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N° 93

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 octobre 2012

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l' horizon 2020 ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Roland du LUART, Georges PATIENT et Serge LARCHER,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires européennes.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 20 juin dernier, la Commission européenne publiait une communication intitulée « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne 1 ( * ) : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive », exposant la stratégie de l'Union européenne (UE) à l'égard des régions ultrapériphériques (RUP) .

Troisième communication de la Commission sur ce sujet en moins de dix ans , après celles du 26 mai 2004, intitulée « Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », et du 17 octobre 2008, intitulée « Les régions ultrapériphériques : un atout pour l'Europe », elle est intervenue quelques jours seulement avant le Forum des RUP des 2 et 3 juillet 2012 et alors que les processus de révision du « paquet réglementaire » et de négociation du nouveau cadre financier pour la période 2014-2020 étaient déjà engagés.

Désireuse de prendre position sur ce dossier crucial de l'avenir des RUP au sein de l'UE, la Délégation sénatoriale à l'outre-mer s'est saisie de cette communication et a désigné deux rapporteurs, MM. Roland du LUART et Georges PATIENT. Cette initiative est complémentaire d'une proposition de résolution européenne qui sera déposée très prochainement par M. Georges PATIENT, au nom de la commission des affaires européennes, qui se prononcera sur l'application de la politique de cohésion dans les RUP et sur les perspectives européennes pour l'octroi de mer. La présente proposition de résolution s'en remet donc à la position de la commission des affaires européennes sur ces questions.

La prise en compte des memoranda d'octobre 2009 et mai 2010, de l'analyse et des conclusions du rapport de M. Pedro SOLBES MIRA d'octobre 2011, de la déclaration finale de la XVIII e Conférence des présidents des régions ultrapériphériques de l'Union européenne des 13 et 14 septembre 2012 ainsi que des observations formulées par les présidents des régions ultrapériphériques françaises, et récemment, le 11 octobre 2012, l'audition par la délégation sénatoriale à l'outre-mer des deux députés européens représentant les RUP françaises, MM. Younous OMARJEE et Patrice TIROLIEN, ainsi que de M. Vincent BOUVIER, délégué général à l'outre-mer, ont conduit à la présente proposition de résolution.

Tirant les conséquences de l'accueil très mitigé accordé à la communication de la Commission européenne du 20 juin 2012 définissant la stratégie de l'Union européenne à l'égard des RUP, la présente proposition de résolution entend en souligner les limites et appeler à un engagement européen moins incantatoire, mais plus réaliste et pragmatique, pour une prise en compte effective des contraintes et de la diversité de ces régions ; elle appelle également à une meilleure cohérence dans la mise en oeuvre des politiques européennes entre elles, les RUP étant trop fréquemment les victimes collatérales de leurs contradictions.

I. Une communication de la Commission qui prête à interrogation

La communication du 20 juin, qui prend position tardivement sur la question de l'avenir des RUP dans le concert européen, fixe des orientations flatteuses par leur caractère ambitieux mais en décalage avec le retard de développement et la situation économique et sociale très dégradée qui caractérisent ces régions.

? Une communication manifestement tardive

Dès le 14 juin 2010, le Conseil de l'UE avait appelé à « adopter, le moment venu, une communication présentant une nouvelle stratégie pour les régions ultrapériphériques ». La communication devait initialement être présentée au début de l'année 2011.

Sa publication à la fois en urgence , à quelques jours seulement du Deuxième Forum de l'ultrapériphérie européenne des 2 et 3 juillet, et très tardive dans le calendrier européen de révision du cadre réglementaire et financier, est préjudiciable à la prise en compte des problématiques propres aux RUP . Il aurait été beaucoup plus pertinent que ce document soit publié avant ou en même temps que les propositions de la Commission européenne sur le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020, présentées le 29 juin 2011, soit un an auparavant, et celles sur le paquet règlementaire relatif à la politique de cohésion, au développement rural et à la pêche, présentées le 6 octobre 2011, soit quelque neuf mois auparavant.

