N° 142

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du ler décembre 1997.

PROPOSITION DE LOI

visant à prévenir et réparer les conséquences de l'utilisation de /'amiante,

PRÉSENTÉE

Par Mme Nicole BORVO, M. Guy FISCHER, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, MM. Jean DERIAN, Michel DUFFOUR, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Santé publique. - Amiante.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Les conséquences de l'utilisation de l'amiante sont autant un problème de santé publique qu'une question de santé au travail. Elles provoquent de grandes souffrances, des maladies graves pouvant entraîner la mort.

Dès le début du siècle, la nocivité de l'amiante est relevée par un inspecteur du travail de Caen. Dans les années 1930, l'asbestose est reconnue maladie professionnelle en Grande-Bretagne, et des mesures contre l'empoussièrement des ateliers y sont mises en oeuvre.

En France, il faut attendre 1945 pour la reconnaissance comme maladie professionnelle de l'asbestose et 1976 pour celle du mésothéliome (cancer). Ce n'est qu'à cette date qu'une campagne est menée pour limiter l'empoussièrement de l'air en amiante. Pourtant dès les années 1950, l'amiante est reconnue comme cancérigène. Le lien entre mésothéliome et exposition à l'amiante est établi au début des années 1960.

C'est donc à cette époque que l'interdiction de l'amiante aurait dû être prononcée. Pourtant, les importations d'amiante ont crû jusqu'en 1975.

Les premiers textes définissant les mesures d'hygiène ou de contrôle et interdisant les flocages datent de 1977. L'interdiction de l'amiante n'a été décidée qu'en juillet 1996 - avec d'ailleurs des dérogations - avec effet au 1 er janvier 1997 !

La protection des salariés et des usagers est urgente :

Les décrets instituant une surveillance médicale des salariés affectés aux travaux de l'amiante ont été pris en mars 1987 et février 1996.

Plusieurs milliers de cancers sont imputables chaque année à l'exposition professionnelle à un toxique. Seule une infime partie d'entre eux est reconnue comme maladie professionnelle. En 1993, seules 544 maladies liées à l'amiante ont été reconnues et indemnisées. Un tel retard pénalise gravement les victimes et leurs ayants droit, creuse le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale et exonère le patronat de ses responsabilités (il finance seul la branche accidents du travail et maladies professionnelles, proportionnellement au nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles).

En raison de la gravité des maladies liées à l'amiante, du nombre considérable de victimes à venir (10000 morts par an dans les cinq ans), il est urgent de mettre en oeuvre des mesures prenant mieux en compte les intérêts des salariés, la réparation et l'indemnisation par la seule branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Comme il n'est pas acceptable que l'indemnisation des salariés victimes de ces maladies ne leur permette pas le plus souvent de vivre dignement, les modalités de reconnaissance doivent être simplifiées, les taux de réparation revus à la hausse. La présomption d'origine pour tous les salariés qui ont, à quelque moment que ce soit de leur carrière, été exposés à l'amiante doit être renforcée.

Une campagne nationale d'information en direction des salariés, des entreprises, de la population et du corps médical doit être menée pour faciliter le recensement des expositions antérieures et prévenir toute exposition nouvelle. L'information des occupants des locaux dangereux doit être rendue obligatoire.

La formation du corps médical, médecins du travail, médecins généralistes et hospitaliers doit rendre plus efficace le dépistage, l'éviction du risque, la reconnaissance et la réparation des atteintes à la santé provoquées par l'amiante.

Nous proposons que les services médicaux du travail reconstituent les expositions réelles ou potentielles de tous les salariés afin que ceux-ci bénéficient, même en cas de doute, d'une surveillance médicale spéciale qui doit être poursuivie après arrêt de l'activité professionnelle.

Le recensement des bâtiments floqués ou contenant de l'amiante doit s'accélérer :

L'utilisation massive de l'amiante entraîne des conséquences sur la santé des salariés, notamment de la construction, et de la population. Au-delà de l'interdiction de l'amiante décidée en juillet 1996, il est indispensable de mettre en oeuvre rapidement des mesures de prévention pour éviter que le nombre de cancers liés à l'utilisation de l'amiante se multiplie davantage.

Nous proposons qu'un inventaire de tous les locaux floqués ou contenant de l'amiante soit entrepris immédiatement. Un tel recensement implique l'inspection complète et détaillée de tous les locaux ; il doit s'accompagner d'une évaluation potentielle de l'exposition à l'amiante de toutes les personnes concernées.

L'élimination de l'amiante est aujourd'hui considérée comme un marché rentable, évalué à 50 milliards de francs, par ceux-là mêmes qui ont tiré profit de son utilisation.

Après l'annonce de l'interdiction de l'utilisation de l'amiante au 1 er janvier 1997, seule la profession du BTP est habilitée à définir les conditions de l'accréditation des entreprises qui effectuent le déflocage ou le décalorifugeage. Cette disposition a tendance à privilégier les grandes entreprises de ce secteur, sans que les garanties en matière de sécurité soient assurées, au détriment des PME et des FMI qui ont fait leurs preuves dans cette activité.

Il est indispensable que les mesures de désamiantage ne soient effectuées que par des entreprises spécialisées recevant un agrément officiel et renouvelé chaque année.

Nous proposons que les salariés des entreprises de désamiantage reçoivent une formation spécifique initiale et continue, et que soit interdite toute forme de travail précaire et de sous-traitance. Un statut particulier des travailleurs exposés à l'amiante, qui renforce entre autres leur suivi médical professionnel et postprofessionnel, doit être établi avec les intéressés.

