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N° 565

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 mai 2011

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUINQUIES DU RÈGLEMENT,

tendant à garantir la diversité culturelle à l' ère numérique ,

PRÉSENTÉE

Par M. Jacques LEGENDRE,

Sénateur

(Envoyée à la commission des affaires européennes.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que le 17 mai 2011, le Parlement a définitivement adopté la proposition de loi sur le prix du livre numérique, la trajectoire donnée au Sénat à ce texte, à l'unanimité, marque un virage dans l'appréciation politique portée sur l'impact de la révolution technologique en cours 1 ( * ) .

Avec la volonté d'une part, d'appliquer les mêmes règles aux libraires proposant leurs services aux lecteurs situés en France, quelle que soit la nationalité de ces détaillants et, d'autre part, de garantir aux auteurs une rémunération juste et équitable en cas d'exploitation numérique de leurs oeuvres, le Sénat a souhaité porter un combat politique en vue de convaincre du bien-fondé de cette approche la Commission européenne ainsi que les États membres de l'Union européenne.

Avec ce texte, et au-delà de ce dernier, outre les enjeux économiques et sociaux, il s'agit bien de mener un combat culturel et sociétal, la question étant de savoir quelle société nous voulons construire pour demain, au bénéfice des entreprises et des citoyens européens.

La présente proposition de résolution a pour ambition d'inciter le Gouvernement français et les institutions européennes à se saisir de cette question majeure. En effet, les extraordinaires potentialités et facteurs de croissance liés à l'Internet et au développement du haut débit ne doivent pas être appréhendés sous leur seul angle commercial, mais aussi en termes de politique au sens noble. Car c'est bien de stratégie politique globale dont il est question.

En outre, s'agissant même de l'optique commerciale et financière, il serait souhaitable que la législation communautaire prenne davantage en compte, au-delà de toute éventuelle idéologie économique, l'intérêt général des entreprises et des citoyens européens, ces derniers ne devant pas être réduits à de simples consommateurs.

À cette fin, il apparaît nécessaire de réguler et d'accompagner au mieux la transition entre deux mondes, physique et électronique, qui doivent non pas s'exclure mais se compléter et se stimuler mutuellement le plus harmonieusement possible.

Les conditions du maintien, voire du renforcement, de la diversité culturelle doivent être confortées ; de même, il convient de s'assurer du respect des principes fondamentaux devant présider au partage de la valeur ajoutée apportée par les biens et services culturels, en particulier le droit de propriété intellectuelle.

Pour ces raisons, et aussi à des fins de protection des données personnelles et de sécurité, les autorités politiques doivent être en mesure de contribuer à la bonne gouvernance d'Internet, laquelle ne peut être confiée au seul marché.

Ceci nécessite aussi d'adopter des règles de concurrence véritablement loyales, ce qui suppose une harmonisation de la fiscalité des Etats membres, s'agissant notamment de la TVA et de l'impôt sur les sociétés. Car, on le sait bien, les multinationales qui absorbent une part croissante de la commercialisation des contenus culturels par voie électronique adoptent des stratégies d'optimisation fiscale de nature à contribuer fortement au déséquilibre du marché de l'emploi et des finances publiques de bon nombre de pays.

Telle est l'ambition de la présente proposition de résolution : porter une vision d'avenir pour que l'ère numérique soit réellement facteur de croissance et de progrès pour l'Europe et pour la France.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la stratégie « Europe 2020 » de l'Union européenne, adoptée le 19 mai 2010, et notamment ses initiatives « stratégie numérique pour l'Europe » et « Union de l'innovation »,

Vu le Livre vert « Libérer le potentiel des industries culturelles et créatives » adopté en 2010, la Résolution du Parlement Européen du 12 mai 2011, adoptée sur le rapport de Mme Marie-Thérèse SANCHEZ-SCHMID en réponse audit Livre vert, et l'analyse des réponses à la consultation par la Commission européenne, en date du 24 mai 2011,

Vu le rapport de M. Mario MONTI « Une nouvelle stratégie pour le marché unique au service de l'économie et de la société européennes », remis au Président Manuel BARROSO le 9 mai 2010,

Vu la Résolution du Parlement européen du 12 mai 2011 sur les dimensions culturelles des actions extérieures de l'Union européenne, adoptée sur le rapport de M. Marietje SCHAAKE,

Considérant les engagements internationaux de la France et de l'Union européenne au titre de la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, de 2005,

Jugeant équilibrées les conclusions du rapport de M. Jean-Michel HUBERT, remis au Premier ministre le 1 er octobre 2010, sur « les perspectives pour une Europe numérique »,

