N° 95

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 novembre 2005

PROPOSITION DE

RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE (1) EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT,

sur la Communication de la Commission relative au résultat de l' examen des propositions législatives en instance devant le législateur (E 2982),

Par M. Bernard FRIMAT,

Sénateur,

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM.  Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.

Union européenne.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le texte E 2982 est original à double titre :

- tout d'abord, son objet n'est pas d'avancer une proposition législative européenne, mais au contraire d'en retirer soixante-huit ;

- ensuite, le Sénat est saisi de ce texte au titre de la clause facultative de l'article 88-4 de la Constitution, qui permet au Gouvernement de soumettre aux deux assemblées des textes qui ne sont pas des projets d'actes européens comportant des dispositions de nature législative.

Le retrait de propositions législatives par la Commission européenne n'est pas une anomalie : chaque fois qu'elle a un pouvoir de proposition en vertu du traité, la Commission a de ce fait également le droit de retirer sa proposition. Et les retraits de textes sont relativement fréquents : durant la précédente législature européenne (1999-2004), la Commission a retiré au total environ 250 textes.

La proposition E 2982 présente toutefois des aspects nouveaux.

Tout d'abord, elle se situe dans le cadre d'une initiative globale de la Commission, lancée en mars 2005, visant à « améliorer la réglementation en matière de croissance et d'emploi dans l'Union européenne » .

Dans le cadre de cette initiative, la Commission a retenu trois orientations :

- tout d'abord, l'« acquis communautaire » devra être mis à jour et, autant que possible, simplifié ;

- ensuite, les nouvelles propositions législatives feront l'objet d'une évaluation d'impact ;

- enfin, et c'est l'objet du document sur lequel le Sénat est appelé à se prononcer, la Commission a entrepris de réexaminer les textes en instance d'examen qu'elle avait présentés avant le 1 er janvier 2004 , soit 183 propositions. Parmi ces propositions, la Commission a décidé le retrait de celles qui, selon elle, « ne sont pas jugées cohérentes par rapport aux objectifs de Lisbonne ou aux principes relatifs à l'amélioration de la législation, ne sont pas suffisamment avancées sur le plan du processus législatif ou sont des propositions ayant perdu leur caractère d'actualité » .

En retirant cet ensemble de propositions, la Commission prétend donc se situer dans une démarche d'amélioration de la qualité de la législation, en mettant en avant la priorité accordée à la croissance et à l'emploi.

Par ailleurs, ce retrait d'un ensemble de textes s'effectue dans des conditions nouvelles. D'après l'« accord-cadre », conclu en 2000 entre le Parlement européen et la Commission, celle-ci doit seulement « informer » le Parlement et le Conseil avant de retirer des propositions. Toutefois, compte tenu du retentissement que la Commission a voulu donner au retrait de cet ensemble de textes, aussi bien le Parlement que le Conseil ont décidé d'examiner de près la liste des propositions retirées. Dans le cas du Conseil, cet examen aura lieu le 28 novembre, et c'est dans la perspective de cette réunion que le Gouvernement a décidé de consulter le Sénat.

Cette nouvelle pratique paraît justifiée. À partir du moment où des institutions législatives ont commencé à délibérer sur un texte, il est normal de les écouter et de leur donner des explications avant de décider le retrait de ces textes. Le pouvoir d'initiative dont dispose la Commission, pouvoir qui est un des éléments de l'équilibre institutionnel au sein de l'Union, ne s'en trouve pas compromis.

En tout état de cause, le retrait simultané de plusieurs dizaines de propositions met en relief les prérogatives de la Commission dans la procédure législative. Dans les débats sur la directive « services », il a parfois été avancé que cette directive, étant désormais entre les mains des institutions législatives communautaires, ne pouvait plus être retirée : il n'en était rien. La directive « services » aurait pu s'ajouter à la longue liste de textes retirés qui est soumise au Sénat. Il est vrai que la Commission a décidé de faire porter son réexamen seulement sur les textes antérieurs au 1er janvier 2004, et il se trouve que la directive « services » est datée du 13 janvier 2004. Toutefois, une analyse attentive permet de découvrir, parmi les 68 textes devant être retirés, douze propositions en réalité adoptées par la Commission après le 1 er janvier 2004. En conséquence, rien ne s'opposait, sur le plan de la procédure, à ce que cette proposition de directive soit retirée. Il est certes de bonne méthode d'attendre l'avis du Parlement européen avant de la remettre en chantier, puisque cet avis fournira des indications utiles, mais, ensuite, rien n'empêchera qu'elle soit entièrement revue.

