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N° 344

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 février 2013

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d' enquête sur l' efficacité de la lutte contre le dopage ,

PRÉSENTÉE

Par M. Jean-Jacques LOZACH
et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2),

Sénateurs

(Envoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et pour avis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.)

(1) Ce groupe est composé de : Mmes Jacqueline Alquier, Michèle André, MM. Serge Andreoni, Alain Anziani, David Assouline, Bertrand Auban, Dominique Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Jean Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Jean Besson, Mmes Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, MM. Yannick Botrel, Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, MM. Michel Boutant, Jean-Pierre Caffet, Pierre Camani, Mme Claire Lise Campion, M. Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, MM. Luc Carvounas, Bernard Cazeau, Yves Chastan, Jacques Chiron, Mme Karine Claireaux, MM. Gérard Collomb, Roland Courteau, Yves Daudigny, Marc Daunis, Michel Delebarre, Jean-Pierre Demerliat, Mme Christiane Demontès, MM. Félix Pierre Desplan, Claude Dilain, Claude Domeizel, Mmes Odette Duriez, Josette Durrieu, M. Vincent Eblé, Mme Anne Emery-Dumas, M. Philippe Esnol, Mme Frédérique Espagnac, MM. Alain Fauconnier, Jean Luc Fichet, Jean-Jacques Filleul, Jean Claude Frécon, Mme Catherine Génisson, M. Jean Germain, Mmes Samia Ghali, Dominique Gillot, MM. Jean Pierre Godefroy, Gaëtan Gorce, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Claude Haut, Edmond Hervé, Mme Odette Herviaux, MM. Claude Jeannerot, Philippe Kaltenbach, Ronan Kerdraon, Mme Bariza Khiari, MM. Yves Krattinger, Georges Labazée, Mme Françoise Laurent Perrigot, MM. Jacky Le Menn, Alain Le Vern, Jean-Yves Leconte, Mme Claudine Lepage, M. Jean-Claude Leroy, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Jeanny Lorgeoux, Jean-Jacques Lozach, Roger Madec, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, François Marc, Marc Massion, Rachel Mazuir, Mmes Michelle Meunier, Danielle Michel, MM. Jean-Pierre Michel, Gérard Miquel, Jean Jacques Mirassou, Thani Mohamed Soilihi, Alain Néri, Mme Renée Nicoux, MM. Jean-Marc Pastor, François Patriat, Daniel Percheron, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Roland Povinelli, Mme Gisèle Printz, MM. Marcel Rainaud, Daniel Raoul, François Rebsamen, Daniel Reiner, Alain Richard, Roland Ries, Gilbert Roger, Yves Rome, Mmes Laurence Rossignol, Patricia Schillinger, MM. Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. Michel Teston, René Teulade, Jean-Marc Todeschini, André Vairetto, André Vallini, René Vandierendonck, Yannick Vaugrenard, Michel Vergoz, Maurice Vincent et Richard Yung.

(2) Apparentés : MM. Maurice Antiste, Jean-Étienne Antoinette, Michel Berson, Jacques Berthou, Jacques Cornano, Jacques Gillot, Mme Virginie Klès, MM. Serge Larcher, Robert Navarro, Georges Patient et Richard Tuheiava.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 4 juillet 2008, la loi n° 2008-650 relative à la lutte contre le trafic de produits dopants était publiée au Journal officiel. Il s'agissait avec ce texte de compléter la législation française en matière de lutte contre le dopage par de nouvelles incriminations et un renforcement de la répression du trafic de produits dopants. La loi de 2008 n'était en effet pas la première à se pencher sur cette problématique devenue un enjeu de santé publique, la France figurant, dès 1965, parmi les premiers pays à adopter une législation réprimant le dopage.