? De grandes orientations globalement acceptables, sans grande innovation

La communication définit cinq axes pour la stratégie renouvelée de l'UE pour les RUP :

- l'amélioration de l'accessibilité au marché unique ;

- l'accroissement de la compétitivité ;

- le renforcement de l'intégration régionale ;

- le renforcement de la dimension sociale du développement des RUP ;

- l'intégration de la lutte contre le changement climatique dans toutes les politiques pertinentes.

Pour autant, le contenu de cette communication est largement redondant avec celui des deux communications précédentes . La communication de 2004 comprenait ainsi trois axes d'action : la réduction du déficit d'accessibilité des RUP, leur compétitivité et leur insertion régionale, trois thématiques qui figurent donc également dans la communication de 2012.

? Une communication en net décalage avec les attentes des régions ultrapériphériques

Comme l'a indiqué M. Didier ROBERT, Président du conseil régional de La Réunion, dans un courrier adressé au président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer, « les Présidents des régions ultrapériphériques ont manifesté solidairement [lors de la XVIII e conférence des présidents des régions ultrapériphériques de l'Union européenne en septembre 2012] leur plus vive préoccupation face à la faiblesse de la stratégie européenne rénovée ».

  • Dans sa déclaration finale, la Conférence des présidents des RUP a ainsi indiqué « [regretter] l'insuffisance manifeste de mesures concrètes et adaptées , ainsi que le calendrier tardif de son adoption, au regard des ambitions affichées » et « [contester] le choix de la Commission de s'appuyer uniquement sur le droit commun et [réaffirmer] à cet égard la pertinence des propositions contenues dans les Memoranda de 2009 et 2010 sur l'ultrapériphérie, notamment celles en faveur d'instruments sectoriels spécifiques » 2 ( * ) .
  • La communication est effectivement en retrait au regard :
  • - du Memorandum de mai 2010 de l'Espagne, de la France, du Portugal et des RUP, intitulé « Une vision rénovée de la stratégie européenne à l'égard de l'ultrapériphérie » : ce document appelait à la valorisation des atouts des RUP et, dans le même temps, à la prise en compte des contraintes de ces régions. Il soulignait le nécessaire équilibre entre les volets interne et externe des politiques de l'Union. Il préconisait d'adapter les politiques de l'UE et de mettre en place des instruments sectoriels spécifiques aux RUP ;
  • - du rapport « Les régions ultrapériphériques européennes dans le marché unique : le rayonnement de l'UE dans le monde », document remis en octobre 2011 par M. Pedro SOLBES MIRA à M. Michel BARNIER, membre de la Commission européenne. M. SOLBES MIRA appelait notamment à une systématisation de l'utilisation de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et à une prise en compte plus adaptée de la situation des RUP dans le cadre de la révision des aides à finalité régionale (AFR).

? Une communication illustrant les contradictions de la stratégie de l'UE à l'égard des RUP

La Commission fixe des objectifs stratégiques ambitieux pour les RUP , axés notamment sur « la compétitivité via la modernisation et la diversification des économies des RUP, l'investissement et l'innovation dans des secteurs présentant un potentiel de croissance élevé et/ou une forte valeur ajoutée (...) » 3 ( * ) .

Comme dans ses précédentes communications, elle se félicite des atouts dont disposent ces régions, résultant notamment de leur situation géographique et de leurs richesses naturelles, et va cette fois jusqu'à « reconnaître leur valeur pour l'UE dans son ensemble » 4 ( * ) . Elle scande un discours incantatoire sur la nécessité de valoriser ces atouts dans le développement d'une « croissance intelligente, durable et inclusive » et de « tenir compte des spécificités et contraintes » des RUP mais n'évoque que bien peu les nécessaires politiques de rattrapage : les RUP constituent en effet des régions en retard de développement, à ce titre éligibles jusqu'à ce jour à l'objectif « convergence » de la politique de cohésion.

