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N° 576

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 juin 2018

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le calcul à haute performance ,

PRÉSENTÉE

Par MM. André GATTOLIN, Claude KERN,
Pierre OUZOULIAS et Cyril PELLEVAT,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires économiques.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 7 février dernier, la Commission européenne a présenté une proposition de de règlement du Conseil établissant l'entreprise commune européenne pour le calcul à haute performance appelée EuroHPC 1 ( * ) . Cette initiative s'inscrit dans le prolongement d'une déclaration commune signée le 23 mars 2017 par sept États membres - dont la France - en faveur d'une collaboration avec la Commission européenne pour acquérir et déployer, d'ici à 2022/2023, une infrastructure de calcul paneuropéenne capable d'exécuter un milliard de milliards d'opérations par secondes.

Le 6 juin 2018, la Commission européenne a présenté un nouveau programme pour une Europe numérique 2 ( * ) . À côté d'investissements dans l'intelligence artificielle et dans la cybersécurité, elle a annoncé vouloir investir jusqu'à 2,7 milliards d'euros dans le calcul intensif pour la période 2021-2027. Moins connu que les deux autres secteurs essentiels et stratégiques pour l'avenir de l'Union, le calcul intensif mérite pourtant toute l'attention du Parlement français.

Qu'est-ce qu'un supercalculateur ?

Un supercalculateur est un très grand ordinateur, réunissant plusieurs dizaines de milliers de processeurs, capable de réaliser un très grand nombre d'opérations de calcul ou de traitement de données simultanées. Dans les années 1930, les ordinateurs - ou calculateurs - effectuaient une opération par seconde. Aujourd'hui, les supercalculateurs les plus puissants réalisent des dizaines de millions de milliards d'opérations par seconde. Demain, ce sera un milliard de milliards d'opérations par seconde.

Physiquement, bien qu'ils aient profité de la miniaturisation de leurs composants, les superordinateurs sont des armoires qui concentrent les capacités de calcul et de stockage dans de grandes salles de plusieurs centaines, voire milliers de mètres carrés. Un point d'importance est leur consommation électrique (parfois jusqu'à 20-30 mégawatts) et la chaleur qu'ils dégagent.

En outre, ces infrastructures sont également de véritables centres de compétences sur des technologies en constante évolution, sur des services associés à l'exploitation des machines et sur le développement de logiciels. Elles permettent ainsi l'acquisition de compétences et d'un savoir-faire qu'il ne serait pas possible d'acquérir autrement.

Les performances d'un supercalculateur décrivent ses capacités à exécuter des calculs mais aussi à traiter de très grands volumes de données. À ce niveau, on parle de « calcul à haute performance » et la vitesse de traitement des opérations s'exprime principalement en Flops ( Floating Point Operations Per Second , opération de base pour du calcul numérique, soit addition ou multiplication décimale).

Alors que la Chine disposait du supercalculateur le plus puissant au monde avec le TaihuLight, d'une capacité de 93 pétaflops, les américains IBM et Nvidia viennent d'annoncer que l'ordinateur qu'ils viennent de mettre au point, baptisé Summit, disposera d'une capacité de 200 pétaflops. En Europe, l'ordinateur Bull Sequana du très grand centre de calcul du Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, pourra bientôt atteindre 20 pétaflops.