Près de vingt-cinq ans plus tard, la loi n° 89-432 du 28 juin 1989, visait à renforcer les contrôles et les sanctions, ainsi que la prise en compte du dopage des animaux. Mais, les limites de ses mesures essentiellement administratives et le retentissement médiatique des affaires de dopages concernant des champions de grande renommée ont conduit le gouvernement Jospin, dans le cadre de la loi n° 99-223 du 23 mars 1999, à responsabiliser les fédérations sportives, élargir et renforcer tant les contrôles que les investigations administratives et judiciaires et créer une autorité administrative indépendante : le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD).

Depuis, la loi n° 2006-405 du 5 avril 2006 chargée de transposer les dispositions du code mondial antidopage a renforcé les pouvoirs de l'autorité indépendante, devenue Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Ajoutons que la France a ratifié en 2007 la Convention internationale contre le dopage dans le sport, ouvrant la voie à une intensification de mondialisation de la lutte anti-dopage. Enfin, en février 2012, un amendement portant sur la loi tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles a prévu la mise en place au
1 er juillet 2013 du passeport biologique, procédé qui, grâce à des prélèvements urinaires et sanguins réalisés tout au long de la carrière d'un sportif, permettra de démontrer le cas échéant des irrégularités dans l'évolution des différents paramètres suivis, et d'établir des sanctions sur cette base.

La France s'est donc donné les moyens, depuis près de cinquante ans, d'être en pointe de la lutte antidopage. Malheureusement, des affaires retentissantes, et d'autres plus confidentielles, ont éclaté au cours des dernières années, cela dans tous les sports, à tous les âges et tous les niveaux. Le 10 octobre 2012, l'Agence antidopage américaine (USADA) dévoilait un rapport accablant qui, sur plus de mille pages, révélait en détails le fonctionnement du « système Armstrong », du nom du coureur cycliste américain vainqueur de sept Tours de France consécutifs entre 1999 et 2005.

Lance ARMSTRONG aurait ainsi mis en place « le programme de dopage le plus perfectionné jamais vu dans le sport ». Sur la base de ces révélations, l'Union cycliste internationale, elle-même sévèrement mise en cause, a finalement décidé le 26 octobre 2012 de retirer au sportif ses sept Tours et de le radier à vie. La domination de Lance ARMSTRONG fut longtemps sans partage, et ses performances ont souvent laissé perplexe ; malgré des accusations sérieuses et fondées, notamment en 2005, il a toujours farouchement nié s'être dopé, et a cherché à intimider tous ceux, coéquipiers, journalistes ou experts, qui cherchaient à remettre en causes ses résultats.

Le programme de dopage de Lance ARMSTRONG a dû bénéficier de soutiens en haut lieu pour pouvoir prospérer de la sorte. Lors du Tour 1999, il est contrôlé positif aux corticoïdes, mais une ordonnance antidatée lui permet de s'en sortir sans encombres. En juillet 2009, l'intervention des inspecteurs de l'UCI conduit à retarder un contrôle de l'AFLD ; le délai accordé lui permettant largement de trouver une parade : perfusions de sérum physiologique, urine artificielle, etc.

De nombreux cas de dopage, révélés chez des athlètes français bien moins médiatiques, prouvent que nombreux sont les sportifs, notamment à l'approche des compétitions internationales, à contourner les lois pour améliorer leurs performances. On peut citer le cas du coureur de 3 000 mètres steeple Nordine GEZZAR, suspendu pour dix ans par la Fédération française d'athlétisme, ou du spécialiste du 5 000 mètres Hassan HIRT, contrôlé positif à l'EPO lors des Jeux olympiques de Londres.

Dès lors, il est permis de penser que le système développé au fil des années par Lance ARMSTRONG pourrait très bien, à plus ou moins grande échelle, être reproduit par d'autres sportifs dans d'autres disciplines. La législation française n'a pu confondre le cycliste américain : saurait-elle aujourd'hui démonter une supercherie équivalente ?

