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N° 583

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juin 2012

PROPOSITION DE LOI

relative aux expulsions locatives et à la garantie d'un droit au logement effectif ,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Mireille SCHURCH, Évelyne DIDIER, MM. Gérard LE CAM, Paul VERGÈS, Mmes Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Éric BOCQUET, Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, MM. Christian FAVIER, Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, MM. Robert HUE, Michel LE SCOUARNEC, Mme Isabelle PASQUET et M. Dominique WATRIN,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Madame, Monsieur,

Le droit au logement est un droit universel reconnu par les traités internationaux et dans notre Constitution.

Ainsi, le droit au logement est codifié comme droit humain dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 où il est stipulé que :

« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement , les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. « ( Article 25(1) )

Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté à New York le 16 décembre 1966 par l'Assemblée générale des Nations Unies, entré en vigueur le 3 janvier 1976 conformément aux dispositions contenues dans son article 27 suite à sa 36 e ratification par un État, reconnaît par son article 11 que :

« Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Les États parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une coopération internationale librement consentie.

Cette reconnaissance crée ainsi pour l'État une obligation de mise en oeuvre effective, dans la mesure où l'article 2 du même Pacte dispose que « Chacun des États parties au présent Pacte s'engage à agir [...] en vue d'assurer progressivement le plein exercice de tous les droits reconnus dans le présent Pacte »

Il est également stipulé aux alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 , texte à valeur constitutionnelle, que :

« La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.

Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

Le droit au logement est donc un droit fondamental dont l'État a contracté l'obligation juridique de garantir afin de respecter ses engagements internationaux.

À ce titre, un arrêt du 16 décembre 2008 de la Cour de cassation a consacré l'effectivité du pacte international de 1966.

Il en résulte que l'État français a pris l'obligation qu'aucune famille ne soit privée de son logement faute d'un niveau de vie suffisant, et donc que, dans le respect de la séparation des pouvoirs, si une décision judiciaire d'expulsion est néanmoins prononcée, elle ne soit exécutée qu'en ayant pourvu au relogement décent de la famille expulsée.

Or, le gouvernement a mis en place un arsenal législatif et mène une politique qui ne permet pas de garantir concrètement le droit au logement.

1. Une politique publique du logement qui ne conduit pas à la garantie d'un droit fondamental mais à sa marchandisation

La mise en oeuvre de ce droit fondamental rencontre nombre de difficultés d'application, et ce, alors même que la grave crise économique et sociale que traverse notre pays le rend plus que jamais essentiel pour les citoyens victimes de la crise du logement.

L'insuffisance de logements sociaux accessibles constitue, à ce titre, un obstacle majeur. Cette situation de pénurie de logements sociaux se vérifie tout particulièrement dans l'agglomération parisienne et la plupart des grandes agglomérations du pays où le secteur immobilier est de plus en plus tendu par la spéculation et la flambée des loyers. Une telle situation rend également nécessaire de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires permis par l'ordonnance de 1945 afin de réquisitionner les logements vacants.

Le désengagement de l'État dans ce secteur est flagrant, notamment par une baisse des dotations budgétaires, et nous constatons une diminution de son intervention dans le financement des logements sociaux. Ceci sans compter la nouvelle taxe de 245 millions que le gouvernement entend faire peser sur les offices HLM, taxe qui va amputer leur capacité de construction alors même que selon les associations, ce sont 900 000 logements qu'il nous faudrait construire.

Parallèlement, le décalage croissant entre le coût du logement et les revenus des ménages rend de plus en plus difficile l'accès au logement. Ainsi, les ménages appartenant aux 30 % les plus pauvres qui sont logés dans le parc privé consacrent en moyenne près de 40 % de leurs ressources au loyer ou à leurs charges d'accession.

Selon l'INSEE, l'écart se creuse entre capacité contributive des ménages et coût du logement. Entre 1998 et 2008, les prix à la consommation ont augmenté de 19 %, les loyers des résidences principales de 25 %, le revenu disponible médian des ménages a, quant à lui, augmenté de 13 %. Les dépenses courantes de logements nettes d'aides personnelles représentaient en moyenne 17 % du budget des ménages en 1984 ; elles représentent 21,4 % en 2009. On voit donc bien que les ménages ont de plus en plus de mal à assumer les dépenses liées au logement.

Cette situation génère une demande sociale particulièrement forte qui, si l'on n'y prend garde, continuera d'alimenter durablement une crise du logement dont les locataires et leurs familles demeurent, en dernière instance, les victimes principales.

2. Une définition du droit au logement trop limitative

En l'état, la définition faite dans la législation française à l'article L. 300-1 du code de la construction et de l'habitation du droit au logement nous apparaît plus que contestable.

En effet, il est stipulé que le droit à un logement décent et indépendant, mentionné à l'article 1 er de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à mettre en oeuvre le droit au logement est garanti par l'État uniquement à toute personne résidant de manière régulière sur le territoire français et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d'État.