Dans ces régions, la politique de cohésion doit prioritairement permettre de combler les retards en matière d'équipements structurant s : cela ne correspond pas aux orientations envisagées par la Commission européenne qui propose de flécher l'allocation RUP vers la diversification et la modernisation de l'économie.

Cela ne correspond pas non plus aux propositions de la Commission européenne en matière de concentration thématique, c'est à dire les critères auxquels doivent satisfaire les projets pour être éligibles aux fonds structurels. La Commission proposait initialement de concentrer, pour les RUP, 50 % des fonds du FEDER sur trois objectifs thématiques : le renforcement de la recherche, du développement technologique et de l'innovation ; le renforcement de la compétitivité des petites et moyennes entreprises (PME) et le soutien à la transition vers une économie à faibles émissions de CO 2 dans tous les secteurs. Le Conseil a décidé l'ajout d'un quatrième objectif : l'amélioration de l'accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC), de leur utilisation et de leur qualité. Il convient cependant d' aller plus loin dans l'assouplissement de cette concentration thématique en laissant au libre choix des RUP la détermination du quatrième objectif, ainsi qu'en abaissant le taux de concentration thématique . Cela permettra d'éviter un décalage encore plus important entre les objectifs stratégiques définis par la Commission et la réalité du terrain qui appelle un rattrapage structurel. Par ailleurs, les objectifs de développement ne pourront être atteints en l'absence de consolidation des secteurs traditionnels, garants de la cohésion sociale et véritable socle de développement de ces régions, sans lesquels l'émergence de secteurs innovants sera impossible.

? Une avancée virtuellement importante : la reconnaissance de la diversité des situations

La Commission, et cela apparaît comme une nouveauté, reconnaît que « chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d'entre elles » 5 ( * ) .

Cette volonté de prise en compte de la situation spécifique de chaque RUP rejoint une proposition formulée en 2009 par la mission commune d'information sur la situation des DOM. La mission appelait en effet à « inciter l'Union européenne à développer, non seulement une approche différenciée des régions ultrapériphériques par rapport au reste de l'Union européenne, mais aussi un traitement individualisé de chacune de ces régions » 6 ( * ) . Les RUP ne constituent pas en effet un ensemble homogène : l'ensemble des RUP françaises présentent ainsi la caractéristique commune d'un important éloignement de l'Europe continentale alors que les RUP espagnole et portugaises bénéficient d'une plus grande proximité d'accès au marché européen ; les RUP françaises elles-mêmes offrent des différences notables, en termes de niveaux de développement comme de situation géographique : ainsi l'immensité du territoire guyanais et son insertion continentale s'opposent-elles à l'étroitesse territoriale et au caractère insulaire des autres régions ; ainsi l'entrée de Mayotte dans la catégorie des RUP vient-elle compléter la palette des modes d'organisation sociale et des niveaux de vie.

Cependant, cette reconnaissance de la diversité des situations reste à ce jour une satisfaction théorique dans la mesure où la Commission, loin d'envisager une adaptation corrélative de ses politiques et de leurs instruments, se contente d'inviter chaque région à « trouver sa propre voie vers une prospérité accrue, en fonction de ses particularités » 7 ( * ) . En outre, estimant que les RUP « sont parfois mieux soutenues par des adaptations des règles de l'UE ou la prise en compte de leurs besoins spécifiques au moment de la mise en oeuvre », elle reste hostile à l'instauration d'instruments spécifiques d'aide aux RUP bien que, reconnaît-elle, « certains (...) aient fait leurs preuves » 8 ( * ) .

II. L'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), un outil à mobiliser davantage au bénéfice des RUP

Reflétant l'attachement de la Commission à marginaliser les dispositifs spécifiques et à maintenir les RUP dans le cadre commun, la stratégie décrite dans la communication du mois de juin vise à « exposer la manière dont les RUP peuvent trouver leur place parmi les nombreuses initiatives contribuant à mettre en oeuvre la stratégie «Europe 2020 » » 9 ( * ) .

Cette communication ne fait en conséquence que de rares références à l'article 349 du TFUE .