L'examen proprement dit de la liste de propositions retirées peut donner le sentiment d'être en présence de textes importants : en réalité, la plupart des propositions en cause s'avèrent périmées, soit parce que leur substance a été reprise dans d'autres textes, soit parce qu'elles s'appliquaient aux relations avec les nouveaux États membres avant leur adhésion et n'ont donc plus d'objet. Il y a donc un souci d'affichage dans ce retrait d'un ensemble de textes dont beaucoup sont désormais sans véritable portée.

C'est précisément ce souci d'affichage qui paraît poser problème. Il pourrait y avoir là une confusion dangereuse entre « mieux légiférer » et « moins légiférer ».

« Mieux légiférer », l'intention est louable : assurément, la construction européenne n'est pas grandie par certaines réglementations très minutieuses qui encombrent l'ordre du jour au Parlement européen. Ainsi, un des textes retirés concerne « la gamme des poids nominaux des extraits de café et des extraits de chicorée » ; un autre concerne « l'harmonisation des dates des soldes » . Chacun admettra que la construction européenne ne souffrira pas du retrait de ces textes.

Pour autant, « mieux légiférer » ne doit pas signifier de manière systématique « moins légiférer ». Un développement de la législation européenne reste nécessaire dans des domaines comme les normes sociales, l'environnement, l'énergie, l'harmonisation des fiscalités, qui sont autant de domaines où les citoyens ont une attente à l'égard de l'Europe et où celle-ci peut apporter une réelle valeur ajoutée en développant une législation. « Mieux légiférer », ce doit être d'abord déplacer l'accent vers ces domaines, et non pas renoncer à toute législation ambitieuse. Jusqu'à présent, le principal modèle juridique européen a été le modèle « romano-germanique » caractérisé par le rôle central du législateur. Mais aujourd'hui, le modèle anglo-saxon qui met davantage l'accent sur le contrat, sur la négociation, est de plus en plus souvent mis en avant, et cette évolution paraît préoccupante. Pour que les citoyens se retrouvent davantage dans la construction européenne, il faut garder une ambition législative forte pour l'Europe.

Dans cet esprit, il paraît souhaitable que le Sénat manifeste son attachement à certains des textes que la Commission entend retirer. Naturellement, nul ne peut contester à la Commission le droit de retirer ces textes, mais à partir du moment où le Gouvernement est consulté dans le cadre du Conseil, et à partir du moment où lui-même demande au Sénat son sentiment, il paraît opportun d'indiquer que certains de ces textes présentent un intérêt dans leur principe, et que, s'ils étaient malgré tout retirés, il conviendrait que la Commission prenne une nouvelle initiative dans le même domaine.

Certes, les textes en cause sont bloqués depuis longtemps dans le processus de décision. Mais ils sont une pierre d'attente et traduisent une volonté de légiférer. Les retirer purement et simplement pourrait avoir une portée politique, en signifiant que l'on renonce à légiférer dans ces domaines. Il est donc souhaitable que la Commission indique clairement qu'une législation communautaire dans ces domaines reste d'actualité. Dans cet esprit, le maintien de six des textes dont la Commission envisage le retrait devrait être proposé.

Il s'agit tout d'abord des deux textes relatifs à la mutualité européenne :

- la proposition de règlement portant statut de la mutualité européenne,

- la proposition de directive complétant le statut de la mutualité européenne pour ce qui concerne le rôle des travailleurs.

Il est vrai que ces textes sont en discussion depuis plus de dix ans et que les négociations sont rendues très difficiles par la grande variété des situations en Europe. Mais les mutuelles ont une réelle importance économique et sociale : par exemple, elles représentent 20 % du marché européen de l'assurance. Or, l'absence de statut européen les place en position défavorable par rapport aux sociétés anonymes qui bénéficient, quant à elle, d'un statut européen depuis 2000. De ce fait, la création de groupes mutualistes de taille européenne est pratiquement impossible. Le texte relatif au statut de la mutualité répond donc à un réel besoin. Quant au texte complémentaire sur le rôle des travailleurs, il prévoit un ensemble de prescriptions minimales concernant l'information et la consultation des travailleurs du secteur mutualiste.

