Question de M. REVOL Henri (Côte-d'Or - RI) publiée le 24/02/2000

M. Henri Revol souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur la problématique de la gamme de lanceurs européens et de l'ouverture de Kourou à d'autres lanceurs qu'Ariane. La politique européenne dans le domaine du transport spatial articule le principe d'autonomie d'accès à l'espace autour de deux éléments : les lanceurs de la famille Ariane et la disponibilité du site de lancement du Centre Spatial guyanais. Or, de nouvelles logiques économiques sont apparues ainsi que de nouveaux besoins en satellites plus légers positionnés sur orbite basse. Dans ces conditions, assurer la viabilité commerciale du lanceur Ariane 5 exploité depuis Kourou pour garantir un accès autonome de l'Europe à l'espace nécessite de prendre en considération cette nouvelle donne alors que ce lanceur est optimisé pour le marché des satellites lourds géostationnaires et qu'il n'est pas possible économiquement de maintenir l'exploitation d'Ariane 4 pour couvrir les autres niches du marché. Par ailleurs cette situation pourrait ne pas être sans conséquence sur l'économie locale guyanaise par rapport à l'époque actuelle où les deux versions d'Ariane sont utilisées. Face à la concurrence américaine, les acteurs européens doivent réfléchir à la constitution d'une gamme de lanceurs complémentaires à Ariane 5, qui seraient lancés de Kourou. Compte tenu du fait que ce problème important doit être rapidement tranché, il lui demande de bien vouloir éclairer le Sénat sur la position du gouvernement français.

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Réponse du ministère : Enseignement scolaire publiée le 08/03/2000