? L'article 349 du TFUE justifie que des mesures spécifiques soient prises en faveur des RUP afin de tenir compte de leurs handicaps .

Cet article dispose que « compte tenu de la situation économique et sociale structurelle [des RUP] qui est aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement, le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions d'application des traités à ces régions, y compris les politiques communes ».

? L'article 349 du TFUE, une clé juridique sous-utilisée

  • Cet article est insuffisamment utilisé du fait de l'opposition de la Commission européenne , comme cela est unanimement constaté :
  • - le rapport Solbes relève ainsi que « l'article 349 du TFUE doit permettre de tenir compte des spécificités des RUP lors de la mise en oeuvre des politiques européennes. Cela étant, cette disposition n'a pas été pleinement mise en oeuvre jusqu'ici . Les particularités communes à toutes les RUP, mais aussi leurs réalités hétérogènes, ne sont pas toujours complètement prises en compte dans des domaines tels que les transports, l'énergie ou le commerce extérieur » 10 ( * ) . Il estime par ailleurs que, « dans le cadre de la fixation d'une nouvelle stratégie pour le marché unique , il convient (...) de s'assurer de l'utilisation adéquate et systématique de l'article 349 du TFUE » 11 ( * ) ;
  • - le Parlement européen a souligné quant à lui en 2012 que « l'article 349 du TFUE , qui prévoit l'adoption de mesures spécifiques visant à atténuer l'impact des caractéristiques de l'ultrapériphérie, devrait être plus utilisé et se voir conférer la portée juridique, institutionnelle et politique nécessaire pour assurer aux RUP une intégration juste et permettant leur développement économique et social au sein du marché intérieur et plus largement au sein de l'Union » 12 ( * ) ;

- la Conférence des Présidents des RUP, enfin, réunie en septembre 2012 aux Açores, « exige l'application de la lettre et de l'esprit de l'article 349 du TFUE , base et fondement premier des interventions adaptées dans toutes les politiques de l'Union en faveur de nos Régions ; et s'inquiète particulièrement de sa faible mise en oeuvre ».

Cet article a servi de fondement à la mise en place du Programme d'option spécifique à l'éloignement et à l'insularité ( POSEI ) au début des années 1990. Conçu dans une logique plurisectorielle, le champ de ce programme a ensuite été restreint à l'agriculture . Il s'agit, aux yeux de la Délégation générale à l'outre-mer (DéGéOM), d'un « instrument qui a fait ses preuves et constitue un exemple à suivre en matière de prise en compte des spécificités des RUP dans les politiques de l'Union » 13 ( * ) . Le bilan de ce programme est positif, comme le reconnaît elle-même la Commission européenne 14 ( * ) .

Très peu de dispositifs spécifiques aux RUP ont été mis en place et très peu de textes européens visent l'article 349 du TFUE . Il est révélateur que la proposition de règlement visant à refondre le POSEI ne mentionne pas initialement cet article, tout comme le fait que la France n'ait pas encore obtenu, dans le cadre des négociations au sein du Conseil, l'inscription de la référence à l'article 349 dans les visas du projet de règlement relatif au Fonds européen relatif aux affaires maritimes et à la pêche (FEAMP).

? La détermination de la France à obtenir une meilleure utilisation de l'article 349

Lors de la Conférence des présidents des RUP de septembre 2012, M. Victorin LUREL , ministre des outre-mer, a appelé à la mise en place d'un « cadre global approprié pour les interventions communautaires dans les RUP » , qui pourrait prendre la forme d'un « règlement plurisectoriel en faveur du soutien aux filières d'avenir dans les RUP », à savoir des filières identifiées comme stratégiques et contribuant à leur désenclavement telles que les énergies renouvelables, les technologies de l'information et de la communication (TIC), les transports, le tourisme ou encore une filière bois en Guyane. Ce mécanisme pourrait comprendre un programme ? de type POSEI ? d'aides aux entreprises et couvrant ces secteurs porteurs de croissance.

