N° 179

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 janvier 2006

PROPOSITION DE

RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE (1) EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT,

sur la proposition de directive modifiant la directive visant à la coordination de certaines dispositions législatives , réglementaires et administratives des États membres relatives à l' exercice d' activités de radiodiffusion télévisuelle (E 3038),

Par M. Louis de BROISSIA,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM.  Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.

Union européenne.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La directive « Télévision sans frontières » (TVSF) constitue la pierre angulaire de la politique audiovisuelle européenne. Adoptée en 1989, après de difficiles négociations, cette directive vise la réalisation de deux objectifs :

- assurer la libre circulation des émissions de télévision dans l'Union européenne ;

- soutenir et promouvoir la diversité culturelle.

À cette fin, elle repose sur deux éléments :

- l'unicité du droit applicable : chaque radiodiffuseur est soumis à la législation de son État d'origine, les autres États membres garantissant la libre réception et retransmission des émissions ;

- l'harmonisation des législations nationales dans un certain nombre de domaines, tels que la protection des mineurs, la publicité ou le droit de réponse.

En outre, la directive prévoit l'instauration de quotas de diffusion et de production d'oeuvres européennes :

un temps de diffusion majoritaire doit être consacré à la diffusion d'oeuvres européennes « chaque fois que cela est réalisable » pour encourager leur production et leur diffusion ;

les oeuvres doivent provenir de producteurs indépendants pour au moins 10 % du temps de diffusion ou au moins 10 % du budget de programmation avec une « proportion adéquate » d'oeuvres récentes.

La directive TVSF a été une première fois révisée en 1997, afin de clarifier certains points, comme la notion d'« oeuvre européenne ». C'est toutefois une révision de tout autre ampleur qui est actuellement en préparation au niveau européen.

En effet, le paysage audiovisuel s'est considérablement modifié ces dernières années en Europe, avec notamment le développement des chaînes par satellite et du numérique. Et cette évolution ne pourra que s'accélérer à l'avenir avec le développement des nouvelles technologies et la convergence entre l'audiovisuel et les télécommunications. Les opérateurs de télécommunications seront bientôt en mesure de fournir des services de radiodiffusion d'une qualité égale à celle de la télévision classique sur des supports très divers (ordinateur, téléphone portable, assistant numérique personnel, etc...). Or, dans un paysage aussi évolutif, une réglementation qui ne s'adapte pas est une réglementation vouée à disparaître, par obsolescence.

En 2002, la Commission a donc lancé une procédure de consultation sur la révision de la directive TVSF. À l'origine, l'idée de la Commission européenne, était d'élaborer un nouvel instrument portant sur les contenus audiovisuels. La France était, au départ, assez hostile à cette idée, car les autorités françaises craignaient qu'une telle révision se traduise par une remise en cause des « quotas », qui ont toujours été contestés par de nombreux États. Cette idée a été progressivement abandonnée par la Commission, qui s'est orientée vers une adaptation de l'actuelle directive. En définitive, celle-ci a présenté sa proposition de directive révisée le 13 décembre dernier.

Les débats autour de la révision de la directive TVSF devraient se concentrer sur quatre grands enjeux, qui ne présentent pas la même importance selon les États.

1. La principale nouveauté du texte proposé par la Commission tient à l'inclusion de tous les services audiovisuels, quel que soit leur mode de diffusion, dans le champ d'application de la directive.

Au sein de ces services, la Commission propose de distinguer, d'une part, les services linéaires , c'est-à-dire les programmes de télévision que le téléspectateur reçoit passivement, y compris la télévision sur Internet et les mobiles, et, d'autre part, les services non linéaires , c'est-à-dire les services à la demande dont le contenu est accessible à tout moment par les utilisateurs (vidéo à la demande, services d'information en ligne, téléchargement de musique) et d'appliquer une réglementation à deux niveaux.

Le premier niveau de réglementation, applicable à l'ensemble des services audiovisuels (linéaires et non linéaires) consisterait en un cadre commun de principes généraux, tel que la protection des mineurs, mais aussi des dispositions relatives à la promotion de la diversité culturelle.

Le second niveau de réglementation, applicable aux seuls services audiovisuels linéaires, reprendrait pour l'essentiel les règles de l'actuelle directive TVSF.