Cette condition de résidence bat pourtant en brèche la dimension universaliste de ce droit.

3. La pratique des expulsions locatives sans relogement est l'antithèse du droit au logement

En effet, alors qu'il résulte des obligations internationales contractées, l'obligation pour l'État de faire en sorte qu'aucune personne ou sa famille ne soit privée de logement faute d'avoir les moyens d'un niveau de vie suffisant, aujourd'hui les expulsions locatives continuent d'être la règle, expulsions parfois sans relogement.

De 1998 à 2008, les décisions de justice prononçant une expulsion à l'encontre des locataires ont augmenté de 48 % atteignant 105 271 jugements. Plus impressionnant encore, sur la même période, l'intervention effective de la force publique a augmenté de 132 %, atteignant 11 294 cas !

Les chiffres encore provisoires de 2009 indiquent 110 246 décisions de justice prononçant une expulsion et 10 597 interventions effectives de la force publique.

À ce titre, la défenseur des enfants n'a eu de cesse de dénoncer le caractère particulièrement traumatisant pour les enfants des expulsions effectuées avec l'appui de la force publique

Il demeure alors une véritable contradiction entre droit au logement et la poursuite des procédures civiles d'expulsion locative, contradiction qu'il convient de lever.

De plus, les maires de certaines communes, se fondant sur les obligations internationales contractées par l'État, ont dans certains cas, utilisé leur pouvoir de police en prenant des arrêtés anti-expulsions considérant que de telles pratiques constituaient manifestement des troubles à l'ordre public.

Aujourd'hui, la jurisprudence conteste leur légalité.

Nous proposons donc de reconnaître très clairement que toute autorité publique a qualité sur le territoire de son ressort pour s'assurer de la conduite à bonnes fins de la mise en oeuvre effective de ce droit.

Un telle mesure s'imprègne de l'esprit de l'article 28 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui affirme : « Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet. » Ainsi, le droit au logement étant reconnu par ce texte international, nous considérons, qu'il est du devoir de toutes les institutions de l'État, de l'échelon local à l'échelon national, et de toute personne investie d'une mission publique, de veiller à la pleine application dudit principe, et plus concrètement à ce qu'aucune famille ne puisse faire l'objet d'une expulsion sans être assurée de jouir, dans la plus stricte continuité, d'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, sauf à l'État à y pourvoir .

4. Une réponse incomplète du DALO qu'il nous faut améliorer

Alors que pour nombre d'acteurs du droit au logement, l'adoption de la loi créant le droit au logement opposable (DALO) avait constitué une avancée pour le respect des engagements internationaux, tel n'est pas le cas.

Aujourd'hui, le DALO ne répond que partiellement à l'objectif de garantir le droit fondamental au logement en restant encore très loin de cette obligation générale et ne constitue qu'un minimum.

Cependant, son application elle-même est considérablement déficitaire.

Ainsi, malgré la reconnaissance du « droit opposable » par la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, les expulsions de locataires en difficulté, y compris ceux ayant été déclarés prioritaires par les commissions DALO, continuent d'être la règle, contrairement aux prescriptions internationales.

Partant de ce constat, le comité de suivi du DALO a adopté à l'unanimité en mars dernier une motion demandant au gouvernement de prendre toutes mesures utiles afin que les personnes reconnues prioritaires pour l'attribution d'un logement par les commissions départementales de médiation ne puissent être expulsées.

En effet, la loi DALO a ouvert aux personnes menacées d'expulsion une voie de recours leur permettant de faire reconnaître leur droit à un relogement. Ainsi, de janvier 2008 à juin 2010, 15,6 % des recours déposés devant les commissions de médiation l'ont été pour ce motif. Lorsque la commission prend une décision favorable au demandeur, le préfet est tenu de faire en sorte qu'il reçoive une offre de logement adaptée à ses besoins et à ses capacités.

Cependant le comité de suivi a constaté que des personnes désignées comme prioritaires ont été expulsées avec le concours de la force publique, et ce, sans avoir reçu d'offre de relogement.

Outre les souffrances humaines qu'engendrent toutes les expulsions, celles qui concernent des prioritaires « DALO » constituent un véritable dysfonctionnement de l'État, garant du droit au logement.

Cette situation a d'ailleurs conduit le Conseil d'État, dans son rapport annuel de 2009, à définir les droits dits opposables à l'État comme des droits fictifs, ce qui ne peut manquer d'interpeller tout citoyen qui pense vivre en République et dans un État de droit...

Le comité de suivi a donc demandé que l'État organise sa propre cohérence en mettant en oeuvre les quatre principes suivants :

1°) Que toute personne faisant l'objet d'un jugement d'expulsion soit informée par le préfet de la possibilité de déposer un recours DALO en vue d'obtenir un relogement, ainsi que des coordonnées des services et organismes susceptibles de l'assister dans cette démarche.

2°) Lorsqu'une personne a déposé un recours DALO, que la décision d'accorder le concours de la force publique soit suspendue en attente de celle de la commission de médiation ; cette dernière ne doit pas exiger que le concours de la force publique soit accordée avant de se prononcer.