Cette initiative rejoint ainsi les préoccupations exprimées dans le mémorandum de 2010 qui indiquait : « pour l'avenir, et en particulier dans les secteurs dans lesquels les progrès ont été insuffisants (transports, insertion régionale, environnement, changement climatique, recherche et innovation...), un cadre d'intervention spécifique devrait être conçu, semblable à l'approche POSEI » 15 ( * ) .

Le ministre a par ailleurs appelé de ses voeux la multiplication des déclinaisons sectorielles de l'article 349 afin de permettre l'adaptation des politiques européennes aux réalités des RUP.

Cette prise de position, déjà martelée dans les négociations en voie d'aboutir sur la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), semble devoir marquer un point. En effet, le Conseil des ministres de la pêche de l'Union européenne du 24 octobre a adopté une orientation générale sur les mesures susceptibles de bénéficier du soutien financier du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) sur la période 2014-2020 qui inclut dans ces mesures les « aides publiques à la flotte, et notamment des aides à la modernisation des navires », ainsi que des « aides à l'installation des jeunes pêcheurs et aquaculteurs ». A également été obtenue une avancée majeure pour les RUP : « l'extension à tous les DOM français du régime de compensation des coûts additionnels supportés par les pêcheurs et les aquaculteurs ultramarins en raison de leur éloignement » 16 ( * ) . Ces avancées, qui sont déterminantes pour l'avenir du secteur de la pêche dans nos outre-mer, doivent désormais recueillir l'assentiment du Parlement européen. Rappelons que la Délégation sénatoriale à l'outre-mer s'était engagée en faveur de ces évolutions permettant la prise en compte des réalités des RUP dans la réforme de la PCP en proposant à la Haute assemblée une résolution devenue résolution du Sénat le 3 juillet 2012 17 ( * ) .

Hormis le domaine de la pêche, secteur d'activité traditionnel qui joue un rôle économique et social essentiel dans les outre-mer, il apparaît nécessaire, pour compenser les handicaps structurels auxquels sont confrontés les acteurs économiques, de faire des aides d'État , un levier plus efficace. L'article 107, paragraphe 3, du TFUE permet la prise en compte des spécificités des RUP 18 ( * ) . Compte tenu de l'éloignement géographique et de l'étroitesse de leurs marchés, les aides aux entreprises des RUP ne peuvent en effet être considérées comme des menaces à la libre concurrence. Il apparaît donc indispensable que les taux actuels d'intensité et l'éligibilité des aides au fonctionnement valables dans les RUP soient maintenus et il serait même utile d'aller plus loin en introduisant un seuil de minimis spécifique à ces régions.

La prise en compte des contraintes spécifiques aux RUP sur le fondement de l'article 349 du TFUE doit également pouvoir se décliner dans les programmes européens horizontaux , tels que l'instrument financier pour l'environnement (LIFE) ou le programme « Horizon 2020 » pour la recherche. Il apparaît nécessaire, pour rendre effectif l'accès des RUP à ces programmes, d'assurer :

- un accompagnement spécifique des porteurs de projet issus des RUP ;

- des appels à projets spécifiques à ces régions.

L'accès des RUP à certains programmes horizontaux reste en effet aujourd'hui théorique, faute pour ces régions de pouvoir répondre aux critères d'éligibilité qui ne tiennent pas compte de certaines contraintes telles que, par exemple, l'éloignement. C'est ainsi que la jeunesse des RUP françaises se trouve largement privée du bénéfice du programme Erasmus dans la mesure où celui-ci ne permet pas la prise en charge financière du transport de l'étudiant originaire d'une RUP entre sa région et la capitale de son État membre.

Enfin, il apparaît singulier que la communication de la Commission n'évoque pas le cas particulier de Mayotte , collectivité en voie de « rupéisation ». Il convient que la Commission accorde une attention toute particulière à cette collectivité qui présente d'importantes spécificités et que de larges dérogations lui soient accordées sur le fondement de l'article 349 pour lui permettre de bénéficier effectivement des aides européennes.

