Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC) publiée le 21/01/1998

Mme Nicole Borvo attire l'attention de Mme le ministre de la culture et de la communication sur le fait que deux cinémas d'art et d'essai parisiens, Entrepôt et Accatone, s'inquiètent de leur avenir à la suite de la diminution des subventions accordées par le Centre national de cinématographie. Accatone, ex-studio Cujas, créé il y a dix ans par Kazik Hentchel est sérieusement menacé par de nouveaux critères d'attribution d'aides aux salles d'édition qui ont fait chuter sa subvention de 60 % en deux ans. Quant à Entrepôt, créé en 1975 par Frédéric Mitterrand, il annonce la suspension de ses activités d'art et d'essai. Le montant de sa subvention s'élève seulement à 180 000 francs pour 1997, au lieu de 225 000 francs pour 1996. Afin que des cinémas d'art, d'essai et de recherche tels qu'Accatone et Entrepôt puissent vivre et assurer une programmation indépendante, qui donne toutes ses chances à des oeuvres exigeantes, elle lui demande ce qu'il compte faire pour attribuer des moyens suffisants et prendre les mesures nécessaires.

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Réponse du ministère : Culture publiée le 25/02/1998

Réponse apportée en séance publique le 24/02/1998

Mme Nicole Borvo. Je souhaite interroger Mme la ministre de la culture sur un problème qui me tient particulièrement à
coeur, celui de l'avenir des cinémas d'art et d'essai, en évoquant plus particulièrement la situation du studio Accatone,
ex-studio Cujas, créé voilà dix ans par Kazik Hentchel, et celle de l'Entrepôt, créé en 1975 par Frédéric Mitterrand.
L'avenir de ces deux salles est en effet gravement menacé, comme celui de beaucoup de cinémas d'art, d'essai et de
recherche, à Paris comme ailleurs.
Ainsi, l'espace Accatone, véritable ciné-club permanent, risque de disparaître faute de subventions. Celle que lui accorde
le Centre national de la cinématographie, le CNC, diminue sensiblement : de 550 000 francs en 1995, elle est passée à
250 000 francs en 1997, soit moitié moins, et elle ne serait plus, en 1998, que de 160 000 francs.
De plus, et malgré une programmation qui couvre Arrabal, Pasolini et Robbe-Grillet, cette salle vient de perdre un rang
dans le classement « Art et essai ».
Pour contester la baisse de 50 % de la subvention du CNC, l'espace Accatone a annoncé des « Journées noires de la
culture » et a fait flotter sur sa façade un drapeau noir portant ce slogan : « La culture est trahie ». Je crois savoir que
nombre de cinéphiles se sont mobilisés pour soutenir ce studio.
Quant à l'Entrepôt, situé dans le quatorzième arrondissement de Paris, il est aussi en grande difficulté. Le montant de sa
subvention n'aurait été que de 180 000 francs en 1997, contre 225 000 pour 1996. Et cette subvention risque de
diminuer encore en 1998.
L'Entrepôt souhaite reprendre son activité. Il convient d'aider à ce redémarrage, car il serait tout à fait dommage que ce
studio disparaisse.
Parallèlement, on assiste à Paris à l'installation d'énormes multiplex. Or ces équipements s'ouvrent sans qu'ait été
préalablement menée une étude sérieuse sur leur impact en termes de fréquentation cinématographique globale ou de
disponibilité de films, et sans analyse approfondie de la structuration de la ville que leur activité implique.
J'ai d'ailleurs souvent attiré l'attention des ministres de la culture successifs sur l'effet à mes yeux très néfaste des multiplex.
Cette situation inégalitaire est d'autant moins acceptable que l'exploitation indépendante constitue un atout considérable
pour le cinéma, particulièrement pour le cinéma français, qui a quand même des atouts. Le comparatif sur une semaine
type montre que le choix des films proposés par les salles indépendantes y est, avec moins d'écrans, presque deux fois
plus important que dans les grands circuits.
Depuis 1980, une centaine de petits écrans parisiens ont périclité, et le processus risque fort de se poursuivre. C'est
pourquoi il est urgent de définir, en partenariat avec le ministère de la culture, la direction régionale des affaires culturelles,
le CNC, et aussi avec les professionnels parisiens du cinéma qui se battent pour défendre le cinéma indépendant, une
conception du développement du cinéma à Paris dans tous ses aspects : diversité de l'offre, des lieux et des animations,
qualité de la projection, confort général, actions ciblées en direction du public, etc.
Quelles mesures entend prendre le Gouvernement afin que les cinémas d'art, d'essai et de recherche puissent vivre et
assurer une programmation indépendante, donnant toutes leurs chances à des oeuvres exigentes ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, porte-parole du Gouvernement.
Madame le sénateur, à compter de l'année 1997, l'aide accordée à certaines salles d'art et d'essai parisiennes, intitulée «
aide aux salles d'édition », a été modifiée pour tenir compte de l'évolution de la structuration du parc de salles à Paris.
Si l'enveloppe financière destinée à cette procédure a été augmentée, le rôle de ce dispositif a été, en parallèle, mieux
défini.
Il s'agit désormais d'une subvention destinée aux salles indépendantes qui maintiennent, face à la concurrence, une
programmation de qualité.
L'attribution des subventions fait l'objet d'un examen préalable par une commission d'experts qui prend en compte