Cette approche est partagée par la plupart des États, dont la France. Elle se heurte toutefois à une forte opposition des opérateurs de télécommunications et du Royaume-Uni, qui contestent en particulier l'idée d'instaurer pour les services non linéaires des obligations en termes de promotion des contenus européens. Cette opposition prend volontiers une tournure idéologique, en présentant la proposition de la Commission comme une tentative de « réglementer » Internet, seul espace de liberté encore ouvert. Or, enrichir l'offre de contenus accessibles sur Internet, ce n'est pas censurer les contenus, c'est tout au contraire contribuer à la richesse d'Internet.

2. Le deuxième enjeu, qui revêt une importance particulière pour la France, porte précisément sur la promotion de la diversité culturelle.

Tout d'abord, la Commission propose de maintenir les quotas pour la télévision classique. Mais surtout, la nouveauté du texte proposé par la Commission consiste à introduire des dispositions ayant pour objet de promouvoir la diversité culturelle et les contenus européens sur les services non linéaires, ce qui ne paraissait pas acquis dans les premières orientations de la Commission malgré la forte insistance de la France.

En définitive, sans aller jusqu'à imposer des quotas, un article de la proposition de directive prévoit que « les États membres veillent à ce que les fournisseurs de services de médias relevant de leur compétence promeuvent, lorsque cela est réalisable, et par des moyens appropriés, la production des oeuvres européennes ainsi que l'accès à ces dernières ». De plus, cet article prévoit une évaluation de cette disposition, au plus tard quatre années après l'entrée en vigueur de la directive, qui devrait, au mieux, intervenir en 2009. Enfin, dans un considérant, la Commission mentionne les critères qui devront guider cette évaluation, comme la contribution des services non linéaires à la production et à l'acquisition d'oeuvres audiovisuelles européennes, la part de ces oeuvres dans les catalogues des services de médias audiovisuels ou encore la consommation effective par les utilisateurs des oeuvres européennes proposées par ces services.

Ces dispositions ont été accueillies très favorablement par les autorités françaises, qui souhaitent les consolider et les renforcer.

3. Le troisième enjeu, qui suscite actuellement une forte controverse, concerne la publicité.

La Commission européenne propose de simplifier et d'assouplir les règles en matière de publicité. Ainsi, elle envisage de supprimer la limitation quotidienne de publicité, qui est actuellement fixée à trois heures, qu'elle considère comme obsolète. La limitation horaire, qui est fixée à 12 minutes, serait toutefois maintenue. Les diffuseurs pourront également à l'avenir choisir le meilleur moment pour faire passer de la publicité dans leurs programmes, plutôt que d'être contraints, comme aujourd'hui, de ménager des intervalles d'au moins vingt minutes entre les pauses publicitaires.

Par ailleurs, la Commission propose d'encourager de nouvelles formes de publicité comme le « placement de produit ». Cette pratique, qui signifie l'inclusion d'un produit, d'un service ou d'une marque commerciale contre rétribution sera désormais autorisée, à l'exception de l'alcool et du tabac, pour tous les services audiovisuels sauf les journaux télévisés et les émissions pour enfants. Les téléspectateurs seront simplement informés au début du film ou de l'émission que la technique du placement de produit a été utilisée. La reconnaissance du placement de produit est cependant fortement contestée par l'Allemagne, en raison d'un scandale récent autour de cette forme de publicité.

4. Enfin, la quatrième pierre d'achoppement porte sur l'application du principe du pays d'origine.

A cet égard, il convient de distinguer le cas des chaînes communautaires et celui des chaînes extracommunautaires.

En ce qui concerne les chaînes communautaires , la difficulté porte sur les délocalisations abusives. Certaines chaînes pratiquent en effet ce qu'on pourrait appeler une « évasion réglementaire » : elles se font conventionner dans un État membre, alors que le public qu'elles ciblent se situe dans un autre pays de l'Union, dans le seul but de se soustraire à la réglementation. C'est notamment le cas de certaines chaînes établies au Royaume-Uni, qui diffusent des programmes destinés au public suédois, en contournant la réglementation très stricte de ce pays en matière de protection des mineurs. Treize « petits » pays , dont la Suède et l'Autriche, ont ainsi adressé une demande à la Commission pour renforcer les dispositions relatives à la lutte contre les délocalisations abusives. Cette demande a toutefois reçu un accueil réservé de la part de la Commission européenne. Celle-ci craint, en effet, une remise en cause du principe du pays d'origine, qui constitue un élément clef de la directive.