Réponse apportée en séance publique le 07/03/2000

M. Henri Revol. Madame la ministre, l'Europe a su garantir son autonomie d'accès à l'espace et préserver une pleine
souveraineté pour définir sa politique spatiale en s'appuyant sur deux éléments : les lanceurs de la famille Ariane, qui
détiennent actuellement plus de 50 % du marché mondial des services de lancement, et la disposibilité du site de
lancement le mieux situé du monde, le centre spatial guyanais.
Or, les logiques qui sous-tendent cette conjoncture favorable à l'Europe se modifient profondément depuis quelques
années, comme le reflète le processus actuel de regroupement des acteurs industriels autour de quelques pôles tant
en Europe qu'aux Etats-Unis.
En effet, liée jusqu'au milieu des années quatre-vingt à des enjeux de souveraineté, l'histoire du transport spatial a
connu, au cours des quinze dernières années, des modifications spectaculaires qui ont conduit à la période actuelle,
caractérisée à la fois par une grande diversité des besoins du marché et par une surcapacité de l'offre de lanceurs sur
chaque segment de ce marché.
En pratique, on compte trois acteurs principaux : tout d'abord Boeing, avec sa gamme de lanceurs Delta II, Delta III et
Delta IV et, en coopération avec la Russie, Sea Launch, qui utilise une plate-forme maritime ; par ailleurs, Lockheed
Martin, autre américain, qui a créé avec la société russe Krunitchev le consortium ILS proposant les lanceurs
américains Atlas II, Atlas III et Atlas V, dont certains utilisent des moteurs russes, et le lanceur russe Proton ; enfin,
Arianespace, qui s'est imposée sur le marché commercial avec Ariane 4 et, plus récemment, avec Ariane 5 et qui, à
travers Starsem, filiale franco-russe, participe à la commercialisation du lanceur russe Soyouz.
Pour faire face à ce nouvel environnement et à l'évolution du marché, les Etats membres de l'ESA ont décidé d'améliorer
Ariane 5, destinée à remplacer Ariane 4 sur le marché des satellites géostationnaires. Par conséquent, à partir de
2002, l'Europe ne disposera plus que d'un lanceur lourd, capable de mettre dix tonnes en orbite de transfert
géostationnaire, mais relativement inadapté au lancement des satellites héliosynchrones et des charges utiles petites
et moyennes sur des orbites non géostationnaires.
Cette décision signifie aussi que les budgets disponibles vont être désormais durablement affectés à l'amélioration
d'Ariane 5 et ne pourront servir à développer un nouveau lanceur moyen, pourtant indispensable, et ce pour au moins
deux raisons : d'une part, une raison stratégique, si l'on veut que l'Europe et les Etats membres de l'ESA puissent
continuer à développer des programmes, scientifiques ou militaires, dont la masse des satellites est le plus souvent
inférieure aux capacités d'Ariane 5 ; d'autre part, une raison commerciale, car les concurrents d'Arianespace - Boeing et
ILS - offrent aujourd'hui à leurs clients une gamme diversifiée de lanceurs, ce qui les rend particulièrement attractifs.
Il faut noter, par ailleurs, que la demande des opérateurs de satellites se diversifie. Elle s'oriente notamment sur l'orbite
basse, pour les télécommunications et l'observation de la terre. Et nous assistons au lancement de floraisons de
satellites.
Dès lors, la flexibilité demandée concerne non plus seulement les délais de mise en orbite, mais également la capacité
à effectuer différents types de missions, d'où la nécessité de bénéficier d'une gamme de lanceurs.
La solution la plus raisonnable pour conforter le succès du lanceur européen Ariane ne résiderait-elle pas dans
l'agrégation de moyens de lancement déjà existants, autour d'Ariane 5, à Kourou ?
A la veille de la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne de mai 1999, M. le ministre de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie avait évoqué dans la presse la possibilité d'adjoindre, à Kourou, des
lanceurs complémentaires à Ariane 5. L'avantage serait, avec un investissement initial minimal, de réaliser, sur ce site
de lancement tout à fait exceptionnel, une synergie en termes de commercialisation et d'exploitation, renforçant les
avantages de chacune des composantes de la gamme tout en créant un surcroît de compétitivité par une offre globale.
Cette politique d'ouverture aurait également pour avantage de consolider la stabilité économique du département de la
Guyane, ébranlée par l'arrêt d'exploitation d'Ariane 4, et de garantir ainsi plus fortement l'autonomie d'accès à l'espace
pour l'Europe.
Qu'en est-il de cette réflexion qui doit déterminer la stratégie de l'Europe dans un avenir proche ?
Des demandes d'accès à la base de Kourou ont-elles déjà été formulées par des sociétés de transport spatial auprès
du Gouvernement ?
Tels sont, rapidement exposés, les points sur lesquels je souhaiterais, madame la ministre, que vous précisiez la
position du Gouvernement, en indiquant l'éventuel calendrier de son action en ce domaine.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien
vouloir excuser Claude Allègre, qui est actuellement à Lisbonne pour une réunion des ministres européens de la
recherche. Il m'a chargée de vous dire que la France a en effet été saisie au moins à deux reprises pour étudier
l'ouverture du centre spatial guyanais à d'autres lanceurs qu'Ariane. Une première demande en date du 3 septembre
1997 émanait du secrétaire d'Etat allemand et concernait le lanceur Cyclone, projet industriel envisagé à l'époque en
commun entre DASA et l'Ukrainien Yujnoye. Une demande formelle émanant de la société franco-russe Starsem a été,
par ailleurs, adressée au Centre national d'études spatiales, le CNES, en avril 1999.
Dans les deux cas, les demandes ont été instruites au niveau technique sous l'autorité des services du ministre de la
recherche en associant le CNES et les acteurs concernés.
L'importance des enjeux de ce dossier a conduit récemment le Gouvernement à consulter les Etats membres de
l'agence spatiale européenne, partenaires de la France pour l'exploitation du site de lancement de Kourou.
Le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie souhaite rappeler à cette occasion que, dans
le milieu très concurrentiel des services de lancement, ce site spatial bénéficie d'une localisation équatoriale qui le rend
particulièrement compétitif, notamment pour les lancements vers l'orbite de transfert géostationnaire. Le centre spatial
guyanais est placé sous souveraineté française, comme vous le savez.
Une décision pourrait être arrêtée à la fin de ce trimestre, après une concertation interministérielle associant les acteurs
publics et privés.
Les conséquences politiques, juridiques, industrielles, commerciales et de sécurité d'une éventuelle ouverture de
Kourou à des lanceurs autres qu'Ariane sont à prendre en compte dans l'examen du dossier.
Au premier rang des préoccupations de Claude Allègre, chargé de la politique spatiale civile, figure la compétitivité de
l'offre des services de lancement européen, face à une concurrence internationale croissante. Arianespace, opérateur
de service de transport spatial pour l'Europe, doit donc exprimer sa vision du besoin commercial et de la gamme de
lanceurs la mieux à même d'y répondre.
En parallèle, dans le cadre de l'agence spatiale européenne, une stratégie de développement technologique pour
préparer l'avenir de la gamme de lanceurs européens est à l'étude. Du point de vue du gouvernement français, la
solidarité européenne, garante du succès des programmes Ariane, doit absolument être maintenue.
C'est en tenant compte de cette stratégie de gamme des services de lancement et de lanceurs que le gouvernement
français examinera les suites à donner aux demandes d'ouverture de Kourou. Bien évidemment, la représentation
nationale sera associée à cette décision.
M. Henri Revol. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Revol.
M. Henri Revol. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse très intéressante, qui traduit la détermination
du Gouvernement à étudier de manière approfondie cette question qui se pose de manière urgente.
En effet, comme vous l'avez très bien souligné, la concurrence à l'égard d'Ariane - Ariane 4 qui termine sa vie et Ariane
5 - devient féroce. Il suffit de lire les revues spécialisées pour se rendre compte du développement considérable des
consortiums, américains en particulier, que j'évoquais tout à l'heure.
En Europe, nous notons des signes très encourageants puisqu'un regroupement industriel très fort autour du
consortium EADS se met en place : c'est le signe économique. Un signe politique est maintenant nécessaire et urgent,
et votre réponse, madame la ministre, constitue un encouragement très fort dans la mesure où il montre que le
Gouvernement s'y prépare. Si la réunion de l'ESA qui doit se tenir le 20 mars à Kourou pouvait être l'occasion d'une
annonce, ce serait, pour la France et pour l'Europe, une avancée considérable.

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