Niveau du supercalculateur

Performance :
mesurée en pétaflops par seconde

Nombre d'opérations par seconde

En Europe

Courant

1 pflop/s

1 million de milliards

Bull Sequana

Intermédiaire : échelle pré-exaflopique/ pré-exascale

200 pflops/s

entre 10 et 33 millions de milliards

Objectif d'acquisition pour 2019/2020

Supérieur : échelle exaflopique/
exascale

Plus de
1000 pflops/s

1 milliard de milliards

Construction pour 2022/2023

Post exaflopique / quantique

1000 milliards de milliards

Après 2027

Contrairement à d'autres grands instruments, comme les satellites ou les télescopes pour lesquels la durée de vie est largement au-delà de 10 ans, celle des supercalculateurs est habituellement de l'ordre de 5 à 6 ans. Cela est dû notamment à l'évolution de la puissance des microprocesseurs et aux coûts de maintenance de ces systèmes qui augmentent très fortement après cette période. Toutefois, les supercalculateurs des dernières générations sont d'une telle puissance qu'ils devraient trouver une utilité plus qu'avérée étant donné le coût d'investissement de la machine et le taux de pression (ratio demandes d'heures de calcul/heures disponibles). De ce fait, il reste toujours intéressant de mettre à disposition des machines d'une génération précédente pour les équipes n'ayant pas besoin de passer, au moins dans l'immédiat, sur des technologies d'une génération nouvelle.

À quoi sert le calcul à haute performance ?

Le calcul à haute performance ou intensif (encore communément appelé HPC pour l'anglais High Performing Computing ) est le principal outil de la simulation numérique. Celle-ci est devenue indispensable à la recherche, qu'elle soit fondamentale ou appliquée, et à un nombre croissant de secteurs industriels au cours des dernières années, marquées par l'émergence des flux massifs de données (le Big Data ).

Pour les chercheurs, elle permet de repousser les frontières de la connaissance grâce à la production et au traitement devenus possibles et rapides de données complexes et massives. Le calcul intensif intervient en complément des techniques et savoir-faire existant, en fournissant un important effet de levier pour l'accès à de nouvelles connaissances Son champ n'est d'ailleurs pas limité aux sciences dures, et les sciences humaines et sociales en ont un besoin et une utilisation croissants.

Pour une entreprise, la maîtrise des techniques de modélisation et de simulation numérique devient un élément déterminant pour réduire les temps de conception et de validation d'un produit, et par là-même ses coûts, et favoriser sa capacité à innover.

Quelques exemples proposés par la Commission européenne illustrent aujourd'hui l'importance du calcul intensif et la place croissante qu'il occupe et occupera dans des secteurs divers :

- les études et projections climatiques et météorologiques, de par leur complexité, s'appuient fortement sur la simulation numérique. L'augmentation des capacités permet une résolution toujours plus précise, une meilleure prévisibilité, comme en ce qui concerne la force et la trajectoire des tempêtes et des inondations ;

- pour établir les cartes des risques sismiques, les sismologues utilisent les données sur les mouvements du sol enregistrées par plus de 10 000 sismomètres installés dans le monde, mais il n'est possible de traiter un tel volume de données qu'à l'aide d'infrastructures de calcul puissantes ;

- dans les réacteurs à fusion expérimentaux actuels, on recourt au calcul intensif pour simuler et maîtriser le comportement du plasma de fusion, y compris les instabilités, le transport turbulent, l'interaction plasma-paroi et l'échauffement ;

- le calcul à haute performance devrait également favoriser le dépistage précoce de maladies en réduisant le temps de diagnostic et d'analyses qui pourrait, dans certains cas, passer de plusieurs semaines à quelques jours ;

- le HPC pourrait aussi jouer un rôle essentiel dans le développement de nouveaux médicaments en accélérant l'expérimentation de molécules candidates, alors qu'il faut actuellement entre 10 et 17 ans pour mettre au point un médicament ; les coûts de fabrication en seraient aussi considérablement allégés ;

- il sera au coeur des infrastructures de transport de demain et des villes intelligentes, qui exigeront une analyse en temps réel d'énormes volumes de données, tout comme les véhicules autonomes.

Le calcul à haute performance va donc jouer un rôle croissant dans un monde où de plus en plus de données seront utilisées. Il sera également complémentaire de l'intelligence artificielle, qui, elle aussi, est appelée à se développer dans les prochaines années. C'est la raison pour laquelle l'Europe, comme d'autres régions du monde, sera amenée à utiliser des calculateurs de plus en plus puissants.

Un enjeu de souveraineté au coeur d'une compétition mondiale

Le calcul à haute performance sera présent dans un plus grand nombre de secteurs d'activités et la défense ne fera pas exception. À ce titre, il n'est pas inutile de rappeler que si la France a pu mettre fin à ses essais nucléaires, c'est parce qu'elle disposait d'une technologie satisfaisante pour effectuer des simulations suffisamment précises pour se passer d'essais réels.

