Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 23/02/2000

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur les difficultés créées par la diminution de la qualité du service de maintenance dans les centrales thermiques nucléaires, à flamme et centrales hydrauliques. Elle lui fait remarquer que cette remise en cause est la conséquence de la réduction en nombre des personnels EDF chargés jusqu'alors de cette mission, du transfert à des personnels d'entreprises privées de cette maintenance qui ne disposent pas des formations suffisantes, du regroupement des ORI (organisation régionale d'intervention) chargées d'organiser et de surveiller une maintenance accrue, entraînant une diminution des actions de surveillance et de prévention. Elle lui fait part de son inquiétude pour la sécurité des installations, du matériel, des personnels et des populations riveraines des centrales. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures qu'il envisage pour maintenir les structures actuelles des ORI et continuer à confier les responsabilités de maintenance aux seuls agents d'Electricité de France (EDF) possédant la formation initiale et continue nécessaire. Par ailleurs, elle souhaite l'accroissement et l'accentuation qualitative des actes de prévention afin de garantir une sûreté absolue des installations et une sécurité garantie des personnels.

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Réponse du ministère : Anciens combattants publiée le 29/03/2000

Réponse apportée en séance publique le 28/03/2000

M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 724, adressée à M. le secrétaire d'Etat à
l'industrie.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ma question s'adressait à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, mais je vous remercie,
monsieur Masseret, d'y répondre ce matin.
Je veux en préalable dire que mon propos ne vise nullement à remettre en cause le choix fait par la France de recourir à
l'énergie nucléaire.
Cette dernière a renforcé notre taux d'indépendance énergétique, qui était de 23 % en 1973 et qui a atteint aujourd'hui
près de 50 %.
Notre savoir-faire est reconnu. La France maîtrise l'ensemble du cycle du combustible nucléaire : l'extraction, le
retraitement, le recyclage, l'enrichissement de l'uranium, la fabrication du combustible.
Notre maîtrise en la matière nous permet de produire une énergie nucléaire avec un solde exportateur de près de 30
milliards de francs en rentrées de devises.
A cette indépendance énergétique et économique s'ajoute une réponse à la nécessité de réduire la production de
dioxyde de carbone, d'oxyde d'azote, de poussières, autant d'émissions qui, liées aux pluies acides, produisent l'effet
de serre qui gêne la vie sur notre planète. Nous avons pris des engagements à Kyoto, ils doivent être tenus.
Je ne conteste pas ce capital. C'est justement parce que je suis attachée à le préserver que j'interpelle ce matin M. le
secrétaire d'Etat à l'industrie.
C'est en 1963 que le véritable coup d'envoi du programme électronucléaire a été donné. Un premier programme de seize
réacteurs a été lancé le 5 mars 1974, suivi, deux ans après, de vingt réacteurs supplémentaires. Certains réacteurs
datent donc d'un quart de siècle.
Au 1er janvier 2000, les vingt et un sites nucléaires sont encore placés sous la dépendance, la surveillance, des neuf
organisations régionales d'intervention d'EDF. Il s'agit des centres pour la région de Normandie, du Nord,
d'Ile-de-France, de l'Ouest, de l'Est, du Sud-Est, de la Méditerranée, du Sud-Ouest et d'Amilly, dans le Loiret.
A un appel pour une vérification, un examen, une réparation, plusieurs agents de l'ORI-EDF se rendent sur place. Cela
signifie que ces agents sont suffisamment nombreux, expérimentés, formés et aguerris. Or des inquiétudes
apparaissent.
Alors que le vieillissement de nos centrales appelle des soins plus attentifs, donc des personnels plus qualifiés, EDF
ne devrait-elle pas s'orienter vers une politique nouvelle en matière de renforcement de la surveillance ? Au vu du dernier
rapport annuel que vient de publier la direction de la sûreté des installations nucléaires, on peut douter qu'elle s'engage
dans cette voie. Ce rapport faisait en effet état, l'année précédente : « de négligence, de laisser-faire et
d'endormissement. » Un an après, on ne note que peu de progrès.
Un nombre important de problèmes d'exploitation subsistent, l'inondation de la salle des pompes de refroidissement du
Blayais, en Gironde, le 27 décembre dernier, en témoigne.
Ce rapport est inquiétant car il précise que c'est au niveau de la protection contre les rayonnements qu'EDF semble
manquer de résultats, comme le montre l'irradiation d'un technicien, il y a un an, à la centrale du Tricastin.
Au sujet du vieillissement induisant un phénomène d'usure, ne pensez-vous pas que la durée d'existence d'une centrale
