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N° 692

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 septembre 2010

PROPOSITION DE LOI

relative aux financements politiques : interdiction pour une même personne physique d' effectuer des dons à plusieurs partis politiques et transparence des transferts financiers entre partis ou pour des campagnes électorales .

PRÉSENTÉE

Par M. Jean-Louis MASSON,

Sénateur

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis une vingtaine d'années, le financement des partis politiques et des campagnes électorales a été l'objet de mesures d'encadrement qui à chaque fois ont été prises pour répondre à l'urgence, plus précisément à l'actualité des « affaires ». Les principales étapes en ont été l'instauration des comptes de campagne avec un financement partiel des campagnes électorales par l'État, l'attribution d'une aide publique de l'État aux partis politiques et enfin l'interdiction des financements politiques émanant de personnes morales.

Ces grandes étapes, ont été régulièrement complétées par des ajustements. Or, à chaque fois ceux-ci ont été instrumentalisés par les partis dominants pour instaurer des règles pénalisantes à l'encontre des partis minoritaires ou des courants dissidents en leur sein : mesures subordonnant l'aide de l'État au fait que le parti politique présente au moins 50 candidats à chaque élection législative, exigence ultérieure que ces 50 candidats obtiennent chacun au moins 1 % des suffrages, interdiction pour les parlementaires de se rattacher à un parti ne remplissant pas la condition des 50 candidatures susvisées...

Ces dispositions législatives restrictives au seul profit des grands partis ont des conséquences ubuesques du point de vue de la démocratie. Ainsi, après les élections législatives de 2007, le parti « Debout la République » qui pourtant a une existence bien réelle avec plusieurs députés ou sénateurs a été évincé de l'aide publique de l'État. Un autre parti, le Nouveau Centre, qui possède même un groupe parlementaire à l'Assemblée Nationale et plusieurs ministres a lui aussi été évincé.

Par contrecoup les élus et les partis minoritaires sont contraints de recourir à des palliatifs qui ne sont pas non plus satisfaisants : partis renonçant à présenter des candidats en métropole, rattachement de parlementaires à un parti relais n'ayant présenté des candidats qu'outre-mer (cas entre autres des élus du Nouveau Centre)...

Les dérives hégémoniques des partis dominants ne sont toutefois pas spécifiques aux aides publiques de l'État, elles se retrouvent dans tous les aspects de la vie politique et en particulier dans le choix des modes de scrutin. Au cours des dernières années, les multiples tripatouillages des systèmes électoraux en sont l'illustration : réforme en 2003 du scrutin pour les élections régionales (relèvement à 10 % du seuil de maintien au second tour) et pour les élections européennes (régionalisation), multiples charcutages lors du redécoupage des circonscriptions législatives en 2010, projet de loi initial pour l'élection des conseillers territoriaux...

Quoi qu'il en soit, le pluralisme est une composante indispensable de la démocratie, et cela passe par la libre existence des partis politiques, qu'ils soient petits ou grands. Le Premier ministre l'a lui-même souligné dans un récent discours à Nouméa : « Je note avec intérêt que certains voudraient que les financements soient réservés aux seules grandes formations politiques. C'est ce qu'on a eu pendant 50 ans avec les syndicats : il n'y avait que cinq syndicats qui avaient le droit de cité dans notre pays. Ce n'est pas tout à fait ma conception de la démocratie et de la liberté. Toute personne qui en France veut exprimer une opinion politique, qui veut créer une structure politique, engager une réflexion politique, a le droit de le faire et a le droit de se faire financer. L'important c'est que ce soit transparent » (Bulletin Quotidien, 20 juillet 2010).

Ces réflexions sont un préalable à tout correctif législatif pour remédier aux dérives des financements politiques qui ont été mises en évidence par l'affaire Woerth-Bettencourt. C'est ce que le président de la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques (CNCCFP) appelle « un détournement de l'esprit de la loi » (Les Echos, 20 juillet 2010). Encore faut-il cadrer le problème car certains dirigeants de partis politiques dominants (UMP et PS) ne cherchent qu'à réduire le pluralisme et à étouffer toute dissidence en leur sein. Pour cela ils utilisent n'importe quel prétexte susceptible de justifier des mesures restrictives à l'encontre des partis minoritaires.