Or, aujourd'hui, si la France et l'Europe développent des supercalculateurs, elles ne le font pas sur la base d'une filière intégrée. En effet, la majorité des composants sont étrangers, à l'image des processeurs pour lesquels les entreprises américaines sont en quasi situation de monopole. Ces processeurs sont tellement complexes qu'il est extrêmement difficile de détecter s'ils disposent de « backdoors », c'est-à-dire des failles de sécurité qui permettent la récupération d'informations par le fabricant, un pirate informatique ou tiers quelconque disposant d'une technologie pour espionner. Cela pose la question de la sécurité des installations.

En outre, le fait que les supercalculateurs traiteront demain toujours plus de données, et par conséquent des données sensibles, implique qu'il faut protéger ces données. Pour cela, la principale garantie consiste à les garder sur le sol européen, où la protection juridique est la plus avancée au monde.

Pour ces raisons, l'Union européenne a mis en place plusieurs initiatives visant à développer en Europe non seulement des processeurs de nouvelle génération -essentiels, car au coeur du fonctionnement des calculateurs-, mais aussi des solutions de stockage de données en nuage pour la science et d'infrastructures sécurisées pour les données.

Par conséquent, c'est bien la question de l'autonomie stratégique et de la souveraineté à l'ère numérique qui constitue le principal enjeu ici. La France et l'Europe se trouvent en situation de dépendance technologique vis-à-vis d'autres puissances. Or ces dernières ont fait le choix d'investissements massifs pour assurer leur autonomie.

Les équipements en calcul à haute performance ont un coût élevé. Sous la présidence de Barack Obama, les États-Unis ont mis en place un partenariat public/privé impliquant toutes les agences fédérales et doté de 5 milliards de dollars sur 10 ans. Il a été complété en avril 2018 par l'annonce d'un financement fédéral de 1,8 milliard de dollars pour le développement de deux systèmes exaflopiques.

La Chine - qui a développé sa propre technologie pour ne pas dépendre de la technologie américaine - est depuis plusieurs années en tête. Elle dispose des deux infrastructures les plus puissantes, loin devant la troisième détenue par la Suisse. Il convient également de citer le Japon, qui dispose de trois des dix premiers supercalculateurs au monde.

Face à cela, la Commission européenne estime que, malgré ses efforts, l'Europe est à la traîne. Il manque entre 500 et 750 millions d'euros par an d'investissements. Dans le même temps, elle estime que le marché du calcul à haute performance atteindra mille milliards d'euros d'ici à dix ans.

Il en résulte qu'en raison de l'importance stratégique du calcul à haute performance aujourd'hui et dans les années à venir, la France et l'Europe doivent rattraper leur retard dans la compétition mondiale et disposer d'infrastructures de premier ordre. Pour cela, il faut augmenter les efforts en la matière. Vu l'ampleur des investissements nécessaires, la France ne pourra pas agir seule. Tous les acteurs français en sont persuadés : la réponse doit être européenne.

C'est la raison pour laquelle les initiatives européennes sont bienvenues.

Le projet européen

En 2010, l'Union européenne a créé un partenariat de recherche pour le calcul intensif, appelé PRACE ( Partnership for Advanced Computing in Europe ). Regroupant, depuis 2013, 25 pays, il met à disposition des chercheurs et des entreprises six calculateurs, aux architectures complémentaires, offrant une puissance de crête globale de 18 petaflop/s. La France est très présente dans le programme, que ce soit par son investissement financier de 100 millions d'euros entre 2010 et 2015, par l'acquisition d'un supercalculateur Curie d'une capacité de 2 petaflop/s, et par son utilisation puisqu'elle est le premier pays en nombre de projets scientifiques retenus et en nombre d'industriels (grands comptes et PME) qui utilisent, depuis mi-2012, les ressources de PRACE.

Toutefois, en dépit de ces efforts, l'Union européenne a pris du retard face à ses concurrents qui, comme il a été montré, ont investi bien plus massivement dans le calcul à haute performance.