III. La nécessaire cohérence des politiques communautaires à l'égard des RUP : la problématique de la politique commerciale

À deux reprises au cours des deux dernières années 19 ( * ) , le Sénat a souligné l'incohérence de la politique commerciale avec les autres politiques sectorielles de l'Union à l'égard des RUP . La politique commerciale de l'UE constitue en effet une menace pour l'économie des RUP et entrave l'intégration régionale de ces régions.

La communication de la Commission européenne appelle à l'intégration régionale des RUP, or, comme le souligne le rapport Solbes, « c'est en veillant à ce que la réciprocité commerciale créée par les APE 20 ( * ) ne pénalise pas structurellement les économies des RUP que l'on pourra résolument faciliter l'intégration des RUP dans leur environnement régional » 21 ( * ) .

La mise en cohérence de la politique commerciale avec les autres politiques communautaires doit notamment passer par l'évaluation systématique et préalable des effets des accords commerciaux conclus par l'UE sur l'économie des RUP , les mécanismes de compensation financière ne pouvant constituer qu'un pis aller et n'étant pas en mesure, à terme, d'empêcher la disparition de pans entiers de l'économie des RUP, en particulier dans le secteur agricole. Dès sa communication de 2004, la Commission affirmait que « en ce qui concerne les nouveaux accords préférentiels de l'UE avec d'autres pays tiers, la Commission effectuera une analyse d'impact des effets de ces accords sur l'économie des régions ultrapériphériques » 22 ( * ) . Il est donc troublant de trouver une déclaration analogue de la Commission huit ans plus tard, dans la communication de 2012 : « les accords conclus par l'UE tiendront dûment compte des RUP, par exemple lorsque ces accords couvrent des produits fabriqués dans les RUP » 23 ( * ) , dont l'application paraît loin d'être garantie.

Toutes ces raisons conduisent à déposer la proposition de résolution européenne qui suit.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 107, paragraphe 3, et 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu la communication « Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques » présentée par la Commission européenne le 26 mai 2004,

Vu la communication « Les régions ultrapériphériques : un atout pour l'Europe » présentée par la Commission européenne le 17 octobre 2008,

Vu le rapport du Sénat n° 519 (2008-2009) fait au nom de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer,

Vu le mémorandum conjoint des régions ultrapériphériques, « les RUP à l'horizon 2020 », signé le 14 octobre 2009 à Las Palmas de Gran Canaria,

Vu le mémorandum de l'Espagne, de la France, du Portugal et des régions ultrapériphériques signé le 7 mai 2010 à Las Palmas de Gran Canaria,

Vu les conclusions du Conseil Affaires générales du 14 juin 2010,

Vu la résolution n° 105 du Sénat (2010-2011) du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne,

Vu le rapport « Les régions ultrapériphériques européennes dans le marché unique : le rayonnement de l'UE dans le monde » remis le 12 octobre 2011 par M. Pedro SOLBES MIRA, à M. Michel BARNIER, membre de la Commission européenne, chargé du Marché Intérieur et des Services,

Vu la résolution du Parlement européen du 18 avril 2012 sur le rôle de la politique de cohésion dans les régions ultrapériphériques de l'Union européenne dans le contexte de la stratégie « Europe 2020 »,

Vu la communication « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive » présentée par la Commission européenne le 20 juin 2012 ;

Vu la résolution n° 121 du Sénat (2011-2012) du 3 juillet 2012 visant à obtenir la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises,

Vu la déclaration finale de la XVIII e Conférence des Présidents des régions ultrapériphériques de l'Union européenne tenue les 13 et 14 septembre 2012 aux Açores,

Considérant que le document publié le 20 juin dernier par la Commission européenne constitue la troisième communication définissant la stratégie de l'Union européenne (UE) pour les RUP en moins de dix ans,

