Document "pastillé" au format PDF (73 Koctets)

N° 148

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 décembre 2017

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 octies du Règlement, portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel - COM (2017) 660 final,

PRÉSENTÉE

Par MM. Claude KERN et Michel RAISON,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires économiques.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Présentée le 8 novembre 2017 par la Commission européenne, la proposition de directive modifiant la directive 2009/73/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, référencée COM(2017) 660, est rédigée dans des termes anodins, qui ne doivent pas masquer la portée considérable de ce texte.

En effet, celui-ci tend à imposer désormais le respect du droit de l'Union aux gazoducs desservant le territoire de l'Union européenne, y compris pour la portion du gazoduc située sur le territoire d'un État tiers. Jusqu'à présent, les accords internationaux relatifs à ces ouvrages déterminent le droit applicable à l'ensemble de chaque infrastructure concernée (Nord Stream par exemple), tant qu'elle se trouve en dehors du territoire terrestre de l'Union européenne.

Élaborée en pratique en relation directe avec le projet Nord Stream 2 , le dispositif de ce texte excède les limites posées par l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dont la rédaction limite le domaine de compétence de l'Union au fonctionnement du marché de l'énergie, non aux voies d'approvisionnement.

De surcroît, le nouveau dispositif serait applicable de façon rétroactive aux gazoducs ayant fait l'objet d'accords internationaux, conformes au droit applicable au moment de leur ratification. Seules deux exceptions sont prévues :

- la propriété du gazoduc par une entreprise verticalement intégrée à la date d'adoption du nouveau texte ;

- les ouvrages achevés à la date d'entrée en vigueur de ce nouveau régime juridique, « pour autant que les dérogations ne portent pas atteinte à la concurrence, au fonctionnement efficace du marché ou à la sécurité d'approvisionnement dans l'Union », cette deuxième dérogation étant limitée dans le temps.

L'extension du concept d'interconnexion jusqu'au territoire d'un pays tiers, et l'application du droit de l'Union aux conditions commerciales régissant l'utilisation de ces ouvrages d'art ne contribuent pas à renforcer la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union. En revanche, les modifications proposées portent atteinte, selon les cas, soit à la compétence des États membres à négocier des accords internationaux, soit à la liberté reconnue aux agents économiques de droit privé à négocier des accords commerciaux internationaux. Dans le cas particulier de gazoducs sous-marins, le dispositif proposé serait en outre contraire à plusieurs articles de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, notamment à ses articles 55, 77, 79 et 112.

Dépourvue d'intérêt pour la sécurité d'approvisionnement de l'Union en gaz naturel, incompatible avec la souveraineté des États tiers sur les infrastructures situées sur leur territoire, contraire au droit international s'agissant de gazoducs sous-marins, la proposition de la Commission européenne doit être écartée en vertu du principe de subsidiarité.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PORTANT AVIS MOTIVÉ

Le 8 novembre 2017, la Commission européenne a publié la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, référencée COM(2017) 660 final.

Cette proposition tend à modifier huit articles de la directive 2009/73/CE du 13 juillet 2009. La principale modification (article 2) porte sur la définition du concept d'interconnexion, pour l'étendre aux lignes de transport « entre des États membres et des pays tiers jusqu'à la limite du territoire de l'Union », alors qu'il désigne actuellement une ligne de transport qui franchit la frontière entre deux États membres, à seule fin de relier les réseaux de transport. La nouvelle définition est cohérente avec la modification introduite aux articles 34, 36, 41, 42 et 49 de la directive 2009/73/CE, via des alinéas quasiment identiques, tendant à imposer l'application de la directive modifiée à ces interconnexions « de manière cohérente jusqu'à la frontière du territoire de l'Union ». Les modifications apportées aux articles 9 et 14 autorisent les États membres à tolérer la possession par l'entreprise verticalement intégrée de l'interconnexion avec le réseau d'un pays tiers lorsqu'elle appartient déjà à une entreprise verticalement intégrée. Dans le même esprit, la nouvelle rédaction de l'article 49 permet de déroger à l'application du nouveau régime juridique en faveur des gazoducs achevés avant la date d'entrée en vigueur de la directive modificatrice.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- l'édiction de règles communes aux États membres régissant le marché du gaz n'est pas en soi contraire à l'idée d'une Union de l'énergie, dont il approuve le principe ;

- toutefois, l'énergie étant une compétence partagée, il convient de limiter l'intervention de l'Union aux objectifs qui ne peuvent pas être atteints de façon suffisante par les États membres, mais qui peuvent l'être mieux au niveau de l'Union ;

- les modifications proposées interviennent dans un domaine régi jusqu'à présent par des accords internationaux, qui peuvent être intergouvernementaux ou commerciaux, ce dernier cas étant celui du gazoduc Nord Stream 2 ;

- elles ne sont pas de nature à renforcer la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union ;

- elles aboutissent à interférer dans les compétences des États membres au titre de la négociation des accords internationaux et d'accords commerciaux portant sur la réalisation d'infrastructures ;

- elles conduisent à étendre le domaine d'application du droit de l'Union en dehors de ses frontières, sans que cette extension ne trouve une base juridique dans les traités européens ;

- si l'application de ces dispositions empêchait la réalisation d'un gazoduc, il en résulterait une atteinte à la souveraineté de l'État membre concerné pour déterminer les conditions générales de son approvisionnement énergétique ;

- au surplus, les gazoducs sous-marins sont actuellement régis par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, qui n'autorise pas les parties à contrôler l'utilisation commerciale de ces infrastructures ;

Pour ces raisons, le Sénat estime que la proposition de directive COM (2017) 660 final ne respecte pas le principe de subsidiarité.

Page mise à jour le

Partager cette page