Pour permettre à l'Union de combler son retard, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement, le 7 février dernier, établissant l'entreprise commune EuroHPC . Concrètement, la Commission propose :

- une structure associant le secteur public et le secteur privé, Union européenne et États membres, l'entreprise commune EuroHPC , à la durée de vie limitée, soit jusqu'en 2026, et dont le siège serait à Luxembourg ;

- son premier objectif principal serait l'achat, dès 2019, de deux calculateurs pré-exaflopiques, le niveau le plus avancé actuellement, pour les mettre à disposition des chercheurs et des entreprises ;

- le second objectif principal serait de lancer un programme de recherche et d'innovation dans le calcul à haute performance pour développer un écosystème européen intégré couvrant toute la chaîne de valeur scientifique et industrielle, et notamment « le matériel informatique, les logiciels, les applications, les services, l'ingénierie, le savoir-faire et les compétences » ;

- cette entreprise commune bénéficierait d'un milliard d'euros d'argent public dont près de la moitié, 486 millions d'euros, serait apportée par l'Union, et l'autre moitié par les États membres ; la contribution de secteur privé serait de 422 000 euros ; au total, la nouvelle structure serait dotée d'un budget de près d'1,4 milliard d'euros ;

- cette initiative est intéressante à maints égards. En premier lieu, on ne peut que se satisfaire de la prise de conscience de la Commission européenne sur ce sujet stratégique pour l'Europe, et constater qu'elle est prête à investir un demi-milliard de l'actuel cadre financier pluriannuel dans ce projet. Ensuite, la forme retenue, qui vise à associer tous les acteurs européens qui le souhaitent, est satisfaisante : aucun pays n'aurait les moyens d'agir seul et une action plus intégrée au niveau européen pourrait rencontrer des oppositions, tandis que, dans la proposition, les États membres et les entreprises participeraient à la gouvernance du projet. Enfin, la proposition vise clairement à non seulement rattraper le retard européen par l'achat des meilleures machines actuelles, mais aussi à développer notre propre technologie pour la prochaine génération de supercalculateurs.

Une question reste en suspens, celle de la participation des États membres. Les évolutions récentes incitent à la confiance. Le 23 mars 2017, ils étaient sept à signer la déclaration EuroHPC : France, Allemagne, Espagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal. Ils ont depuis été rejoints par la Belgique et la Slovénie en juin-juillet 2017, la Bulgarie et, en outre, la Suisse en octobre 2017, la République tchèque en janvier 2018, Chypre en février, la Pologne en mai et la Lituanie le 1 er juin. Il importe désormais que ces pays réunis fournissent les moyens tant financiers, matériels et humains nécessaires à la réussite du projet.

L'annonce récente de la Commission européenne en faveur d'un budget de 9,2 milliards d'euros pour le numérique sur la période 2021-2027 laisse espérer une évolution vers un programme encore plus ambitieux pour le calcul à haute performance dans les années qui viennent. En effet, le 6 juin dernier, la Commission a annoncé vouloir consacrer 2 milliards d'euros pour la cybersécurité, 2,5 milliards d'euros pour l'intelligence artificielle et 2,7 milliards d'euros pour le calcul à haute performance. Ce budget permettrait définitivement à l'Union européenne de disposer de capacités de calcul parmi les plus avancées au monde.

Dans le schéma proposé, les États membres apporteraient le même montant que l'Union européenne. Ainsi, au total, ce serait près de 6,4 milliards d'euros d'argent public qui seraient consacrés au calcul à haute performance entre 2019 et 2027, soit plus de 700 000 euros par an. L'effort ainsi fait placerait l'Union européenne au même niveau que ses grands rivaux mondiaux.

La Commission fixe pour objectif que l'Europe dispose de sa propre technologie de calcul intensif, indépendante et compétitive. Il s'agira de développer en Europe des supercalculateurs exaflopiques, capables d'un milliard de milliards de calculs par seconde d'ici à 2022/2023. La Commission propose aussi d'aller au-delà à l'horizon 2027 avec des capacités post-exaflopiques, voire avec des technologies d'informatique quantique.