D'autres systèmes organisés seront sans doute, tôt ou tard, révélés. Le 29 janvier 2013, le Docteur Eufemanio FUENTES, au coeur du scandale de dopage sanguin dit « Puerto », a ainsi été auditionné par le tribunal pénal de Madrid et confirmé à cette occasion ce qu'il avait avancé au journal Le Monde dès 2006 : il a travaillé pendant plusieurs années avec des sportifs de tous horizons, qu'ils soient footballeurs, joueurs de tennis, boxeurs, etc. La justice espagnole cherche à démontrer que le Docteur FUENTES a commis un « délit contre la santé publique ». Certains s'attendant à un véritable séisme dans plusieurs disciplines si le médecin venait à révéler la liste de ses clients.

De plus en plus d'acteurs du mouvement sportif appellent à la fin de l'hypocrisie ; il est certain que de nombreux sports sont gangrénés par le dopage. Le tennis, de la même façon, a lui aussi connu son lot de scandales. Ainsi, Mariano PUERTA fut finaliste du tournoi de Roland-Garros et éphémère neuvième du classement mondial avant d'être contrôlé positif à l'étiléfrine, un stimulant cardiaque. Deux ans plus tôt, il avait déjà été convaincu de dopage au clenbuterol. Il fut en 2006 condamné à huit ans de suspension (peine ensuite ramenée à deux ans), ce qui constituait alors la plus lourde sanction jamais prononcée dans le monde du tennis. Actuellement certains joueurs de tennis parmi les meilleurs mondiaux réclament eux-mêmes plus de contrôles anti-dopage, en particulier sanguins et hors compétition, attestant ainsi à la fois de la faiblesse du programme actuel de contrôle mais également de la suspicion entre compétiteurs.

En football, les pratiques de dopage du club de la Juventus de Turin à la fin des années 1990 ont été identifiées depuis longtemps. Récemment, à la suite de plusieurs morts subites de footballeurs sur le terrain, l'académie de médecine s'est prononcée pour des autopsies systématiques lors de décès sur un terrain de sport, ceci afin d'évacuer notamment toute suspicion de dopage. Dans un rapport interne de février 2012 1 ( * ) , elle estimait nécessaire de garantir statutairement l'indépendance des médecins vis-à-vis des fédérations sportives et des ligues professionnelles. Elle insistait également sur notre méconnaissance de l'étendue réelle du phénomène et de sa répartition entre les différentes catégories de pratiquants interdisant ainsi un ciblage judicieux des actions publiques de prévention.

Les pratiques dopantes concernent bien l'ensemble des sports et tendent à être considérées de la part de certains comme consubstantielles non seulement à l'économie du sport spectacle, mais aussi plus largement à une société de la performance.

L'ensemble de ces observations appelle donc, de notre point de vue, la constitution d'une commission d'enquête sur l'efficacité de la politique de lutte contre le dopage.

Celle-ci ne saurait être circonscrite à un seul sport. Elle doit, au contraire, se placer dans une approche globale et transversale non seulement de la compétition sportive, touchée par ce type de dérives, répondant notamment aux inquiétudes exprimées par des dirigeants de fédérations nationales, mais aussi plus globalement de la pratique sportive y compris amateur, dans un objectif de santé publique.

Cette action du contrôle du Sénat s'inscrirait à la fois dans une actualité brûlante et dans la perspective d'une amélioration en profondeur de notre cadre juridique et de nos outils de politique publique.

La lutte contre le dopage, parce qu'elle remplit un double objectif, à la fois éthique et sanitaire, concerne au demeurant plusieurs commissions du Sénat.

La lutte contre le dopage est d'abord l'un des aspects de l'équité sportive. Le sport est en effet basé sur la fixation de règles communes que chacun s'engage à respecter et le dopage trouble les hiérarchies normalement établies par les entraînements et les compétitions. La lutte contre le dopage a donc pour objectif de préserver la « glorieuse incertitude du sport » et de protéger le sport amateur des dérives constatées au plus haut niveau. Le sport, en tant qu'activité culturelle à protéger et à encourager, fait ainsi l'objet d'un suivi approfondi de la part de la commission de la culture, de l'éducation de la communication.

