Question de M. ROUVIÈRE André (Gard - SOC) publiée le 02/10/1996

M. André Rouvière appelle l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur les événements tragiques qui se sont déroulés à Chypre au mois d'août. Le 11 août, un jeune Chypriote grec âgé de vingt-quatre ans, qui participait à une manifestation pacifique sur la ligne de démarcation qui divise l'île en deux depuis l'invasion turque de 1974, a été battu à mort par des contre-manifestants envoyés par les autorités qui occupent la partie nord de l'île et n'ont jamais été reconnues par la communauté internationale. Selon un rapport des forces armées de l'ONU en poste à Chypre, ont été repérés dans cette contre-manifestation à la fois des membres d'une organisation extrémiste turque terroriste se faisant appeler " Les Loups gris " ainsi que des policiers d'origine turque. Le 14 août, alors que l'émotion était à son comble, le cousin du défunt, après les funérailles, s'est rendu sans arme sur les lieux du drame et a tenté symboliquement de grimper sur un mât qui portait le drapeau turc. Il a été alors abattu froidement et sans sommation par les policiers et les soldats turcs devant les caméras de télévision du monde entier. Douze autres personnes ont été blessées dont une femme de cinquante ans et deux soldats membres des forces de l'ONU. Il ressort clairement des images télévisées que la réaction des troupes d'occupation turque a été disproportionnée face à la nature pacifique et démocratique de la manifestation chypriote grecque. Il apparaît essentiel que la France, patrie des droits de l'homme, condamne avec la plus grande énergie ces actions violentes qui désespèrent la population d'une île victime depuis plus de vingt-deux ans l'occupation illégale de 40 p. 100 de son territoire par les armées d'une puissance étrangère. En outre, notre pays, comme les Etats-Unis, devrait appuyer toute démarche pour que les coupables de ces meurtres soient poursuivis et rendent compte de leurs actes devant la justice. Quelle est la position du Gouvernement français et quelles initiatives pense-t-il proposer ou prendre ?

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Réponse du ministère : Transports publiée le 13/11/1996