Au-delà des risques évoqués pour les salariés des professions à risques, des dispositions analogues, en particulier pour la prévention, le diagnostic, la reconnaissance et la réparation des maladies liées à l'amiante, doivent être mises en place pour les usagers des immeubles floqués et les familles des salariés ayant été ou étant exposés à ce risque.

Indemnisation des dégâts créés par l'amiante :

Pour faire face à l'ampleur des actions à engager pour lutter contre l'amiante et ses conséquences, endiguer l'évolution alarmante des cancers du poumon, réduire les pollutions à la source, assurer le suivi médical des salariés et des populations exposés et l'indemnisation des victimes et de leur famille, d'importants moyens financiers doivent être mobilisés. Il n'est pas juste, comme c'est le cas aujourd'hui, qu'ils soient prélevés sur les fonds du régime général de la Sécurité sociale. Les responsables de la situation - le patronat des industries de transformation et des secteurs utilisateurs, les pouvoirs publics - doivent y participer.

Nous proposons d'accroître les ressources du régime accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale par une augmentation des cotisations patronales. Cette disposition permettrait d'établir une cartographie des populations exposées, de définir et d'impulser les actions de prévention adaptées. La reconnaissance de 10000 cancers professionnels par an induirait à elle seule le doublement des cotisations, soit environ 40 milliards de francs.

Nous proposons également de créer un fonds de prévention et d'indemnisation qui servirait à financer :


• l'indemnisation des victimes et de leurs familles,


• les actions de recensement des bâtiments floqués à l'amiante,


• les opérations de déflocage et de décontamination,


• les projets de reconversion des sites de production de l'amiante,


• les programmes de recherche pour la gestion et la détection des déchets d'amiante, la recherche sur les matériaux de substitution.

Nous proposons que ce fonds de prévention et d'indemnisation soit alimenté par une contribution des entreprises ayant fabriqué ou utilisé des produits contenant de l'amiante, par l'Etat et par les compagnies d'assurance, directement intéressées à la réduction des risques couverts.

La gestion des déchets de l'amiante :

Une réglementation stricte de la gestion efficace des déchets de désamiantage doit être mise en oeuvre sans délais, afin d'éviter toute nouvelle contamination dans les années à venir.

La mise en décharge des déchets ultimes, donc extrêmement dangereux, ne peut pas pleinement être satisfaisante, même si elle est le fruit d'une longue bataille. Elle ne peut être conçue que comme une solution transitoire, d'autant que des déchets provenant de démolitions ne sont pas tous stockés dans des décharges contrôlées.

Il existe un moyen sûr de détruire définitivement les déchets contenant de l'amiante grâce à une technique développée par une filiale d'EDF. Il semblerait que le coût de cette technique, connue sous l'appellation de torche à plasma, serait quatre fois plus élevé que la mise en décharge. Mais est-ce une raison suffisante pour ne pas la mettre en place ? La vie humaine doit-elle être considérée comme un coût?

Développer les produits de substitution :

II n'existe pas de substitut universel à l'amiante, mais il existe plusieurs produits pouvant la remplacer au cas par cas.

Les produits de Fibrociment peuvent être remplacés par plusieurs matériaux: les plaques par des bacs en acier galvanisé, les canalisations par des tuyaux métalliques, en béton vibré ou en PVC. Il existe également du Fibrociment sans amiante, à base de fibres végétales locales, utilisé dans plusieurs pays d'Amérique centrale, ou de fibres de coton, sans risque spécifique majeur.

Les garnitures de freins et d'embrayage peuvent être réalisées sans amiante, comme c'est déjà le cas dans de nombreux pays. L'amiante est remplacé par un mélange de fibres de silicate de calcium, qui n'entraîne pas non plus de risques spécifiques.

Quant à l'isolation phonique et thermique, des produits de substitution existent (laine minérale, laine de verre, de roche, de laitier, fibres céramiques, etc.), mais peu d'études épidémiologiques existent pour évaluer les risques à terme. Les débats sont faussés par la défense des intérêts économiques de grands groupes.

Le développement des connaissances devrait permettre la mise au point de matériaux et une technologie de fabrication, faisant disparaître les risques de cancer.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs les sénateurs, de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante :

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Il est institué un fonds de prévention et d'indemnisation des dégâts causés par l'amiante. A cet effet, une taxe, dont le taux sera fixé par décret, sera prélevée sur les bénéfices des entreprises ayant fabriqué et mis en vente de l'amiante, sous quelque forme que ce soit.

Article 2

Le fonds de prévention et d'indemnisation institué à l'article 1 er servira, en tant que de besoin, à financer la réparation aux salariés et aux usagers victimes des maladies liées à l'amiante, le désamiantage des bâtiments concernés, et la recherche sur les matériaux de substitution.

Article 3

Dans les entreprises privées, les établissements publics, les travaux de recensement sur la présence d'amiante et les mesures à prendre en conséquence devront être effectuées avant le 31 décembre 1997.

Dans tous les cas, des phases de retrait devront être prévues. Pour les établissements publics, le fonds de prévention et d'indemnisation institué à l'article 1 er contribuera au financement des travaux.

Article 4

L'élimination des stocks de matériaux contenant de l'amiante est immédiate. Il est interdit d'utiliser, dans quelque endroit que ce soit, tout produit à base d'amiante.

Article 5

Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les commissions de sécurité doivent connaître l'état de recensement de la présence d'amiante. Ils peuvent prescrire l'exécution de travaux de désamiantage sans délai, sur la base des résultats connus.

Article 6

Pour les immeubles d'habitation collectif, le retrait de l'amiante sera financé par le fonds de prévention et d'indemnisation institué à l'article 1 er . Le recensement de ces immeubles devra être effectué avant le 30 juin 1998.

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