Considérant que la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique, fondatrice pour la régulation des industries culturelles à l'ère numérique, revêt le caractère d'une disposition impérative, répondant à un impérieux motif d'intérêt général : la protection de la diversité culturelle, consacrée par la convention précitée ainsi que par les traités et la jurisprudence européenne,

Considérant que la présente proposition de résolution a pour ambition de contribuer à une mobilisation renouvelée pour promouvoir la diversité culturelle à l'ère numérique, dans le respect de la propriété intellectuelle,

Considérant d'une part, que les biens culturels diffusés par voie électronique ne doivent pas être assimilés à un service commercial quelconque et, d'autre part, doivent pouvoir se voir appliquer un taux de TVA réduit afin d'être en situation de concurrence équitable avec les biens culturels physiques et de contribuer au développement d'une offre de biens et services culturels numériques légale, abondante et attractive,

Considérant que la Commission européenne, si elle se préoccupe légitimement des intérêts des consommateurs, doit aussi développer une vision politique et stratégique forte bénéficiant aux industries, aux entrepreneurs, salariés, créateurs et citoyens européens,

Considérant que le défaut d'une telle vision tend, au contraire, à conforter l'organisation rapide d'un oligopole de multinationales dont le développement est fondé sur une stratégie d'optimisation fiscale de nature à fortement contribuer au déséquilibre du marché de l'emploi et des finances publiques de bon nombre de pays,

Considérant qu'en France, la suppression du Forum des droits sur l'Internet, d'une part, et la composition du Conseil national du numérique, d'autre part, risquent d'amoindrir la capacité de notre pays à porter un regard global et transversal sur les évolutions d'ordre économique, financier, juridique, culturel, éthique et sociétal provoquées par l'Internet,

Considérant que, dans ses conclusions adoptées le 28 mai 2011, le G8 a prôné le respect des droits de propriété intellectuelle sur Internet ainsi que la création d'un « environnement dans lequel Internet peut prendre son essor d'une manière équilibrée »,

Engage le Gouvernement à « poursuivre le travail de conviction entamé auprès des institutions européennes et de nos partenaires des autres États membres de l'Union européenne », comme s'y est engagé le ministre de la culture et de la communication au Sénat le 5 mai 2011, à l'occasion de l'adoption des conclusions de la commission mixte paritaire sur la loi relative au prix du livre numérique,

Souhaite que le Gouvernement associe davantage le Parlement et l'ensemble des professionnels concernés aux réflexions sur le développement du numérique,

Engage le Gouvernement à défendre auprès des institutions européennes la nécessité d'appliquer concrètement la Convention de l'Unesco précitée et, ainsi, de tirer toutes les conséquences des engagements en faveur de la diversité culturelle et tendant à défendre les industries créatives européennes,

Invite le Gouvernement à demander aux institutions européennes d'intégrer dans leurs décisions l'impérative nécessité de limiter le transfert de la valeur ajoutée des industries culturelles européennes vers des multinationales dont la stratégie commerciale privilégie l'optimisation fiscale, au détriment des professionnels et des États européens,

Invite le Gouvernement à demander aux institutions européennes :

- une adaptation harmonisée des taux de TVA, afin que les services en ligne diffusant des livres, de la presse, des films ou de la musique soient inclus dans l'annexe III de la directive concernée, qui comporte la liste des biens susceptibles de bénéficier d'un taux réduit,

- et une révision de la « directive services », afin que les biens culturels électroniques ne soient plus traités comme des services,

Demande au Gouvernement de prôner le renforcement de la compétitivité, des capacités de création et de développement des acteurs européens, car il y va de l'avenir et de la diversité de la création et des industries culturelles européennes, ainsi que de l'emploi,

Insiste pour que cette politique d'une part, soit définie dans le respect de la propriété intellectuelle et garantisse aux auteurs une rémunération juste et équitable, et d'autre part, intègre les réflexions relatives à la protection des données personnelles et à la sécurité des systèmes,

Souhaite que le Gouvernement incite les institutions européennes à adopter, avec ambition, une telle stratégie politique, économique et culturelle au sein de l'Union, et à la défendre de façon offensive dans le cadre des négociations commerciales multilatérales et bilatérales engagées par l'Union.


* 1 Voir les rapports de Mme Colette MÉLOT, faits au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, n° 50 (2010-2011), déposé le 20 octobre 2010, et n° 339 (2010-2011) déposé le 9 mars 2011, ainsi que le rapport n° 484 (2010-2011) de Mme Colette MÉLOT, sénateur et M. Hervé GAYMARD, député, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 3 mai 2011.

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