Réponse apportée en séance publique le 12/11/1996

M. André Rouvière. Madame le ministre, même si les événements tragiques qui se sont déroulés à Chypre les 11 et 14
août dernier sont intervenus durant ce qui est pour nous la trêve estivale, leur gravité ne doit pas être sous-estimée.
Ce sont deux manifestants chypriotes grecs, pacifiques, qui ont été assassinés au mépris des règles du droit.
Le 2 août dernier, la Fédération chypriote des motocyclistes a organisé une marche pacifique, en coopération avec la
Fédération européenne des motocyclystes, au départ de la porte de Brandebourg, à Berlin. Il s'agissait de rappeler
l'absurdité de la situation actuelle, qui veut que le mur de Berlin soit tombé, alors que la République de Chypre demeure
toujours « balafrée » par une ligne de démarcation de cent quatre-vingts kilomètres qui traverse sa capitale, Nicosie, et
divise, d'une façon infranchissable, l'île comme sa population. Le cortège devait achever sa marche le 10 août par un
rassemblement à Nicosie, annulé au dernier moment par les organisateurs, inquiets des bruits selon lesquels les autorités
d'occupation turques préparaient une provocation.
Une centaine de jeunes Chypriotes, qui vivent depuis leur plus jeune âge dans un pays divisé et occupé, décidaient alors
de se rendre pacifiquement en foule sur la ligne de démarcation. Ils devaient être attaqués violemment par des
contre-manifestants. Isaac Anastassios, âgé de vingt-quatre ans, était battu à mort tandis que quarante autres Chypriotes
grecs étaient blessés, parfois grièvement.
Le rapport des soldats de la force d'interposition de l'ONU à Chypre souligne sans aucune ambiguïté que participaient à
la contre-manifestation des policiers d'origine turque ainsi que des membres d'une organisation terroriste et extrémiste
turque qui se font appeler les « Loups gris » et qui étaient venus spécialement de Turquie pour cette sinistre opération.
Le 14 août 1996, après les funérailles du malheureux Chypriote grec, l'un de ses cousins se rend avec des amis pour
déposer des fleurs sur les lieux de l'assassinat. Il tente de grimper sur un mât qui porte le drapeau turc, sous les yeux des
Chypriotes grecs rassemblés dans le calme, la dignité et la tristesse, mais aussi - j'y insiste - sous le regard des sentinelles
des forces d'occupation, qui veillent derrière la ligne de démarcation. Soudain, sans sommation, les policiers et les soldats
turcs ouvrent le feu directement sur lui et sur ceux qui leur font face. Les caméras de télévision du monde entier ont
enregistré la mort en direct de ce malheureux. Douze autres personnes ont été blessées, dont une mère de famille de
cinquante ans et deux soldats de l'ONU.
Madame le secrétaire d'Etat, la République de Chypre a été envahie il y a vingt-deux ans par la Turquie. Depuis, 40 % du
territoire sont occupés sous le contrôle d'une prétendue République turque de Chypre du Nord, qui n'a été reconnue que
par la Turquie, et jamais par la communauté internationale.
Aujourd'hui, la République de Chypre est à nouveau la victime innocente d'actes contraires aux règles internationales et
aux principes des droits de l'homme. Les négociations en vue de l'instauration d'une fédération bizonale et
bicommunautaire sont rompues à l'instigation de la partie chypriote turque, qui n'a plus que la force des armes et du statu
quo à opposer aux arguments de la raison et du bon sens.
Il importe, madame le secrétaire d'Etat, que la France condamne d'une voix forte des actes commis par les autorités
d'occupation, actes dont la gravité exceptionnelle est sans commune mesure avec les circonstances. Il serait essentiel que
notre pays se joigne aux Etats qui réclament que les coupables de tels agissements soient poursuivis et condamnés malgré
les protections dont ils ont certainement bénéficié.
Madame le secrétaire d'Etat, pouvez-vous me préciser ce qu'a fait le gouvernement de notre pays au moment du drame et
m'indiquer ce qu'il compte faire pour essayer de participer à la recherche d'une solution harmonieuse, au regard tant de ce
drame que de la division de l'île ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat aux transports. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention du
ministre des affaires étrangères et du Gouvernement sur les affrontements intercommunautaires qui ont eu lieu à Chypre,
au mois d'août dernier - vous en avez rappelé les circonstances - ainsi que sur les autres événements qui sont
malheureusement survenus par la suite.
La France a vivement déploré les actes de violence commis ainsi que le caractère disproportionné de la riposte des forces
de sécurité dans le nord du pays en réponse à l'entrée non autorisée de civils dans la zone tampon. Elle s'est également
associée à la déclaration de la présidence au nom de l'Union européenne qui a condamné les meutres brutaux de Tassos
Isaac et de Solomos Solomou, et exprimé sa profonde inquiétude au sujet des blessures reçues par de nombreuses autres
personnes, parmi lesquelles des membres de la force de maintien de la paix des Nations unies.
Nous avons appelé les parties au calme et à la retenue. Nous leur avons demandé de prendre toutes les mesures
nécessaires afin d'éviter de nouveaux affrontements. Dans cette perspective, nous estimons que l'objectif de faire baisser
la tension autour de la « ligne verte » pourrait justifier la reprise des pourparlers intercommunautaires directs, afin, par
exemple, d'élargir le champ d'application de l'accord de désengagement de 1989, c'est-à-dire le recul de part et d'autre
de la « ligne verte » des forces chypriotes, grecques et turques.
De manière générale, ces événements, comme ceux qui sont survenus en septembre et en octobre, illustrent une fois
encore la nécessité d'une solution politique globale et définitive de la question de Chypre sous l'égide des Nations unies.
Notre pays, pour sa part, soutient toute initiative allant dans ce sens. Tant au sein de l'Union européenne qu'en sa qualité
de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France poursuivra ses efforts pour contribuer à un
règlement politique juste et durable.
M. André Rouvière. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Rouvière, pour répondre brièvement au Gouvernement, car il a déjà épuisé son
temps de parole !
M. André Rouvière. Monsieur le président, je serai très bref.
Madame le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, mais je crois que nous sommes nombreux à souhaiter
que le Gouvernement français adopte une position beaucoup plus énergique et fasse résonner la voix de la France dans le
concert international.
La France entretient des relations privilégiées avec la Turquie et peut donc, à ce titre, peser pour que cette occupation
qui, aujourd'hui ne se justifie plus, cesse. Car il s'agit bien d'un pays occupé par un autre pays dans la mesure où l'armée
turque est présente à Chypre.
Nous souhaitons que le Gouvernement français prenne des initiatives innovantes à cet égard.

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