N° 370

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 1 er avril 1998

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT sur :

EURO 1999 - 25 mars 1998 - Rapport sur l'état de la convergence et recommandation associée en vue du passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire (Partie 1 : Recommandation -Partie 2 : Rapport) (n° E-1045},

Par M. Xavier de VILLEPIN,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Union européenne.

EXPOSE DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le principe de la réalisation de l'Union économique et monétaire (UEM) au plus tard le 1er janvier 1999 est acquis depuis la ratification du traité de Maastricht.

Dans cette perspective, les Etats membres ont été amenés à prendre certaines décisions qui ont commencé à préciser la physionomie de la future union monétaire.

Ils ont ainsi, alors que le traité permettrait une entrée plus rapide dans la troisième phase de l'UEM, décidé d'attendre la date limite pour le passage à la monnaie unique ; ils ont également modifié le nom de celle-ci -l'« écu » est devenu l'« euro »- après avoir arrêté la localisation à Francfort de la future banque centrale européenne (BCE).

Les Etats membres ont par ailleurs défini, dans le « pacte de stabilité et de croissance » conclu lors du Conseil européen d'Amsterdam, la portée et les conditions d'application de la discipline budgétaire prévue à l'article 104C du traité.

Enfin, le Conseil européen a adopté le 13 décembre 1997 à Luxembourg une résolution qui a apporté des précisions sur la coordination des politiques économiques au cours de la troisième phase de l'union monétaire, sur la mise en oeuvre des dispositions du Traité relatives à la politique de change, à la position extérieure et à la représentation de la Communauté ainsi que sur le dialogue entre le Conseil et la BCE.

Mais plusieurs décisions importantes doivent encore être prises : le Conseil doit arrêter la liste des pays qui participeront à la monnaie unique au 1er janvier 1999 ; il doit fixer les taux de conversion définitifs entre les monnaies de ces pays ; il doit désigner le président de la BCE.

La proposition d'acte communautaire E 1045 est une recommandation de la Commission au Conseil évaluant dans quelle mesure chaque Etat membre remplit les conditions d'entrée dans la monnaie unique.

Sur cette base, le Conseil -réuni au niveau ministériel- devra, après avis du Parlement européen, adopter le 1er mai prochain ses propres conclusions sur la liste des pays susceptibles de participer à l'Union monétaire. Celles-ci seront transmises au Conseil -réuni au niveau des Chefs d'Etat et de Gouvernement- qui statuera définitivement le 2 mai après-midi, après une nouvelle consultation du Parlement européen. Il est à noter que le Conseil réuni au niveau ministériel arrêtera les taux de conversion définitifs entre les monnaies appelées à être remplacées par l'euro.

La recommandation de la Commission européenne a été adressée au Conseil le 25 mars ; le Conseil devant statuer le 1er mai, une intervention éventuelle de l'Assemblée nationale ou du Sénat sur ce texte était enfermée dans des délais très courts. C'est pourquoi le Gouvernement, saisi de cette question par le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, a consulté par anticipation le Conseil d'Etat, qui a rendu le 3 mars un avis concluant au caractère législatif de la future recommandation. Celle-ci entre donc dans la catégorie des textes pouvant faire l'objet d'une résolution de l'une ou l'autre Assemblée en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Le document de la Commission recommande la participation de onze Etats membres à la monnaie unique : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la Finlande, La France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal. Seule la Grèce est écartée, puisque les trois autres Etats membres (Danemark, Royaume-Uni, Suède) avaient de toute manière annoncé qu'ils ne participeraient pas à l'union monétaire, du moins dans un premier temps.

Cette recommandation est fondée sur l'analyse suivante du respect des critères découlant de l'article 109 J du traité sur l'Union européenne :