Des raisons analogues plaident pour le maintien du texte concernant le statut d'association européenne et du texte complémentaire sur le rôle des travailleurs. Les associations du secteur de l'économie publique, sociale et coopérative voient leur développement au-delà des frontières nationales entravé par l'absence de statut européen. Il en est de même des ONG internationales ou, plus modestement, des structures associatives implantées dans des zones frontalières. La définition d'un statut d'association européenne paraît donc d'une indéniable utilité. Quant au texte complémentaire sur le rôle des travailleurs dans le secteur associatif, il est de même esprit que celui concernant le secteur mutualiste.

Par ailleurs, la proposition de directive concernant les restrictions à la circulation des poids lourds paraît fondée sur des préoccupations incontestables. Quelles que soient les insuffisances de la proposition de départ, on ne peut ignorer les problèmes auxquels ce texte entendait répondre : anarchie des plages horaires, stationnements sauvages sur les aires de repos, mauvaises conditions d'attente des chauffeurs routiers, dangers pour la sécurité routière. Compte tenu du projet de compromis préparé par la commission compétente du Parlement européen, il serait souhaitable que la discussion se poursuive. À tout le moins si le texte est retiré, il conviendrait qu'une nouvelle proposition soit présentée qui intègre les acquis des travaux du Parlement européen.

Enfin, il convient de rappeler l'intérêt de la proposition de directive tendant, d'une part, à harmoniser la taxation du gazole à usage professionnel et, d'autre part, à faire converger la taxation du gazole non professionnel vers celle de l'essence . Pour ce qui est du gazole à usage professionnel, l'harmonisation se justifie à la fois pour éviter des distorsions de concurrence et pour des raisons de protection de l'environnement, des trajets parfois nettement plus longs étant choisis pour des raisons fiscales. Quant à la convergence des accises applicables à l'essence et au gazole non professionnel, elle se justifie notamment pour des raisons environnementales. La demande de maintien de ce texte serait, en outre, un symbole de l'importance qui devrait s'attacher d'une manière générale à l'objectif d'une plus grande harmonisation fiscale en Europe, même si la règle de l'unanimité rend cet objectif très difficile à atteindre. Non seulement l'absence d'harmonisation entraîne des distorsions de concurrence, mais encore elle conduit à une concurrence fiscale qui, à terme, risque de compromettre le modèle social européen.

Pour ces raisons, la délégation pour l'Union européenne a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission : « Résultat de l'examen des propositions législatives en instance devant le législateur » (texte E 2982),

Souligne que le souci d'améliorer la qualité de la législation communautaire ne saurait justifier que l'Union renonce à l'objectif d'une large harmonisation des législations, notamment en matière sociale, fiscale et environnementale : « mieux légiférer » n'est pas « moins légiférer » ;

Estime qu'une concertation telle que celle qui a entouré le texte E 2982 doit être pratiquée avant le retrait de tout texte important ayant été examiné par le Parlement européen, afin notamment que soient pris en compte les travaux de celui-ci en cas de préparation d'une nouvelle initiative ;

Regrette que la Commission n'ait pas usé d'une méthode plus transparente, en ne fournissant pas pour chacun des textes les raisons ayant conduit à une décision de retrait ;

Relève que rien ne s'oppose au retrait et au réexamen complet, en tenant compte des travaux du Parlement européen, de la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur ;

Invite le Gouvernement à demander à la Commission européenne de ne pas retirer les textes suivants :

- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant statut de l'association européenne,

- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant statut de la mutualité européenne,

- la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil complétant le statut de l'association européenne pour ce qui concerne le rôle des travailleurs,

- la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil complétant le statut de la mutualité européenne pour ce qui concerne le rôle des travailleurs,

- la proposition de directive du Conseil concernant un système transparent de règles harmonisées en matière de restrictions à la circulation applicables aux poids lourds effectuant des transports internationaux, compte tenu du projet de compromis préparé par la commission compétente du Parlement européen,

- la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 92/81/CEE et la directive 92/82/CEE en vue d'instituer un régime fiscal particulier pour le gazole utilisé comme carburant à des fins professionnelles et de rapprocher les accises de l'essence et du gazole,

ou de s'engager à prendre rapidement des initiatives de portée équivalente dans les domaines concernés.

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