soit bien de cinquante à soixante ans ? La direction de la sûreté des installations nucléaires semble le contester.
La direction d'EDF admet, certes, le vieillissement et l'usure, mais, dans le même temps, elle ne semble pas prendre
les mesures nécessaires. Elle envisage même de réduire le nombre des centres ORI et des personnels EDF formés,
mais aussi de transférer ses missions d'entretien, de réparation et de surveillance au privé, à des « nomades du
nucléaire ». Or, chacun se souvient d'une émission de La Marche du siècle, qui avait bien montré que ces personnels
n'avaient ni la culture ni la vigilance des agents spécialisés d'EDF.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous m'indiquer si le Gouvernement approuve ces décisions et me faire part des
interventions du Gouvernement pour stopper cette évolution ?
L'EDF assure désormais l'entretien de cinquante-huit réacteurs, ce qui représente des millions d'heures de travail, qui
sont assurées par les 1 100 agents spécialisés et formés de l'entreprise. Réduire les effectifs statutaires de
maintenance reviendrait à « basculer » au profit d'entreprises privées, car je n'arrive évidemment pas à croire que l'on
pourrait s'acheminer vers une réduction de l'entretien et de la surveillance. Ce serait contraire à une politique de sûreté
et de sécurité.
La maintenance statutaire et de qualité passe, bien entendu, par le maintien et l'amélioration du service public. La
réforme passe par l'annulation immédiate de toutes les décisions et de tous les projets de regroupement des centres
ORI, du transfert des missions publiques au service privé et, évidemment, de toute réduction du nombre d'agents et de
toute suppression d'emploi.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'aimerais connaître l'avis du Gouvernement sur ce point.
Pouvez-vous également me dire quelles décisions seront prises pour préserver la qualité du service public et la
poursuite de l'utilisation de l'énergie nucléaire ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Madame la sénatrice, votre
intervention orale étant plus large que le libellé écrit de votre question, je n'ai probablement pas tous les éléments pour
vous répondre ce matin. Sachez cependant que M. Christian Pierret sera tout à fait disposé, si vous le souhaitez, à
compléter les réponses que je vais vous donner ce matin en son nom et qui sont surtout consacrées aux organisations
régionales d'internventions d'EDF, les ORI.
M. Christian Pierret vous fait observer que la sûreté nucléaire des installations de production d'électricité, la protection
des matières nucléaires et la sécurité des personnes sont naturellement des objectifs fondamentaux auxquels le
Gouvernement, dans son ensemble, et, à mon avis, le pays tout entier attachent une importance particulière.
Le contrat d'entreprise conclu en 1997 par l'Etat avec EDF prévoit ainsi que « la sûreté des moyens de production
nucléaire devra être maintenue durablement au plus haut niveau mondial » et « constituera une priorité absolue pour
l'entreprise et la première condition pour assurer une durée de vie aussi longue que possible aux centrales nucléaires
en exploitation. »
S'agissant des organisations régionales d'intervention, qui sont devenues des agences de maintenance thermique, leurs
personnels étaient, en 1997, au nombre de 1 100. Ces agents qualifiés garantissent, au sein d'EDF, la qualité des
interventions menées, le plus souvent, pendant les arrêts pour rechargement des réacteurs nucléaires, avec le concours
de prestataires extérieurs.
EDF a entendu faire évoluer depuis quelques années le rôle de ces agences de maintenance technique pour adapter
leurs missions aux caractéristiques de l'entretien des installations thermiques nucléaires et classiques, ainsi
qu'hydrauliques.
Les évolutions en cours depuis 1998 liées à cette préoccupation prennent en compte deux facteurs.
Le premier est constitué par les évolutions de la courbe de charge de l'entretien des installations du parc de production.
C'est ainsi que, face à la montée en puissance du parc de réacteurs nucléaires, l'adaptation des installations du
thermique classique entraîne, à terme, un redéploiement de l'ordre de cent emplois.
Le deuxième facteur concerne le parc nucléaire. EDF a été amenée à modifier la constitution des coeurs de réacteurs,
ce qui a permis d'effectuer progressivement les arrêts pour rechargement tous les dix-huit mois et non plus chaque
année. Cette adaptation entraîne un redéploiement à terme de l'ordre de trois cents emplois.
Ces redéploiements, qui ont débuté dès 1998 et 1999, et qui se poursuivent, sont l'occasion d'améliorer les missions et
les responsabilités des personnels restant en place. Le contenu de leurs métiers est orienté vers des fonctions de
qualification plus grande. Cette évolution est favorable en termes de carrière et de conditions de travail ainsi que de