Considérant que, comme l'a souligné de façon récurrente la Commission européenne, les régions ultrapériphériques (RUP) constituent un atout pour l'Europe et que, selon les termes de sa communication du 20 juin 2012, « toute stratégie en faveur des RUP doit reconnaître leur valeur pour l'UE dans son ensemble »,

Considérant que l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet l'édiction de mesures spécifiques aux RUP afin de prendre en compte leurs contraintes propres que sont « leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits »,

Considérant que le bilan du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), mis en place sur le fondement de l'article 349 du TFUE, est salué par tous, que ce programme, né au début des années 1990, constitue le seul véritable exemple d'instrument dédié aux RUP pour le financement de politiques sectorielles et qu'il voit son champ cantonné à l'agriculture par la Commission européenne en dépit d'une vocation initiale plus large,

Considérant que la politique commerciale de l'UE, qui ne prend aucunement en compte les réalités des RUP, constitue une menace pour l'économie de ces régions et entrave leur intégration régionale,

Déplore que la Commission européenne ait adopté sa communication avec un retard préjudiciable alors qu'avaient été respectivement publiées, dès juin 2011, ses propositions sur le cadre financier pluriannuel et, en octobre 2011, celles sur le paquet réglementaire relatif notamment à la politique de cohésion,

Constate que cette communication, au contenu largement redondant par rapport aux deux précédentes, est en décalage aggravé avec les attentes régulièrement exprimées par les RUP et les recommandations du rapport de M. SOLBES MIRA,

Estime que cette communication souffre d'une double contradiction :

Une contradiction interne, entre des objectifs stratégiques, certes ambitieux puisque axés sur la compétitivité et l'innovation, mais potentiellement irréalistes s'ils sont exclusifs de politiques de rattrapage, dès lors qu'ils s'appliquent aux régions les moins développées, au sens de la politique de cohésion, politique qui doit viser dans les RUP prioritairement à combler les retards en matière d'équipements structurants,

Une contradiction externe, puisque la concentration thématique imposée pour bénéficier d'un soutien financier exclut des secteurs traditionnels des économies des RUP qui doivent pourtant constituer le socle de développement de ces régions, socle indispensable à l'émergence de secteurs innovants,

Demande en conséquence un assouplissement de la concentration thématique pour les RUP, en intégrant dans le taux de concentration un quatrième objectif prioritaire laissé au libre choix de chaque région et en abaissant ce taux à un niveau plus adapté aux réalités de ces régions,

Note avec intérêt l'affirmation de la Commission selon laquelle « chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d'entre elles », les RUP étant jusqu'à présent appréhendées comme un ensemble homogène alors même que certaines présentent des singularités, comme le caractère continental d'un vaste territoire pour la Guyane,

Considère, à l'instar du Parlement européen, que l'article 349 du TFUE est très insuffisamment utilisé par l'UE et déplore la portée restrictive donnée à cet article par la Commission européenne,

Salue l'initiative du Gouvernement français, annoncée par le ministre des outre-mer lors de la Conférence des Présidents des RUP des 13 et 14 septembre 2012, visant, d'une part, à élaborer un cadre global approprié pour les interventions communautaires dans les RUP, qui pourrait prendre la forme d'un « règlement plurisectoriel en faveur du soutien aux filières d'avenir dans les RUP », et, d'autre part, à multiplier les déclinaisons sectorielles de l'article 349, permettant ainsi l'adaptation des politiques européennes aux réalités des RUP, et en particulier l'instauration de dérogations aux normes européennes pour leur approvisionnement en provenance de pays voisins,

Estime également indispensable que la révision des lignes directrices des aides à finalité régionale soit mise à profit, sur le fondement de l'article 107, paragraphe 3, du TFUE, pour renforcer la prise en compte effective des particularités des RUP en matière d'aides d'État, par le biais du maintien des taux actuels d'intensité et de l'éligibilité des aides au fonctionnement, ainsi que par l'instauration d'un seuil de minimis spécifique,