-- les onze pays ont enregistré en 1997 une inflation faible, inférieure au niveau de référence résultant du traité (soit 2,7 %) ;

tous ont respecté en 1997 le critère d'un déficit public inférieur ou égal à 3 % du PIB ;

seuls trois des onze pays respectent le critère d'une dette publique inférieure à 60 % du PIB (la Finlande, la France et le Luxembourg) ; toutefois, dans sept autres pays des pays retenus, le rapport dette publique/PIB « diminue suffisamment » et s'approche « à un rythme satisfaisant » du respect du critère ; enfin, si l'Allemagne a connu en 1997 un léger accroissement de sa dette, celle-ci dépasse de très peu la limite définie par le traité ;

les monnaies des onze pays retenus ont connu une « longue période de stabilité » au sein du mécanisme de change du système monétaire européen, même si les monnaies de l'Italie et de la Finlande participent à ce mécanisme depuis moins de deux ans ;

dans les onze pays retenus, les taux d'intérêt moyens ont été inférieurs au taux de référence résultant du traité (soit 7,8 %) ;

sept des onze pays retenus ont adopté des statuts pleinement conformes au traité pour leurs banques centrales nationales ; dans quatre autres (l'Autriche, l'Espagne, la France et le Luxembourg), des mesures législatives restent à prendre, mais les Gouvernements ont annoncé leur adoption rapide.

La Commission a donc retenu une interprétation « souple » de certains des critères du traité, se fondant sur les progrès très importants déjà obtenus en matière de convergence pour estimer que, notamment, le critère concernant la dette publique serait de mieux en mieux respecté avec le temps.

1. Le choix des Etats participants

Même si, répétons-le, la proposition d'acte communautaire qui est ainsi soumise aux deux Assemblées n'a pas pour enjeu le passage à la monnaie unique, qui découle du traité lui-même, elle n'en appelle pas moins, par son importance, une intervention du Sénat.

La décision sur la liste des pays admis à participer à la monnaie unique dès le lancement de celle-ci est en effet implicitement aussi un choix en faveur de certaines priorités pour la future zone euro. Selon la liste retenue, les avantages et inconvénients de la monnaie unique ne se présentent pas de la même façon :

- une liste comprenant seulement, dans un premier temps, l'Allemagne, la France, l'Autriche et les pays du Bénélux, aurait dès le début assuré à l'euro une grande crédibilité, permettant le maintien de taux d'intérêt très bas, mais n'aurait constitué qu'un progrès très limité dans la limitation des risques de change ;

- la liste « large » qui a été retenue par la Commission européenne présente l'avantage capital de faire disparaître tout risque de change avec l'Italie et l'Espagne, et de donner d'emblée à l'euro une base économique très étendue, ce qui devrait favoriser son rôle international et encourager l'adhésion du Royaume-Uni. En revanche, le risque existe que cette formule rende nécessaire, du moins durant une phase transitoire, la fixation des taux d'intérêt à un niveau plus élevé que ne l'exigerait la situation économique de la plupart des Etats participants, cela pour asseoir la crédibilité de la nouvelle monnaie.

Aucune des formules possibles n'étant sans inconvénients, l'orientation suggérée par la Commission apparaît la plus judicieuse :

=> tout d'abord, elle est le reflet de la remarquable convergence qui s'est réalisée, en raison même de la volonté de réussir, entre les pays aspirant à adopter la monnaie unique, à la seule exception de la Grèce (qui s'est néanmoins considérablement rapprochée de ses partenaires). Les onze pays retenus par la recommandation de la Commission respectent en effet les critères fixés par le traité de Maastricht concernant les déficits publics et la maîtrise de l'inflation : seul le critère de la dette publique, notamment pour l'Italie et la Belgique, n'est pas pleinement respecté aujourd'hui. Le choix d'une liste « large », fondée sur une interprétation souple des critères, traduit donc l'étendue du processus de convergence ;

=> ensuite, les avantages de la liste « large » l'emportent manifestement sur ceux d'une approche plus restrictive. L'instauration de la monnaie unique aurait manqué ses objectifs tant politiques qu'économiques si elle avait suscité une coupure artificielle entre Etats membres. Le choix de la liste « large » est le début d'une dynamique qui devrait à terme faire de l'euro la monnaie de tous les Etats membres, lui permettant ainsi de produire pleinement ses effets bénéfiques pour les entreprises européennes ;

