre commercial à la périphérie urbaine. Une telle absence de prise en compte de réalités économiques si différentes est coupable et il convient d'y remédier.

En effet, chez la plupart de nos partenaires européens, une distinction est faite entre les commerces suivant leur taille. La Suède (que l'on présente bien souvent comme le nouvel Eldorado économique et social), mais également le Portugal et le Royaume-Uni, pour ne citer qu'eux, exercent un distinguo entre les petits commerces qui peuvent être ouverts tous les jours de la semaine et les supermarchés qui sont astreints à un repos hebdomadaire et à des horaires de fermeture plus stricts.

Cette plus grande amplitude d'ouverture des commerces de proximité permet justement à ces commerçants d'attirer une clientèle qui leur échappe habituellement en France. L'ouverture du dimanche ne doit pas être une épée de Damoclès pour nos commerçants qui participent, en premier chef, à la qualité de vie de centres urbains et de nos villages, mais bien au contraire, être une chance supplémentaire de développement de leur chiffre d'affaire.

En conséquence, il convient de traiter différemment les commerces suivant leur taille. Ainsi, pour les commerces traditionnels, l'ouverture du dimanche devrait pouvoir être systématique, dès lors qu'un arrêté du maire l'autorise et qu'il existe un accord collectif ou d'entreprise intervenu entre les partenaires sociaux.

En revanche, la fenêtre ne serait que partiellement ouverte pour les supermarchés et les centres commerciaux afin de garantir que l'ouverture dominicale ne se fera pas à l'encontre du petit commerce. Ainsi, pour ces structures commerciales, la règle actuelle d'ouverture de cinq dimanches par an serait portée à dix. Cette première étape permettra d'assouplir un peu la législation actuelle tout en permettant un état des lieux à court terme afin de remédier aux déséquilibres constatés ou d'intensifier ce processus d'ouverture.

2. Renforcer le rôle des maires

Au-delà de l'absence de distinction entre petites et grandes structures commerciales, notre corpus législatif pêche également par une absence de distinction territoriale. Zones urbaines ou rurales, la règle est la même pour tous alors que nous savons que les réalités sont différentes. Ici, comme en Île-de-France, les élus locaux sauront que leur population serait très sensible à l'ouverture dominicale ; là, les maires sauraient parfaitement appréhender les inquiétudes de leurs concitoyens sur une inopportune ouverture des commerces le dimanche.

Qui mieux que le maire pourra prendre, en conscience, la décision du dimanche ouvré pour les commerces ? Le maire, parce qu'il appréhende la totalité des réalités économiques de sa commune et les besoins de ses administrés, tant commerçants que consommateurs, est celui qui doit pouvoir prendre une telle décision. Ce principe est déjà reconnu, puisque à ce jour, c'est lui qui peut prendre la décision d'ouvrir cinq dimanches par an et aucune voix ne s'élève pour lui retirer ce pouvoir qu'il assume avec pragmatisme.

La présente proposition de loi prend donc le parti de faire confiance aux élus locaux pour prendre les décisions adaptées, après consultation de l'ensemble des intéressés. Ainsi, c'est le maire qui pourra prendre un arrêté ouvrant le droit d'exercer une activité de commerce de détail le dimanche. C'est également le pouvoir du maire qui étendra à dix, au lieu de cinq, le nombre de dimanches ouvrés pour les supermarchés et les plus petits centres commerciaux.

Par ailleurs, les dispositions en vigueur datant d'une époque où Paris ne disposait pas de maire, il convient de toiletter le code afin de confier cette compétence également au maire de la capitale.

En revanche, lorsque le rayonnement économique d'un pôle d'activité commerciale dépasse le seul cadre de sa commune d'implantation, notamment pour les surfaces de ventes supérieures à 5 000 mètres carrés, il n'est plus souhaitable que la décision revienne au seul maire. Il convient dès lors de prévoir, comme cela est le cas à Paris, qu'il reviendra au préfet de prendre un arrêté d'ouverture des ces centres commerciaux, dans la limite de cinq par an, afin d'appréhender de manière globale le risque éventuel de distorsion de la concurrence.

3. Améliorer les droits des salariés

Enfin, aucune réforme sur le repos dominical ne saurait être envisagée, si elle n'avait pas pour corollaire l'assentiment des salariés, d'une part, et une perspective d'amélioration de leur qualité de vie, d'autre part.

Ainsi, la présente proposition de loi entend subordonner l'ouverture dominicale des commerces à une convention ou un accord collectif étendu ou une convention ou accord d'entreprise. Cet accord devra prévoir que le travail dominical se fera sur la base du volontariat des salariés.

De surcroît, y compris dans les cas où la décision d'autoriser l'ouverture serait du ressort du maire ou du préfet, l'exercice d'une activité salariée le dimanche devrait, en tout état de cause, garantir à chaque employé une majoration de salaire substantielle et un repos compensateur.

Toutes ces conditions réunies seront de nature à apporter toutes les garanties nécessaires en termes économiques et sociaux à l'ouverture des commerces de détail le dimanche.

