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N° 18

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 octobre 2012

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PORTANT AVIS MOTIVÉ

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 OCTIES DU RÈGLEMENT,

sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive concernant la gestion collective des droits d' auteur et des droits voisins et la concession de licences multiterritoriales de droits portant sur des oeuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur (COM (2012) 372),

PRÉSENTÉE

Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY,

Sénatrice

(Envoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.)

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au cours de sa réunion du 4 septembre, le groupe de travail « subsidiarité » a estimé que la proposition de directive sur la gestion collective des droits d'auteur présentait des risques de non-conformité au principe de subsidiarité.

Ce texte poursuit un double objectif :

- fixer des règles de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion collective des droits d'auteur et des droits voisins ;

- créer un cadre juridique favorable au développement, dans le domaine de la musique, de la délivrance de licences multiterritoriales et multi-répertoires par les sociétés de gestion collective.

Comme l'a relevé le groupe de travail, ce texte suscite une double interrogation au regard du principe de subsidiarité.

1/ Une harmonisation poussée des règles applicables aux sociétés de gestion collective des droits d'auteur ne paraît pas fondée

La proposition entend moderniser les sociétés de gestion collective (en France, la SACEM est la plus connue) en renforçant leur transparence et leur efficacité. Elle prévoit une série de dispositions dans ce sens. Il s'agirait en particulier de préciser les droits des sociétaires, d'exiger la communication d'informations spécifiques notamment aux associés, de définir largement les possibilités de contrôle interne ou encore d'assurer une contrôle des organes dirigeants.

Affirmant un principe de non discrimination entre associés, la proposition indique également que les négociations doivent être conduites de bonne foi et que les tarifs des sociétés doivent refléter la valeur économique des droits négociés.

Bien sûr, l'objectif de transparence et d'efficacité qui est mis en avant ne suscite aucune objection dans son principe.

Toutefois, la Commission n'avance guère de justification pour une harmonisation aussi forte des règles de gestion des sociétés d'auteur. Elle affirme, mais sans en apporter la preuve, que les titulaires de droits étrangers seraient moins bien protégés que les nationaux. Elle estime qu'« il est peu probable qu'à l'avenir, les États membres garantissent la transparence nécessaire pour que les titulaires exercent leurs droits à travers les frontières ». C'est une pétition de principe plus qu'un argument.

Cette démarche peut surprendre dans un domaine où les systèmes nationaux sont anciens et bien établis.

Je rappelle qu'en France les sociétés de gestion des droits d'auteur sont des sociétés civiles. À ce titre, elles sont soumises à l'ensemble des règles applicables aux sociétés civiles prévues par le code civil. Elles sont également régies par les règles du code de commerce concernant les sociétés à capital variable et par les règles spécifiques prévues par le code de la propriété intellectuelle. S'agissant spécifiquement du droit à l'information des associés, des règles ont été prévues par la loi du 3 juillet 1985 sur les droits d'auteur.

Dès lors, le caractère trop détaillé de la proposition ne manquera pas de poser des problèmes lors de sa transposition dans les droits nationaux. Sans prétendre à l'exhaustivité, je citerai plusieurs illustrations de cet écueil prévisible. Ainsi, le texte prévoit l'institution d'une « fonction de surveillance » dont on peut se demander comment elle s'insérera dans des modèles qui sont structurés autour d'un directeur général gérant et d'un conseil d'administration, qui représente les auteurs, mais qui n'ont pas une fonction de surveillance spécifique au sens de la directive. L'obligation de séparer les recettes d'exploitation des droits et les recettes propres de la société ainsi que les revenus tirés des services aura des effets importants sur la gestion des sociétés d'auteur et sur leur équilibre économique, sans qu'on en perçoive le bénéfice que pourraient en retirer les ayants droit. Enfin, l'extension à l'ensemble des secteurs culturels et créatifs du fractionnement des droits, qui est pratiqué dans le secteur musical, ne paraît pas prendre en compte les spécificités de la gestion des droits d'auteur attachés aux oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.