=> enfin, la crainte que ce choix rende la monnaie unique moins crédible aux yeux des marchés devrait être fortement atténuée si tous les Etats participants manifestent avec constance leur souci d'appliquer pleinement le « pacte de stabilité budgétaire », et si les Etats qui ne respectent pas aujourd'hui pleinement le critère de la dette réaffirment leur détermination à revenir dès que possible à l'intérieur des limites fixées par le traité. Il s'agit là, au demeurant, d'une exigence fondamentale pour le bon fonctionnement du système retenu par le traité de Maastricht. Celui-ci a prévu la mise en place d'une politique monétaire unique, mais en laissant la principale responsabilité de la politique budgétaire aux Etats membres. Pour que ceux-ci puissent exercer cette responsabilité, il faut que la situation de leurs finances publiques soit telle qu'ils disposent de la marge nécessaire pour pratiquer, si la situation économique le rend nécessaire, une politique de soutien ou de relance budgétaire temporaire. Cela n'est possible que si leur budget est en équilibre ou très proche de l'équilibre, et si leur endettement total est maîtrisé. Cette exigence est d'autant plus pressante avec le choix d'une liste « large » de pays participants : ceux-ci formant un ensemble moins homogène, le rôle des politiques budgétaires décentralisées pour corriger les effets d'une politique monétaire unique sera d'autant plus important. Ainsi, l'orientation suggérée par la Commission doit transitoirement s'accompagner de la poursuite déterminée d'une politique de rigueur budgétaire par tous les Etats membres qui ne disposent pas aujourd'hui d'une marge de manoeuvre suffisante (ce qui est le cas de la France, située à la limite extrême du respect des critères de déficit et d'endettement).

2. La répartition des responsabilités

L'approche de la décision sur la liste des Etats participants, ainsi que la controverse sur la nomination du président de la BCE, ont mis au jour certaines différences d'interprétation du traité concernant le partage des responsabilités liées à la politique monétaire unique.


• Une des questions les plus disputées a été celle de la mise en place d'une forme de coopération spécifique pour les pays participant à l'euro, dès lors qu'il apparaissait qu'au moins quatre Etats membres n'adopteraient pas la monnaie unique.

Le Conseil européen de Luxembourg (12 et 13 décembre 1997) a apporté, par une résolution, une réponse claire en reconnaissant la possibilité d'une concertation des Etats participant à la zone euro pour l'exercice de leurs responsabilités spécifiques, tout en rappelant que seul le Conseil ECOFIN avec tous ses membres dispose d'un pouvoir de décision :

«Les ministres des Etats participants à la zone euro peuvent se réunir entre eux de façon informelle pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques qu 'ils partagent en matière de monnaie unique. La Commission, ainsi que, le cas échéant, la Banque centrale européenne, sont invitées à participer aux réunions.

« Chaque fois que des questions d'intérêt commun sont concernées, elles sont discutées par les ministres de tous les Etats membres.

« Dans tous les cas où une décision doit être prise, celle-ci l'est par le Conseil ECOFIN selon les procédures fixées par le Traité. »


Une autre question importante est celle des relations entre le Conseil et la BCE. Le traité garantit l'indépendance de celle-ci et lui confère la pleine responsabilité de la politique monétaire ; mais il confère au Conseil la responsabilité de la coordination des politiques économiques, celle d'arrêter la position de la Communauté au niveau international pour les questions revêtant un intérêt particulier pour l'union économique et monétaire, ainsi que celle de décider d'accords de change entre l'euro et des monnaies non communautaires ou de formuler des orientations générales de politique de change vis-à-vis de celles-ci.

Le bon fonctionnement de la zone euro suppose donc un dialogue constant entre le Conseil et la BCE. L'indépendance de celle-ci, garantie par le traité, ne réclame pas que le Conseil renonce à tout ou partie de ses responsabilités propres ; bien au contraire, le respect de la démocratie au sein de la Communauté l'exige.

Telle est bien l'orientation retenue par la résolution déjà citée du Conseil européen de Luxembourg :

« Compte tenu de la répartition des compétences prévue par le traité CE, il faudra, pour que la Communauté connaisse une évolution économique harmonieuse pendant la troisième phase de Î'UEM, que s'instaure entre le Conseil et la Banque centrale européenne un dialogue permanent et fructueux, qui fasse intervenir la Commission et qui respecte, à tous égards, l'indépendance du SEBC.

« De ce fait, le Conseil devrait jouer pleinement son rôle en tirant parti des voies de dialogue prévues par le traité. Le président du Conseil, faisant usage de la faculté que lui ménage l'article 109 B du Traité, devrait faire rapport au conseil des gouverneurs de la BCE sur l'évaluation que fait le Conseil de la situation économique de l'Union et sur les politiques économiques des Etats membres et il pourrait discuter avec la BCE du point de vue du Conseil sur l'évolution et les perspectives en matière de taux de change. Le Traité prévoit par ailleurs que le Président de la BCE participe aux travaux du Conseil lorsque celui-ci délibère sur des questions relatives aux objectifs et aux missions du SEBC, par exemple lorsqu'il élabore les grandes orientations de politique économique. »

II paraît souhaitable que le Sénat manifeste son attachement au principe ainsi dégagé d'un dialogue équilibré entre le Conseil et la BCE.