Le dispositif proposé

L' article 1 er crée dans le chapitre du code du travail consacré au repos hebdomadaire un article L. 221-10-1 (nouveau) dont l'objet est de permettre l'ouverture des commerces de détail le dimanche en prévoyant l'attribution du repos hebdomadaire par roulement sur la semaine. Trois conditions cumulatives devront toutefois être requises :

- en premier lieu, ne seront pas concernés les établissements les plus importants, c'est-à-dire ceux dont la surface de vente est supérieure à 1 000 mètres carrés ou 300 mètres carrés lorsque l'activité est à prédominance alimentaire ;

- en deuxième lieu, un arrêté du maire d'autorisation de l'ouverture dominicale pour des raisons économiques ou de service au public, pris après avis des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressés ;

- en dernier lieu, les droits des salariés devront être garantis par l'existence préalable d'une convention ou d'un accord collectif étendu ou d'une convention ou accord d'entreprise prévoyant la possibilité d'organiser le travail de façon continue pour des raisons économiques sur la base exclusive du volontariat ; en outre, cette convention ou accord devra comporter des dispositions relatives à l'octroi d'un repos compensateur (au moins égal au temps travaillé) et à une majoration de salaire (au moins égale à la valeur horaire).

L' article 2 modifie l'actuel article L. 221-19 qui permet à l'initiative du maire l'ouverture, cinq dimanches par an, des commerces de détail. L'article précédent ouvrant ce droit pour les commerces traditionnels tout au long de l'année, il en adapte la rédaction sur deux points :

- en la limitant d'un part aux supermarchés (c'est-à-dire les commerces de détail dont la surface de vente est supérieure à 1 000 mètres carrés ou 300 mètres carrés lorsque l'activité est à prédominance alimentaire et inférieure à 5 000 mètres carrés) et aux centres commerciaux de même importance (magasins collectifs de commerçants indépendants) ;

- et en l'étendant de cinq à dix dimanches, sous les mêmes conditions qu'actuellement pour ces derniers établissements.

L' article 3 crée à la suite du précédent un article L.  221-19-1 (nouveau) traitant spécifiquement des surfaces de plus de 5 000 mètres carrés. Eu égard à leur importance économique dans une région donnée, la décision ne peut donc relever du seul maire de la commune d'implantation. Il convient donc de donner cette compétence au préfet qui se prononcera pour une ouverture pouvant concerner jusqu'à cinq dimanches par an, par arrêté après avis du conseil municipal, de la chambre de commerce et d'industrie, de la chambre des métiers et de l'artisanat et des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées.

Enfin, l' article 4 dispose que le Gouvernement devra remettre dans les deux ans suivant la promulgation de la loi, un rapport au Parlement sur les conséquences pour le commerce et l'emploi et le service au consommateur des présentes dispositions afin de permettre leur amélioration.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Après l'article L. 221-10 du code du travail, il est inséré un article L. 221-10-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 221-10-1 . - Sont également admis à donner le repos hebdomadaire par roulement, les établissements de commerce de détail, dont la surface de vente est inférieure à 1 000 mètres carrés ou 300 mètres carrés lorsque l'activité est à prédominance alimentaire, dans lesquels une convention ou un accord collectif étendu ou une convention ou accord d'entreprise prévoit, sur la base du volontariat, la possibilité d'organiser le travail de façon continue pour des raisons économiques, lorsque un arrêté du maire pris après avis des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressés l'autorise pour des raisons économiques ou de service au public.

« La convention ou l'accord comporte des dispositions relatives aux conditions d'octroi d'un repos compensateur et d'une majoration de salaire pour chaque dimanche de travail au moins égale à la valeur d'un trentième de son traitement mensuel ou à la valeur d'une journée de travail si le salarié est payé à la journée. »

Article 2

Le premier alinéa de l'article L. 221-19 du même code est ainsi rédigé :

« Dans les établissements de commerce de détail et les magasins collectifs de commerçants indépendants dont la surface de vente est supérieure à 1 000 mètres carrés ou 300 mètres carrés lorsque l'activité est à prédominance alimentaire et inférieure à 5 000 mètres carrés, et où le repos hebdomadaire a lieu normalement le dimanche, il peut être dérogé aux dispositions de l'article L. 221-5 les dimanches désignés, pour chaque commerce de détail, par un arrêté du maire pris après avis des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressés. Le nombre de ces dimanches ne peut excéder dix par an.

Article 3

Après l'article L. 221-19 du même code, il est inséré un article L. 221-19-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 221-19-1 . - Dans les établissements de commerce de détail et les magasins collectifs de commerçants indépendants dont la surface de vente est supérieure à 5 000 mètres carrés, et où le repos hebdomadaire a lieu normalement le dimanche, il peut être dérogé aux dispositions de l'article L. 221-5 les dimanches désignés, pour chaque commerce de détail, par un arrêté du préfet pris après avis du conseil municipal, de la chambre de commerce et d'industrie, de la chambre des métiers et de l'artisanat et des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées. Le nombre de ces dimanches ne peut excéder cinq par an.

« Chaque salarié ainsi privé du repos du dimanche doit bénéficier d'un repos compensateur et d'une majoration de salaire pour ce jour de travail exceptionnel, égale à la valeur d'un trentième de son traitement mensuel ou à la valeur d'une journée de travail si l'intéressé est payé à la journée. L'arrêté préfectoral détermine les conditions dans lesquelles ce repos est accordé, soit collectivement, soit par roulement dans une période qui ne peut excéder la quinzaine qui précède ou suit la suppression du repos. Si le repos dominical est supprimé un dimanche précédant une fête légale, le repos compensateur est donné le jour de cette fête. »

Article 4

Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard deux ans après la promulgation de la présente loi, un rapport relatif à son application analysant ses conséquences sur les différents partenaires des relations commerciales ainsi que sur le consommateur. Il en analyse également les conséquences en termes d'emploi, de développement économique et l'impact sur la structuration du tissu commercial. Ce rapport présente, en tant que de besoin, les adaptations législatives et réglementaires paraissant nécessaires.

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