Question de M. SÉRUSCLAT Franck (Rhône - SOC) publiée le 13/02/1998

Question posée en séance publique le 12/02/1998

M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Avec ma question, qui s'adresse plus particulièrement à M. Kouchner, nous quittons le domaine
des questions précédentes, qui concernaient notamment la Corse et l'énergie nucléaire.
Actuellement, il est une hypothèse qui m'inquiète : il serait possible de faire une sélection génétique sur l'homme adulte afin
de déterminer les individus qui seraient sensibles aux maladies professionnelles.
Devant cette situation, deux positions sont possibles. Je souhaiterais connaître la vôtre, monsieur le secrétaire d'Etat, pour
déterminer la mienne.
D'un côté, les salariés, en particulier les cadres, et les médecins inspecteurs du travail craignent que cette possibilité ne
conduise à rejeter ceux qui risqueraient de développer une maladie professionnelle et donc à ne pas les embaucher, au
lieu de prendre les mesures de prévention des risques professionnels. Ils craignent « que les choix en matière de santé du
travail ne soient orientés plus vers des politiques de sélection génétique des salariés, plutôt que sur des politiques de
prévention des risques et maladies professionnelles ». Je cite les réflexions qui sont parues dans la presse.
De l'autre côté - ce qui peut sembler étonnant apparemment - il faut mentionner le comportement du Comité national
d'éthique qui, dans son avis n° 46 publié en 1995, avait pourtant pris des positions très fermes et très claires dans ce
domaine. Aujourd'hui, pensant que le danger le plus grand est l'ignorance qui prive de tout choix libre, ce comité
considère qu'il peut être nécessaire de poursuivre cette piste de recherche dans le domaine génétique, tout en veillant à ne
pas porter atteinte à la dignité et aux droits de l'individu.
Pour ma part, je crains une dérive consistant à « catégoriser » ceux qui seront sains dans tous les cas, et ne courront donc
aucun risque, quitte à créer une section particulière d'hommes bien portants qui pourront demander un salaire plus élevé,
et les autres.
Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, connaître votre position au regard de ces perspectives. En effet, ce qui,
aujourd'hui, est une hypothèse et une piste de recherche possible sera, demain, une réalité. Je crains, à voir ainsi la science
qui s'emballe, que la société ne courre des risques. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

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Réponse du ministère : Santé publiée le 13/02/1998

Réponse apportée en séance publique le 12/02/1998

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, j'ai pris comme vous connaissance de la
nouvelle à laquelle vous faites référence avec attention et inquiétude.
Vous avez raison d'évoquer ce qui ressemble au Meilleur des mondes ou à des dérives auxquelles, bien entendu, nous
devons prendre garde. Bien sûr, il ne s'agit pas de cela. Vous faites allusion à ce qui est paru dans la presse, à ce qui,
s'agissant de la médecine prédictive et concernant la médecine anténatale, devient un peu préoccupant dès lors qu'il s'agit
de la médecine du travail.
Le premier point à rappeler, c'est que les lois sur la bioéthique adoptées en juillet 1994 sont très claires à ce propos,
monsieur le sénateur.
Elles précisent bien que l'étude génétique des caractéristiques d'une personne ne peut être entreprise qu'à des fins
scientifiques ou médicales.
En disant cela, la loi n'empêche pas la recherche médicale et c'est en ce sens que le comité national d'éthique, qui avait été
saisi d'inquiétudes, a rappelé que les recherches scientifiques visant à mettre en évidence les éventuels facteurs de
prédisposition à des maladies sont peut-être nécessaires, mais doivent être encadrées, surveillées.
Le Comité national d'éthique avait également indiqué que l'utilisation des tests génétiques en médecine du travail doit être
exceptionnelle, leur finalité et leur durée devant être précisées.
Enfin, lors de sa réunion du 17 décembre dernier, la commission de médecine du travail du conseil supérieur de la
prévention des risques professionnels, où sont représentés l'ensemble des organisations syndicales, s'est saisie de cette
question et doit faire des propositions sur les situations dans lesquelles un dépistage de facteur génétique permettrait de
prévenir réellement des pathologies professionnelles.
Certes, tout cela est très vague. On peut toujours évoquer le dépistage nécessaire de ces prédispositions pour que soient
prises des précautions sans lesquelles la personne serait exposée à des risques particuliers esther de glycol ou autres
facteurs en effet très dangereux. C'est en ce sens que nous avons pris cette nouvelle.
Cependant, nous devons envisager l'utilisation des tests génétiques uniquement pour protéger le travailleur, et encore
simplement pour lui permettre d'éviter de courir des risques, et pas pour le sélectionner en vue d'exercer une activité
professionnelle ou autre. Pour autant, il ne faut pas permettre à l'employeur - j'insiste sur ce point, monsieur le sénateur -
d'avoir accès à de telles données, qui relèvent, bien sûr, du secret professionnel.
Plus généralement, un projet de décret est en cours de finalisation pour encadrer la médecine prédictive.
L'encadrement de la prescription et de la réalisation d'examens...
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Oui, c'est un sujet qui est suffisamment important pour qu'on puisse le
conclure (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants), dès que vous m'aurez laissé
m'exprimer, mesdames, messieurs les sénateurs !
M. Dominique Braye. Tous les sujets sont importants !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je le sais, monsieur, même celui-là !
M. Dominique Braye. Pas plus que les autres !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Effectivement ! Aussi, je conclus.
M. Jean Delaneau. Vous pérorez !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Il ne s'agit pas de pérorer ! Il s'agit de l'avenir de travailleurs qui, dans ce
domaine très particulier, sont inquiets et à qui un minimum d'explications doit être donné. (Très bien ! sur les travées
socialistes.)
M. Dominique Braye. Vous êtes toujours trop long !
Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Evidemment, mesdames, messieurs les sénateurs qui siégez à la droite de cet
hémicycle, dès qu'il ne s'agit pas de vos questions, vous pensez que c'est trop long !
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, répondez à la question !
M. René-Pierre Signé. Mais il faut le laisser parler !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. L'encadrement de la prescription et de la réalisation d'examens, disais-je,
comprendra, outre l'exigence d'un consentement écrit, une information de qualité et le droit de ne pas connaître le résultat.
Par ailleurs, nous insistons sur le secret médical, qui doit être rigoureusement observé. Un décret sera pris à ce propos.
A la suite de ce décret, sera pris un arrêté sur les bonnes pratiques de prescription, de manière que n'importe qui ne
puisse pas prescrire des examens de caractéristiques génétiques seul et sans une démarche dont l'objectif serait validé.
Merci, mesdames, messieurs les sénateurs ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

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