En associant ainsi les acteurs publics et privés dans un programme allant de la recherche à la fourniture d'infrastructures capables de rivaliser avec ses concurrentes développées sur d'autres continents, la Commission européenne met en place une véritable politique industrielle en faveur du calcul à haute performance. Le Sénat, qui appelle depuis plusieurs années à une ambition industrielle européenne en faveur du numérique, ne peut que se satisfaire de cette ambition et il se doit de la soutenir.

Cela est d'autant plus valable que la France dispose des moyens de jouer un grand rôle et de retirer des bénéfices importants d'une telle politique.

Quel rôle pour la France ?

La France dispose de nombreux atouts pour être à la tête du calcul à haute performance en Europe : une recherche scientifique d'excellence avec le CNRS, le CEA et l'INRIA et un opérateur au centre du système, le GENCI ; une industrie de pointe avec ATOS-Bull, un des leaders mondiaux ; une formation de très haut niveau et de jeunes talents que les entreprises du monde entier veulent attirer.

En ce qui concerne la recherche, la France est « au coeur du réacteur » des infrastructures de calcul à haute performance :

- GENCI, le Grand équipement national pour le calcul intensif, créé en 2007, est un opérateur de recherche public détenu à 49 % par l'État, à 20 % par le CNRS, à 20 % par le CEA, à 10 % par la Conférence des présidents d'université, et à 1 % par l'INRIA ; il a pour buts la promotion de la simulation numérique et le calcul intensif, le soutien à la réalisation d'un écosystème intégré à l'échelle européenne, et de porter et mettre en oeuvre la stratégie nationale d'équipement en moyens de calcul intensif ; il participe au programme européen PRACE ;

- le Commissariat à l'énergie atomique qui s'est vu confier la mission de « disposer à l'horizon 2020 de la capacité de concevoir et réaliser des ordinateurs grande puissance de manière durablement compétitive » en 2014 dans le cadre de la politique des investissements d'avenir ; il abrite également, à Bruyères-le-Châtel, le Très Grand Centre de calcul qui héberge notamment la machine Curie d'une puissance de 1,8 petaflops et le supercalculateur Cobalt (1,5 petaflops) ;

- le CNRS qui, de par sa pluridisciplinarité, est présent dans de nombreux programmes de recherche impliquant le calcul intensif.

Aux côtés d'une recherche scientifique d'excellence, la France dispose avec Atos d'un acteur privé de premier plan. En effet, depuis le rachat de Bull en 2014, Atos est le seul constructeur européen de supercalculateurs. Il a notamment développé, avec le BullSequana X1000, le premier calculateur européen pré-exaflopique. Le groupe travaille également sur un calculateur quantique. Atos occupe la cinquième place mondiale derrière IBM, Hewlett-Packard, Lenovo et Huawei.

Il convient aussi de mentionner l'industrie de la défense, très impliquée dans ces questions, ainsi que l'aéronautique et l'automobile. Il faudra également y ajouter tout un tissu de PME innovantes, dont beaucoup n'existent pas encore.

Aussi, comme on le voit, la France dispose déjà d'une filière innovante dans le calcul intensif, associant grands organismes publics à la première entreprise d'Europe dans le secteur, auxquels il faut ajouter un niveau de formation des jeunes ingénieurs parmi les meilleurs au monde. Elle dispose donc d'atouts pour jouer un rôle premier en Europe et tirer les bénéfices des projets européens.

De ce fait, notre pays pourrait être candidat pour héberger la prochaine génération de calculateurs (exaflopique), développée sur la base d'une technologie intégralement européenne à l'horizon 2022/2023. Il doit se positionner comme tel en Europe pour renforcer sa souveraineté et la souveraineté européenne. Un tel projet permettrait non seulement à l'Union européenne d'occuper une des meilleures places dans la compétition mondiale, mais également de renforcer un acteur comme Atos dans l'économie du supercalculateur.