Le cas des chaînes extracommunautaires est d'une autre nature et il a été porté, au premier chef, par la France. La sensibilité particulière de la France sur cette question s'explique par l'affaire « Al Manar », cette chaîne libanaise, diffusée par satellite, qui comportait des émissions et des fictions incitant à la haine et à caractère ouvertement antisémite. C'est parce que le satellite en question (Eutelsat) relevait du droit français, que cette chaîne avait pu être interdite dans notre pays. Afin d'éviter que ce type de situation intolérable ne se reproduise à l'échelle européenne, et en réponse à une demande des autorités françaises, la Commission propose de modifier l'actuelle directive, afin de mieux déterminer l'État compétent pour réguler les chaînes extracommunautaires. En revanche, l'idée d'une reconnaissance mutuelle des interdictions des chaînes extracommunautaires, qui avait également été proposée par la France, n'a pas été retenue à ce stade par la Commission. En effet, ce mécanisme a reçu un accueil très réservé de la part de nombreux pays, qui ont fait valoir que tous les États n'avaient pas la même conception de la liberté d'expression.

*

La proposition de la Commission européenne devrait prochainement être examinée par le Conseil et le Parlement européen dans le cadre de la procédure de codécision.

Au sein du Conseil, le rapport de force ne paraît pas a priori favorable à la France.

En effet, l'enjeu principal de la révision de la directive TVSF pour notre pays est que cette dernière crée les conditions pour que l'ensemble des services audiovisuels, y compris les services non linéaires, contribuent à l'objectif fondamental de la promotion de la diversité culturelle. Selon certaines projections, les services de vidéo à la demande devraient représenter plus de 10 % du marché de la télévision et environ 25 % du marché du cinéma dans notre pays à l'horizon 2010. Il paraît donc indispensable de prévoir dans le futur instrument des dispositions juridiquement contraignantes garantissant que l'ensemble des services audiovisuels contribuent à l'objectif de promotion de la diversité culturelle. Il s'agit, en effet, de traduire concrètement le concept de diversité culturelle, consacré récemment par la Convention adoptée dans le cadre de l'UNESCO.

Un autre enjeu important concerne l'assouplissement des règles relatives à la publicité, qui devrait préserver un juste équilibre entre, d'une part, la liberté de diffusion et, d'autre part, le respect des téléspectateurs, le principe d'intégrité des oeuvres, ainsi que le pluralisme et la qualité de la communication audiovisuelle

Enfin, la révision de la directive TVSF devrait être l'occasion d'arrêter des dispositions plus contraignantes pour lutter contre les délocalisations abusives et pour se prémunir contre tout débordement de chaînes extracommunautaires pouvant véhiculer des incitations à la haine.

Compte tenu des enjeux soulevés par la révision de la directive TVSF et de l'incertitude des débats à venir au sein des institutions européennes, il paraît souhaitable que le Sénat puisse débattre et prendre position sur ce sujet. C'est la raison pour laquelle, la délégation pour l'Union européenne a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive modifiant la directive visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (texte E 3038 - COM (2005) 646 final),

Considère que les questions traitées par cette directive conditionnent directement la qualité de vie des Européens et, de manière plus générale, la qualité de la civilisation européenne ;

Approuve l'idée d'élargir le champ d'application de la directive à l'ensemble des services audiovisuels, aussi bien linéaires que non linéaires ;

Juge essentiel que les dispositions européennes respectent pleinement la lettre et l'esprit de la Convention sur la diversité culturelle adoptée dans le cadre de l'UNESCO ; estime en conséquence indispensable que le futur instrument contienne des dispositions juridiquement contraignantes, notamment par l'application de quotas, de manière à garantir que l'ensemble des services audiovisuels contribuent à l'objectif de promotion de la diversité culturelle ainsi qu'à la production et à la circulation des oeuvres audiovisuelles européennes ;

Considère que des dispositions plus contraignantes devraient être arrêtées pour lutter contre les délocalisations abusives et pour se prémunir contre tout débordement de chaînes extracommunautaires pouvant véhiculer des incitations à la haine ;

Estime que l'assouplissement des règles relatives à la publicité devrait être subordonné à la préservation d'un juste équilibre entre, d'une part, la liberté de diffusion et, d'autre part, le respect des téléspectateurs, le principe d'intégrité des oeuvres, ainsi que le pluralisme et la qualité de la communication audiovisuelle.

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