différents critères : la qualité et l'originalité de la programmation, le nombre de spectateurs qu'elle induit, la qualité
technique de la salle et les efforts de modernisation déployés, l'évolution de sa fréquentation globale, tant en valeur
absolue que par rapport aux autres salles du quartier d'implantation. Le dernier critère pris en compte concerne la gestion
de la salle et l'adéquation de celle-ci à l'économie de son exploitation.
Parmi les vingt-quatre exploitations qui avaient bénéficié du soutien du CNC en 1996, treize ont vu leur subvention
augmenter de façon significative en 1997, six ont bénéficié d'une aide comparable à celle de l'année précédente et seuls
quatre établissements se sont vu attribuer des subventions inférieures à celles de l'année 1996.
S'agissant de l'Accatone, la subvention accordée en 1997 atteint 250 000 francs, contre 300 000 francs en 1996 et en
1995, soit une baisse de 20 % et non de 50 %. Ce montant a été établi sur la base des critères que je viens d'évoquer, en
tenant compte par ailleurs du montant accordé aux autres salles.
Il faut noter en effet que cette subvention est relativement élevée par rapport à celles que reçoivent d'autres salles : elle est
supérieure à 6 francs par spectacle, alors que la majorité des salles se sont vu accorder une aide inférieure à 4 fancs par
spectateur.
En ce qui concerne l'Entrepôt, le montant proposé par la commission a été fixé à 180 000 francs en fonction de l'examen
des mêmes critères. La commission n'a pas souhaité dépasser ce montant compte tenu de l'état des salles, qui doivent
absolument être rénovées pour que soit assurée leur pérennité.
Le montant des travaux ne pouvait pas être pris en compte par cette instance du fait, d'une part, qu'il s'agit d'une
subvention de fonctionnement et, d'autre part, que ces travaux ont déjà fait l'objet d'un financement par le CNC.
Les décisions du directeur général du CNC sont donc strictement conformes à l'avis de la commission, qui a porté une
attention toute particulière aux deux cas que vous avez mentionnés, madame le sénateur.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais convenez avec moi que nous sommes
face à un cercle vicieux dans la mesure où ces deux salles vont nécessairement se trouver dans des difficultés encore plus
grandes du fait de la baisse de leur subvention.
A l'heure où l'accord multilatéral sur l'investissement menace la liberté des citoyens de déterminer la politique ainsi que les
choix économiques, sociaux et culturels de leur propre nation - vous êtes bien placée pour le savoir - je pense que l'avenir
des salles d'art et d'essai mérite une attention particulière.
Je veux insister sur l'avantage démesuré qui est donné aux multiplex par rapport aux autres salles, ce qui contribue à
favoriser le cinéma dominant, c'est-à-dire le cinéma américain - et je tiens à préciser que j'aime le cinéma américain - au
détriment des cinémas nationaux des pays d'Europe, qui risquent de disparaître.
Certes, en France en particulier, nous n'en sommes pas là, grâce à la qualité, que je crois très grande, de notre production
cinématographique, mais nous ne sommes pas à l'abri d'une telle évolution. Les études réalisées dans d'autres pays,
notamment en Grande-Bretagne, sont à cet égard tout à fait révélatrices.
Je vous sais, madame le ministre, très attentive à ces questions. J'espère donc vous convaincre de la nécessité de donner,
dans la durée, leur chance aux oeuvres afin qu'elles puissent rencontrer le public. On sait qu'il existe en France un public
curieux de tous les cinémas pour peu qu'un travail de fond et persistant soit mené.
Je suggère que soit également envisagée une réforme du système français de soutien public. Cette réforme pourrait passer
par le refus de la mise en communauté d'intérêts du fonds de soutien aux exploitants. Celui-ci permet aujourd'hui aux
grands circuits de concentrer les sommes issues d'un très grand nombre de salles pour la modernisation d'un seul
équipement, ce qui revient à encourager la concentration grâce à des fonds publics !
Une réforme de ce même fonds pourrait en outre inclure le prélèvement d'une taxe sur les recettes des multiplex, afin de
soutenir les salles indépendantes et les salles municipales.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Madame le sénateur, il faut aussi
prendre en compte la nécessité d'une certaine équité dans la manière dont sont distribués les fonds publics de soutien aux
salles. Certaines ont fait l'effort de se transformer, de se moderniser. Dès lors, il ne serait pas légitime que d'autres salles,
qui n'ont pas accompli cet effort dans de semblables proportions, puissent percevoir une subvention par spectateur au
moins 50 % plus élevée. L'usage des fonds publics doit répondre à certains critères.
S'agissant du soutien à l'exploitation, nous avons engagé une refonte du système de façon à établir une meilleure
répartition ; il s'agit de permettre de faire basculer, dans la grille des pourcentages de soutien appliqués aux salles, des
sommes depuis les multiplex vers les salles moyennes et petites. Cela répond, je crois, à votre souhait - tout à fait justifié
et que je partage - et démontre notre volonté, déjà concrétisée, de soutenir les salles indépendantes et les salles d'art et
d'essai.

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