3°) Lorsqu'une personne a été désignée comme prioritaire par la commission de médiation, qu'aucun concours de la force publique ne soit accordé avant qu'elle ait obtenu une offre de logement adaptée à ses besoins et à ses capacités.

4°) Que le refus de concours de la force publique donne effectivement lieu à l'indemnisation du propriétaire, ce qui suppose l'abondement du budget concerné à hauteur des besoins. En effet, ce fonds d'indemnisation a été divisé par deux en trois ans, de 78 millions d'euros en 2005 à 38 millions en 2008.

Plus récemment, dans son rapport de décembre 2010, le comité de suivi appelle, d'une façon que l'on pourrait qualifier de manière virulente, l'État à ne pas rester hors la loi.

Il estime en effet, que si le DALO a permis, depuis 2008, que 30 000 ménages soient logés (27 000) ou hébergés (3 000) suite à un recours, le nombre de personnes déclarées prioritaires et pourtant sans offre de relogement reste trop important. Ceci sans compter que la procédure DALO vise à écrémer au maximum le nombre de demandeurs et qu'aujourd'hui ne sont déclarés comme prioritaires qu'une infime minorité des demandeurs de logement.

Ainsi, le nombre de personnes déclarées « prioritaires logement » sans offre au 30 juin 2010 était de 14 000 ménages dont 12 500 désignés par les commissions franciliennes dont 10 000 par celle de Paris.

Malgré la hausse des relogements, l'écart entre prioritaires et relogés continue à se creuser. Le DALO constitue, à ce titre, le plus sûr révélateur des carences de l'action publique.

À ces dysfonctionnements, le comité de suivi DALO ajoute également la confusion des critères utilisés par les commissions de médiation pour désigner comme prioritaires certains ménages.

En effet, certaines commissions de médiation refusent de désigner comme prioritaires les ménages expulsés, tant que ceux-ci ne font pas l'objet d'une décision de concours de la force publique.

Cette situation est anormale et ne respecte pas la législation actuelle.

Pour garantir un droit universel au logement effectif, nous proposons donc :

Dans l'article 1 er de cette proposition de loi, de redéfinir le droit au logement comme un droit universel, accessible à tous, peu importe leur situation juridique sur le sol français. Nous proposons également que toute autorité publique ait qualité sur le territoire de son ressort pour s'assurer de la conduite à bonnes fins de la mise en oeuvre effective de ce droit

Dans un article 2, d'interdire le recours par le préfet à la force publique dans une procédure d'expulsion locative décidée en justice, lorsque la personne visée par cette procédure et qui ne serait pas en mesure d'accéder à un logement par ses propres moyens ou de s'y maintenir, n'a pas obtenu de proposition de relogement adapté à ses besoins et à ses capacités.

Dans ce même article, nous proposons également de reprendre les préconisations formulées par le comité de suivi du DALO afin d'interdire toute expulsion de personne reconnue prioritaire par les commissions DALO ou dans l'attente d'une réponse à un dossier déposé devant cette commission.

Dans l'article 3 , nous garantissons l'équilibre financier de ces mesures.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le premier alinéa de l'article L. 300-1 du code de la construction et de l'habitat est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le droit à un logement décent et indépendant, mentionné à l'article 1 er de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement est garanti par l'État à toute personne qui n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir.

« Toute autorité publique a qualité sur le territoire de son ressort pour s'assurer de la conduite à bonnes fins de la mise en oeuvre effective de ce droit. »

Article 2

Après l'article L. 613-3 du code de la construction et de l'habitation, il est inséré deux articles L. 613-3-1 et L. 613-3-2 ainsi rédigés :

« Art. L. 613-3-1. - Aucun concours de la force publique ne peut être accordé lorsque la personne visée par la procédure d'expulsion locative mentionnée aux articles précédant et qui ne serait pas en mesure d'accéder à un logement par ses propres moyens ou de s'y maintenir, n'a pas obtenu de proposition de relogement adapté à ses besoins et à ses capacités.

« Art. L. 613-3-2. - Nonobstant toute décision d'expulsion passée en force de chose jugée et malgré l'expiration des délais accordés en vertu des articles précédents, il doit être sursis à toute mesure d'expulsion lorsque la personne visée par cette procédure a fait une demande au titre de la loi n° 2007-290 du 7 mars 2007 instituant un droit au logement opposable et est dans l'attente d'une réponse de la commission départementale de médiation.

« Lorsqu'une personne a été désignée comme prioritaire par la commission de médiation, aucun concours de la force publique ne doit être accordé avant qu'elle ait obtenu une offre de logement adaptée à ses besoins et à ses capacités. »

Article 3

Les conséquences financières éventuelles découlant pour l'État de l'application des dispositions ci-dessus sont compensées à due concurrence par le relèvement du taux prévu au 2 de l'article 200 A du code général des impôts.

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