sûreté pour les intervenants.
Dans ce contexte, l'entreprise estime donc que les besoins d'entretien pour le parc nucléaire, les installations
classiques et l'hydraulique exigent, à l'horizon de quatre à cinq ans, environ sept cents emplois qualifiés. Les emplois
restants donnent lieu à un redéploiement entre les agences, sur les sites nucléaires existants, ou dans des métiers
dont EDF a besoin dans d'autres activités.
Enfin, je vous rappelle que EDF a signé, le 25 juin 1999, un accord social avec l'ensemble de ses organisations
syndicales prévoyant la création de 3 000 à 5 000 emplois.
S'agissant de la durée de vie des centrales nucléaires, je ne saurais vous dire, ce matin, si elle est de cinquante,
soixante ou soixante-dix ans. Sur toutes les questions qui dépassent les thèmes évoqués dans votre question, sachez
que M. Christian Pierret reste à votre disposition.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai bien noté que M. Pierret restait à ma disposition
pour répondre de façon plus précise à ma question de ce matin. Je le souhaite d'autant plus que les chiffres que vous
m'avez communiqués, monsieur le secrétaire d'Etat, concernant le redéploiement des personnels me semblent assez
inquiétants.
Votre réponse était plutôt générale alors que ma question était très précise. Elle me paraît quelque peu théorique et
n'est pas de nature à résoudre le problème du maintien de toutes les ORI ainsi que des personnels statutaires. Par
ailleurs, elle ne m'apporte aucune information quant au refus de transfert de travaux et de surveillance à des entreprises
privées.
Je ne doute pas, bien entendu, de la détermination du Gouvernement d'assurer la sécurité et la sûreté de nos
installations nucléaires, mais certaines décisions prises par EDF ne me semblent pas aller dans ce sens.
EDF ne peut pas continuer à transférer au privé des activités aussi importantes que celles qui portent sur les pompes
alimentaires, les stations de pompage, les compresseurs, les fuites de chaudières, les robinetteries primaires et
secondaires, et bien d'autres qui appellent une grande vigilance pour permettre aux centrales de résister au
vieillissement.
Nous connaissons les maintenances qui ont été effectuées jusqu'à maintenant et qui seraient susceptibles de favoriser
un redéploiement. En revanche, il existe de grandes inconnues quant au vieillissement des centrales du fait du
caractère tout à fait nouveau de cette activité. Je veux donc solennellement attirer l'attention du Gouvernement sur ces
problèmes. En agissant ainsi, je me place dans la ligne du rapport qui a été établi par le Sénat.
D'une façon générale, les exigences en termes de sûreté sont très élevées et visent à répondre à une double
préoccupation. A cet égard, je reprendrai les propos qu'a tenus, lors de son audition devant notre commission, le
représentant du syndicat CGT de l'énergie : il convient, d'une part, de réduire encore les risques d'incidents ou
d'accidents en améliorant la fiabilité des systèmes et matériels, et, d'autre part, de favoriser la sûreté en exploitation, en
facilitant les opérations d'exploitation courante - conduite et entretien - et en rendant encore plus performants les
moyens et les diagnostics en situation « incidentelle » ou accidentelle.
Les salariés m'ont fait connaître des exemples nombreux à Vaires, Vitry, Saint-Laurent, Dampierre.
Ils me font part aussi de leur inquiétude de voir rattachée l'agence de Taverny, qui est une agence de maintenance
nationale, à celle d'Amilly-Montargis, qui, elle, a simplement une compétence de proximité.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai lu un certain nombre de documents avant de vous poser cette question. J'ai ainsi pris
connaissance d'une brochure - qui émane d'ailleurs du secrétariat d'Etat à l'industrie - intitulée L'Energie nucléaire en
110 questions. Au chapitre 6, « Les accidents nucléaires dans le monde », est abordé le problème des trois accidents
graves survenus à Wincale, en Grande-Bretagne, en 1957, à Three Mile Island, aux Etats-Unis, en 1979, et à
Tchernobyl en 1986. Dans les trois cas, nous sommes en présence de problèmes liés au manque d'entretien ou à des
fautes commises.
Dans ce domaine, le hasard n'existe pas. L'accident de Saint-Laurent-des-Eaux, en 1980, quant à lui a pour origine les
détériorations d'une plaque métallique interne du réacteur. Comme vous le voyez, monsieur le secrétaire d'Etat,
défendre le nucléaire, c'est assurer sa sécurité.
Le problème de la fusion thermonucléaire contrôlée est évoqué par les chercheurs comme une possibilité nouvelle pour
l'avenir. C'est très bien, mais, en attendant, ne touchez pas au potentiel humain des 1 100 agents des vingt et une ORI,
qui est, de notre point de vue, le plus sûr garant de la sûreté nucléaire dans notre pays.

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