Le dopage recouvre ensuite un enjeu sanitaire. Outre qu'il fausse les résultats des compétitions, il a en effet un impact néfaste sur la santé des sportifs. Or, la prise de stéroïdes ou de testostérone pour améliorer ses capacités physiques n'est pas chose rare, y compris de la part de sportifs amateurs, y compris dans les « petits » clubs sportifs locaux. Ces pratiques aux risques secondaires avérés mais trop souvent pris à la légère sont devenues très accessibles : en quelques clics sur internet, l'on peut se procurer des produits illicites stimulants ou anabolisants. Ainsi, une étude conjointe de l'INPES et de la MILDT estimait déjà en 2002 que près de 9 % des sportifs amateurs réguliers ont recours à des substances dopantes.

Et même si ces pratiques ne sont pas de même nature et sans commune mesure avec le dopage professionnel, les risques d'extension des pratiques dopantes des professionnels aux amateurs rendent d'autant plus nécessaire l'intervention des pouvoirs publics.

Mais le sport est aussi et de plus en plus une activité économique. On peut à cet égard considérer que l'hypermédiatisation du sport et sa professionnalisation, liée à l'arrivée massive d'argent depuis plusieurs décennies, entraînent des risques accrus de dopage. Il reste que la vitalité du sport passe aussi par un assainissement des pratiques, tant il est vrai que les différents scandales nuisent à sa notoriété et entraînent le retrait de nombreux sponsors.

La lutte contre le dopage s'accompagne enfin de problématiques relatives à la protection de l'ordre public. En effet les pratiques dopantes s'accompagnent en général d'un trafic de produits médicamenteux, prohibé par la loi. Un arsenal pénal spécifique a été mis en place afin de permettre aux enquêteurs de mieux remonter les filières et a constitué l'un des moyens les plus efficaces de lutte contre le dopage. Des interrogations demeurent sur son éventuel perfectionnement.

Au vu de ces différentes préoccupations, les orientations suivantes pourraient être données à cette commission d'enquêtes.

Il s'agirait, en premier lieu, d'établir un bilan de la politique de lutte contre le dopage mise en place depuis le début des années 1990, tant du point de vue de l'exhaustivité de l'arsenal législatif et réglementaire que de la pertinence des politiques publiques instaurées.

À cet égard, devrait notamment être mené un travail de vérité sur la réalité des pratiques dopantes, afin à la fois de dépassionner le débat public sur le sujet et de définir des objectifs pragmatiques de lutte contre le dopage. L'organisation de multiples auditions, publiques ou à huis clos, donnant la parole à tous les acteurs des compétitions sportives (sportifs actuels et retraités, agents, entraîneurs, médecins, organisateurs de compétitions, fédérations, pouvoirs publics) devra être l'occasion de faire un état des lieux précis et circonstancié des pratiques dopantes.

L'internationalisation du dopage implique aussi, d'une part, de comparer la politique mise en place en France, notamment à travers l'action de l'agence française de lutte contre le dopage, avec celles mises en place aux États-Unis et en Europe et, d'autre part, d'étudier avec attention le rôle joué par les fédérations internationales et l'Agence mondiale antidopage.

Le rôle de la commission d'enquête serait enfin de proposer de nouveaux axes à la politique de lutte contre le dopage, qui s'appuierait sur un constat partagé et des solutions consensuelles.

Conformément à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la Commission écartera de son champ d'investigation les faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires en France, et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

C'est donc sous le bénéfice de ces observations que les auteurs vous proposent d'adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application de l'article 51-2 de la Constitution, de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 6 bis et 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête composée de 21 membres sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.


* 1 « La lutte contre le dopage : un enjeu de santé publique », groupe de travail Sport et dopage de l'Académie nationale de médecine.

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