Au-delà, c'est une véritable filière industrielle qui est à construire en France et en Europe avec un secteur employant des personnes très qualifiées et dans lequel il n'y a pas de chômage aujourd'hui. Étant donné son potentiel, une pénurie de main-d'oeuvre est même envisageable. C'est pourquoi notre pays a tout à gagner à un effort de formation et de développement des compétences. Il faudra aussi renforcer notre attractivité pour éviter que nos meilleurs talents partent vers d'autres régions du monde, comme c'est le cas dans de nombreux métiers du numérique.

Pour ces raisons, l'investissement financier, matériel et humain de l'Union européenne dans le calcul à haute performance est une nécessité et une opportunité pour renforcer sa souveraineté et son autonomie à l'ère numérique. La France pourrait en être un des premiers acteurs et bénéficiaires.

C'est pourquoi, votre commission des Affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
SUR LE CALCUL À HAUTE PERFORMANCE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil établissant l'entreprise commune européenne pour le calcul à haute performance enregistrée à la présidence du Sénat le 7 février 2018 - COM (2018) 8 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme pour une Europe numérique pour la période 2021-2027 - COM (2018) 434 final,

Relève l'importance du calcul à haute performance dans la société et l'économie numériques ;

Souligne l'intérêt stratégique pour l'Union européenne de développer ses propres capacités en ce domaine et de renforcer ainsi sa souveraineté dans le monde numérique ;

Estime toutefois que l'Europe, en dépit des démarches engagées ces dernières années, connaît un certain retard dans la compétition mondiale pour le calcul intensif ;

Juge nécessaire que l'Union européenne et ses États membres se fixent des objectifs ambitieux pour développer un savoir-faire et une technologie propres pour les supercalculateurs ;

Soutient que l'Europe peut devenir un acteur de premier ordre dans le calcul à haute performance d'ici à 2030 ;

Regrette toutefois la faiblesse des investissements européens dans le calcul intensif, notamment en comparaison de ceux consacrés à ce secteur par les États-Unis et par la Chine ;

Estime que l'Europe devra elle aussi souscrire à des investissements conséquents pour se maintenir dans la compétition mondiale pour le calcul intensif ;

Pour cette raison, accueille favorablement l'ambition de la Commission européenne de consacrer près de 3,2 milliards d'euros du budget européen au calcul à haute performance d'ici à 2027 ;

Appelle les États membres et les entreprises européennes à un engagement équivalent dans ce projet ;

Soutient la création de l'entreprise commune pour le calcul à haute performance proposée par la Commission européenne, EuroHPC ;

Estime qu'en raison du caractère stratégique de ces technologies, ce projet doit viser en priorité à bâtir une filière européenne compétitive en appuyant les entreprises européennes qui y sont impliquées ;

Estime, dans le même esprit, que les actions de soutien de l'Union européenne à la recherche et à l'innovation doivent avoir en priorité pour finalité de consolider les laboratoires et les entreprises européens ;

Rappelle, par ailleurs, l'excellence des acteurs français du calcul intensif ;

Relève, toutefois, que seule une action au niveau européen nous permettra d'assurer notre autonomie ;

Soutient que notre pays peut jouer un rôle de premier plan dans la mise en place d'une filière européenne du calcul à haute performance, allant de la recherche à l'industrie ;

Estime que la France dispose des meilleurs atouts en Europe pour préparer et accueillir la prochaine génération de machines de calcul à haute performance, de niveau hexaflopique et demande, en conséquence, au Gouvernement de promouvoir la candidature de notre pays à cette fin ;

Souligne enfin que le calcul à haute performance constitue une filière économique d'avenir, source d'emplois nouveaux, et appelle à un effort de formation et de développement des compétences en France et en Europe ;

Invite le gouvernement à soutenir cette approche et à la faire valoir dans les négociations en cours et à venir.


* 1 Proposition de règlement du Conseil établissant l'entreprise commune européenne pour le calcul à haute performance enregistrée à la présidence du Sénat le 7 février 2018 - COM (2018) 8 final

* 2 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme pour une Europe numérique pour la période 2021-2027 - COM (2018) 434 final

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