Appelle à ce que les règlements relatifs aux programmes horizontaux, tels que l'instrument financier pour l'environnement (LIFE), le programme Erasmus ou le programme « Horizon 2020 », permettent, sur le fondement de l'article 349 du TFUE, un accès privilégié des RUP à ces programmes, notamment par le biais d'un accompagnement approprié des porteurs de projets ou d'appels à projet spécifiques,

Estime qu'une attention particulière doit être accordée par la Commission européenne à Mayotte, dans le cadre de la transformation de cette collectivité en RUP, et que l'article 349 du TFUE justifie l'octroi de larges dérogations à cette collectivité,

Relève que les objectifs affichés dans la communication par la Commission européenne de prise en compte des réalités des RUP dans la mise en oeuvre des politiques sectorielles, au premier rang desquelles la politique commerciale, constitueraient un changement de cap radical par rapport à son orientation actuelle dont on ne pourrait que se féliciter,

Appelle une nouvelle fois à la mise en cohérence entre elles des politiques européennes afin que les RUP ne constituent plus la variable d'ajustement de leurs contradictions.


* 1 Conformément aux articles 349 et 355, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), il existe huit régions ultrapériphériques de l'Union européenne : quatre départements et régions d'outre-mer français (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) et une collectivité d'outre-mer française (Saint-Martin), deux régions autonomes portugaises (Açores et Madère) et une communauté autonome espagnole (Îles Canaries). En vertu de la décision du Conseil européen du 11 juillet 2012, Mayotte deviendra à son tour région ultrapériphérique de l'Union européenne à compter du 1 er janvier 2014.

* 2 Déclaration finale de la XVIII ème Conférence des présidents des régions ultrapériphériques de l'Union européenne, Açores, 13 et 14 septembre 2012.

* 3 « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive », Communication de la Commission européenne, 20 juin 2012, p. 6.

* 4 Ibid., p. 4.

* 5 Ibid., p. 3.

* 6 Proposition n° 57 in : « Les DOM, défi pour la république, chance pour la France. 100 propositions pour fonder l'avenir », Rapport d'information n° 519 (2008-2009) fait au nom de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer, M. Éric Doligé , p. 235.

* 7 « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive », Communication de la Commission européenne, 20 juin 2012, p. 3.

* 8 Ibid., p. 3.

* 9 Ibid ., p. 8.

* 10 « Les régions ultrapériphériques européennes dans le marché unique : le rayonnement de l'UE dans le monde », M. Pedro SOLBES MIRA, 12 octobre 2011, p . 50.

* 11 Ibid., p. 52 .

* 12 Résolution du Parlement européen du 18 avril 2012 sur le rôle de la politique de cohésion dans les régions ultrapériphériques de l'Union européenne dans le contexte de la stratégie « Europe 2020 » .

* 13 Contribution écrite transmise aux auteurs de la présente proposition de résolution.

* 14 Dans la communication, il est ainsi indiqué que « ce programme est adapté aux besoins des RUP et (...) les ressources allouées ont permis la réalisation de ses objectifs » .

* 15 « Une vision rénovée de la stratégie européenne à l'égard de l'ultrapériphérie », Mémorandum de l'Espagne, de la France, du Portugal et des régions ultrapériphériques, Las Palmas de Gran Canaria, 7 mai 2010., p. 10.

* 16 Communiqué de presse du ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.

* 17 Résolution européenne n° 121 (2011-2012) visant à obtenir la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises.

* 18 Ce paragraphe indique au a) que « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas et dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ainsi que celui des régions visées à l'article 349, compte tenu de leur situation structurelle, économique et sociale ».

* 19 Résolution n° 105 (2010-2011) du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne ; Résolution n° 121 (2011-2012) du 3 juillet 2012 visant à obtenir la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises.

* 20 Accords de partenariat économique

* 21 « Les régions ultrapériphériques européennes dans le marché unique : le rayonnement de l'UE dans le monde », Ibid., p. 43.

* 22 « Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », Communication de la Commission européenne, 26 mai 2004, p. 10.

* 23 « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive », Ibid., p. 17.

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