On peut donc considérer qu'il y a là un problème de subsidiarité que je vous propose de relever dans le projet d'avis motivé que je vous soumets.

2/ La création d'une autorité spécifique pour l'application des normes européennes relatives à l'attribution de licences multiterritoriales ne semble pas nécessaire

La Commission européenne entend faciliter l'octroi de licences multiterritoriales pour l'utilisation d'oeuvres musicales. Elle prévoit des règles afin que les sociétés de gestion collective qui souhaitent délivrer de telles licences se conforment à des « normes européennes ». Ces dispositions seront applicables aux seules sociétés gérant des droits en matière musicale. Les États membres devront ainsi s'assurer que les sociétés en cause ont la capacité technique, notamment informatique, de les gérer et qu'elles fournissent un certain nombre d'informations en particulier sur l'identification de leur répertoire. Les sociétés pouvant délivrer ces licences devront conclure un accord de représentation avec les sociétés ne concédant pas de licences multi-territoriales aux fins de délivrer des licences multi-territoriales pour leur répertoire. La proposition prévoit aussi un certain nombre de dispositions encadrant les relations entre les sociétés délivrant des licences multiterritoriales et les services de musique en ligne, les titulaires de droit et les autres sociétés de perception des droits.

Enfin, la proposition prévoit que certains litiges puissent être soumis à un organe de règlement des différends indépendant et impartial et que les États membres désignent les autorités compétentes pour traiter des plaintes et adopter les sanctions appropriées en cas de non respect de la directive. Ces autorités seraient chargées de gérer les procédures de plainte, d'infliger des sanctions et mesures administratives appropriées et d'assurer le suivi de l'application des dispositions relatives aux licences multiterritoriales.

La mise en place de « normes européennes » pour l'attribution de licences multiterritoriales ne pose pas de problème de subsidiarité. Dès lors que le principe de telles licences serait admis et qu'est en cause une diffusion sur le territoire de plusieurs États membres, la définition de normes au niveau européen paraît nécessaire. En revanche, la désignation obligatoire dans chaque pays d'une autorité, pour veiller spécifiquement à l'application de ces « normes européennes », est beaucoup plus discutable. Il serait, en effet, plus conforme au principe de subsidiarité d'autoriser une diversité de modèles nationaux (par exemple, en France, le contrôle par le juge).

Il me semble que nous devons faire valoir cet argument.

*

Lors de sa réunion du 4 octobre 2012, la commission des affaires européennes a conclu, après débat, au dépôt de la proposition de résolution européenne portant avis motivé qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PORTANT AVIS MOTIVÉ

La proposition de directive poursuit un double objectif :

- fixer des règles de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion collective des droits d'auteur et des droits voisins ;

- créer un cadre juridique favorable au développement, dans le domaine de la musique, de la délivrance de licences multiterritoriales et multi-répertoires par les sociétés de gestion collective.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- l'article 5 du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union » ; cela implique d'examiner non seulement si l'objectif de l'action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire, mais également si l'intensité de l'action entreprise n'excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l'objectif que cette action vise à réaliser ;

- l'objectif de promouvoir une harmonisation des normes dans ce domaine et d'assurer la transparence des sociétés d'auteurs doit être approuvé ; toutefois, la proposition tend à promouvoir une harmonisation très forte des règles de gestion des sociétés d'auteur sans que des justifications convaincantes soient apportées au fait d'aller aussi loin dans le détail ;

- la mise en place de « normes européennes » pour l'attribution de licences multiterritoriales ne pose pas de problème de subsidiarité puisqu'il s'agit de diffusion sur le territoire de plusieurs États membres. Toutefois, le texte prévoit, pour l'application de ces « normes européennes », la désignation obligatoire dans chaque pays d'une autorité spécifique. Or, il serait plus conforme au principe de subsidiarité d'autoriser une diversité de modèles nationaux (par exemple, en France, le contrôle par le juge).

Le Sénat estime donc que la proposition de directive ne respecte pas, en l'état, le principe de subsidiarité.

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