• La manière dont le Gouvernement français participera à ce dialogue dans le cadre du Conseil ne saurait échapper à tout contrôle de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il serait à cet égard opportun que le Gouvernement

s'engage à organiser à intervalle régulier un débat parlementaire sur ce thème, afin que chaque Assemblée puisse exprimer sa position.


• Enfin, au vu des controverses dans ce domaine, il ne paraît pas inutile de rappeler que le président de la BCE (ainsi que le vice-président et les quatre membres du directoire) sont nommés, aux termes de l'article 109 A du traité, d'un commun accord par les Etats membres de la zone euro, statuant au niveau des chefs d'Etat ou de Gouvernement. Il s'agit donc d'une prérogative reconnue aux autorités politiques, dont le rôle ne saurait se limiter à entériner un consensus formé à un autre niveau.

Les débats au sein de la Délégation pour l'Union européenne ont par ailleurs fait apparaître deux points supplémentaires :

ï la réussite même de l'Union économique et monétaire nécessite que les volets économique et social progressent au même rythme que le volet monétaire de l'Union ; il convient donc que le Gouvernement poursuive ses efforts en ce sens ;

ï pour tenir compte du fait que la politique économique de la zone euro ne résultera pas de la combinaison d'une politique monétaire et d'une politique budgétaire uniques, mais d'une politique monétaire et de onze politiques budgétaires nationales, et que celles-ci devront être arrêtées dans chaque Etat participant à la zone euro en fonction de la situation économique et monétaire de l'ensemble de la zone, il est utile que les Parlements nationaux soient complètement informés de la politique monétaire menée dans la zone ; à cette fin, il est souhaitable qu'un dialogue s'établisse entre la BCE et les Parlements des Etats participant à la monnaie unique.

Compte tenu de ces différents éléments, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution qui suit, que la délégation du Sénat pour l'Union européenne a examinée le 1er avril 1998, dont elle a approuvé les termes, et qu'elle m'a demandé de présenter en son nom :

PROPOSITION DE RESOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la recommandation de la Commission en vue d'une recommandation du Conseil conformément à l'article 109 J, paragraphe 2, du Traité,

Invite le Gouvernement

à approuver, au sein du Conseil, la liste des Etats membres remplissant les conditions nécessaires pour l'adoption d'une monnaie unique telle qu'elle est proposée par la Commission européenne ;

à réaffirmer que le bon fonctionnement de la zone euro ainsi définie suppose que tous les Etats membres s'attachent, par une stricte gestion de leurs finances publiques, à retrouver la marge de manoeuvre indispensable pour que chaque politique budgétaire nationale puisse pleinement jouer son rôle d'ajustement conjoncturel dans le cadre d'une politique monétaire unique ;

à veiller à ce que le Conseil, dans le cadre d'un dialogue permanent et équilibré avec la Banque centrale européenne (BCE), exerce effectivement les responsabilités qui lui sont reconnues par les articles 109 et 109 B du traité sur l'Union européenne, dans l'esprit de la résolution adoptée par le Conseil européen à Luxembourg le 13 décembre 1997 ;

à poursuivre ses efforts pour que soient renforcés dans les années à venir les volets économique et social de l'Union économique et monétaire ;

à assurer l'information régulière de l'Assemblée nationale et du Sénat sur l'action que le Gouvernement mènera à ce titre au sein du Conseil et lors des réunions informelles des ministres des Etats participant à la zone euro, et à organiser un débat annuel à ce sujet dans chacune des deux assemblées ;

à favoriser un dialogue entre la BCE et les Parlements des Etats participant à la zone euro afin que ceux-ci soient informés de la politique monétaire menée au sein de celle-ci ;

-- à agir en sorte que soient pleinement respectées les dispositions de l'article 109 A du traité sur l'Union européenne, en vertu desquelles la nomination des membres du directoire de la BCE relève de la pleine responsabilité des chefs d'Etat ou de Gouvernement des Etats membres participant à la monnaie unique.

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