Profitant de l'actualité, ils mettent ainsi en cause l'existence des petits partis, qualifiés péjorativement de « micropartis ». Or, les anomalies constatées dans l'affaire Woerth-Bettencourt concernent exclusivement un grand parti, l'UMP, lequel autorise et même incite ses membres à créer des satellites plus ou moins fictifs. Plusieurs partis satellites avaient même été créés pour récupérer des dons s'ajoutant à ceux de l'UMP lors des élections présidentielles de 2007. Toutefois le PS qui s'érige en donneur de leçons devrait être plus modeste car ses candidats à la candidature pour les élections présidentielles avaient créé, eux aussi, des partis satellites (Bulletin Quotidien du 27 juillet 2010 ; Libération du 26 juillet 2010).

Beaucoup de petits partis sont réellement indépendants et leur légitimité n'est absolument pas atteinte par les dérives des satellites des grands partis. D'ailleurs, les rapports de la CNCCFP pour 2005-2006 anticipaient déjà le processus et stigmatisaient spécifiquement les partis satellites : « La liberté de création des partis politiques a pour conséquence de faciliter le détournement de la loi en favorisant la création de partis satellites : une même personne physique peut ainsi financer plusieurs partis, en versant à chacun le montant plafond des dons autorisés, les partis bénéficiaires reversant ensuite l'argent récolté au parti central ».

L'affaire Woerth-Bettencourt fait apparaître d'une part d'éventuelles infractions aux financements politiques et d'autre part un détournement de la loi. Les éventuelles infractions résulteraient du versement en liquide de sommes très importantes au profit de partis politiques ou de candidats. Dans ce cas, les sanctions existent et il suffit de faire respecter la loi. Par contre, les artifices permettant de détourner la loi soulèvent trois types de problèmes :

- Il s'agit d'abord de la création de partis politiques plus ou moins satellites d'un autre afin de permettre à une même personne physique d'effectuer un don à chacun. De la sorte, et après rétrocession au parti principal, celui-ci reçoit un total de dons dépassant très largement le plafond légal autorisé ;

- Il s'agit ensuite des transferts financiers entre les partis politiques et les candidats aux élections. Un donateur peut contourner le plafond des dons à une élection (ce plafond est relativement bas) en versant son don à un parti politique (le plafond est nettement plus élevé). Ensuite, ce parti n'a plus qu'à transférer la somme en cause sur le compte de campagne du candidat car cette opération n'est soumise à aucun plafond ;

- Il s'agit enfin de l'opacité des dons entre partis politiques ou entre eux et les candidats aux élections. Lorsque les dons de personnes morales étaient autorisés, la CNCCFP en publiait la liste dans ses rapports annuels. Pour chaque parti et pour chaque compte de campagne, le rapport indiquait le nom des personnes morales donatrices (y compris les partis politiques) et précisait le montant. Cette obligation de publicité a été supprimée suite à l'interdiction des dons de personnes morales.

En fonction de ces constats, la présente proposition de loi prévoit qu'au cours d'une même année une personne physique ne peut effectuer des dons qu'à un seul parti politique. Une telle mesure relève du bon sens car un donateur de conviction n'a pas à soutenir simultanément plusieurs partis politiques. En cas d'infraction, une amende égale à dix fois le total des dons serait infligée au donateur.

Par ailleurs, la présente proposition de loi rétablit la transparence des flux financiers entre les partis politiques en prévoyant que le rapport annuel de la CNCCFP publie le montant et l'origine des dons reçus par chaque parti politique de la part d'autres partis.

Enfin, la présente proposition de loi étend les mêmes modifications aux comptes de campagne. Elle interdit à tout candidat de recevoir des dons de la part de plus d'un parti politique. Par ailleurs, ces dons avec l'indication du parti donataire et de leur montant figureront dans le récapitulatif publié par la CNCCFP.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

La loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi modifiée :

1° Après le premier alinéa de l'article 11-4, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Au cours d'une même année civile, une personne physique ne peut effectuer de dons qu'à un seul parti ou groupement politique. »

2° L'article 11-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sera puni d'une amende égale à dix fois le montant des dons versés s'ajoutant le cas échéant aux sanctions prévues à l'alinéa précédent, quiconque aura effectué au cours d'une même année civile des dons à plusieurs partis ou groupements politiques. »

Article 2

Après le premier alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour une même élection, un candidat ne peut percevoir de dons que d'un seul parti ou groupement politique. »

Article 3

I. - L'article L. 52-18 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette publication comprend l'indication du montant et de l'origine des dons reçus par chaque candidat de la part de partis ou groupements politiques ».

II. - Après la deuxième phrase du second aliéna de l'article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 précitée, est insérée une phrase ainsi rédigée :

« Pour chaque parti, cette publication comporte l'indication du montant et de l'origine des dons reçus de la part d'autres partis politiques ou reçus au titre de la dévolution de l'excédent de comptes de campagne. »

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