Question de M. AUTEXIER Jean-Yves (Paris - CRC) publiée le 13/07/2000

M. Jean-Yves Autexier appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie quant à la signature annoncée d'un accord qui mettrait fin à l'obligation de traduction des brevets européens en français. Le 16 octobre prochain, le gouvernement français se propose de signer un accord intergouvernemental mettant fin à l'obligation liée à l'article 65 de la convention de Munich visant à subordonner les effets d'un brevet européen à la fourniture d'une traduction au service de la propriété industrielle. De plus le compromis qui consistait à limiter l'obligation de traduction à la seule partie signifiante de la description du brevet semble avoir été abandonné. Dans ces conditions les déposants pourraient choisir désormais l'une des trois langues officielles : l'allemand, l'anglais ou le français, ce dispositif favorisant immanquablement la langue anglaise. Les entreprises auraient en effet tout intérêt à effectuer leur premier dépôt de brevet en anglais ce qui entraînerait le recours à des spécialistes maîtrisant parfaitement cette langue. Ces brevets en langue anglaise pénaliseront les PME (petites et moyennes entreprises) françaises, qui n'ont pas de service interne dédié à la propriété industrielle maîtrisant l'anglais technique, face aux grandes sociétés. A moyen terme, le tout anglais gagnerait tout le domaine juridique et favoriserait les professionnels anglophones au détriment des francophones. Quelles raisons ont poussé les négociateurs français à adopter une telle position hormis celle du coût de la traduction ? Quelles mesures seront prises pour empêcher un accord si néfaste et pour revenir au compromis basé sur la traduction de la partie signifiante ?

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Réponse du ministère : Industrie publiée le 16/11/2000

Réponse. - Le brevet constitue un outil stratégique pour protéger, consolider et valoriser les innovations des entreprises. Or, comme l'ont noté diverses études, les entreprises européennes sous-utilisent le système de brevets, alors que leurs homologues américaines et japonaises adoptent une attitude plus offensive. En France, seules 25 % des entreprises industrielles ont, dans leur histoire, déposé au moins un brevet. Il est donc essentiel que l'Union européenne poursuive son effort vers une véritable politique de propriété industrielle. Ainsi, la nécessité d'instaurer un brevet communautaire a été reconnue lors du récent Sommet de Lisbonne par les chefs d'Etat et de gouvernements, qui ont appelé à l'adoption rapide d'un règlement sur ce sujet. La France a mis à profit la période de sa présidence de l'Union européenne pour donner une impulsion à ce projet. On peut d'ores et déjà estimer que ce brevet ne sera efficace que s'il évite les difficultés rencontrées lors de la première tentative d'instaurer un brevet communautaire. La convention de Luxembourg révisée par l'Accord en matière de brevets communautaires signé en 1989 n'a pas été ratifiée par certains Etats, ce qui avait conduit à l'abandon du système. Les reproches adressés au projet portaient alors sur le système juridictionnel et sur le coût du brevet, jugé beaucoup trop élevé. La même difficulté affecte déjà le système existant de brevet européen, auquel adhère dix-neuf Etats membres de l'Organisation européenne des brevets (OEB). Sans attendre l'instauration d'un brevet communautaire, il est donc impératif d'améliorer le système existant pour répondre mieux aux besoins des déposants. Tel est le sens de l'initiative française qui a conduit à la tenue de la Conférence intergouvernementale des Etats membres de l'OEB à Paris les 24 et 25 juin 1999. L'objectif poursuivi dans le cadre du processus engagé par la Conférence intergouvernementale sur le brevet européen était double : il s'agissait, d'une part, de réduire les coûts d'obtention des brevets européens et, d'autre part, d'améliorer leur sécurité juridique. En effet, malgré les réductions de taxes mises en uvre par l'OEB, le coût d'obtention du brevet européen reste trop élevé, principalement en raison des coûts liés aux traductions intervenant après la délivrance du titre. Ce surcoût pénalise les entreprises européennes sur leur marché principal, les conduisant à être extrêmement sélectives dans le choix des inventions qu'elles protègent ou des pays dans lesquels elles demandent la protection du brevet. En dissuadant certaines PME et de nombreux chercheurs ou inventeurs indépendants d'y entrer, le système faillit en partie à sa justification économique et sociale. A contrario, les caractéristiques actuelles du brevet européen n'en font pas un obstacle pour les grandes entreprises internationales, notamment américaines et japonaises. Le coût d'obtention de la protection n'est pas un réel problème pour ces entreprises, et leur organisation leur permet de défendre le brevet devant les tribunaux de multiples pays. La Conférence intergouvernementale a donc mandaté un groupe de travail pour faire des propositions visant la réduction de 50 % des coûts liés aux traductions. La France a soutenu initialement un projet d'accord limitant les exigences de traduction à la seule " partie signifiante " du fascicule du brevet, qui contient les revendications. Lors des travaux du groupe, il est apparu que cette proposition promue par la France était combattue par la plupart des Etats. En revanche, s'est dessiné un mouvement en faveur de l'abandon complet des exigences de traduction, pour que le brevet soit disponible en anglais. La France s'est élevée contre cette approche préjudiciable à la langue française, qui aurait de plus constitué un précédent pour la négociation du brevet communautaire. Une proposition de compromis a été trouvée sous la forme d'un accord facultatif pour les Etats. Par cet accord, les Etats signataires ayant une langue en commun avec l'OEB (allemand, anglais, français) renonceraient à exiger des déposants la traduction des brevets européens. Les autres pays signataires de l'accord auraient la faculté de désigner une langue officielle de l'OEB, et de ne pas exiger de traduction dès lors que le brevet serait disponible en cette langue. L'accord prévoit en outre que tout pays peut continuer à exiger la traduction des revendications. Si la France était partie à l'accord, elle ferait naturellement usage de cette faculté. Concrètement, il ne serait plus exigé du déposant la traduction en français de l'intégralité des brevets européens délivrés dans une autre langue que le français, mais uniquement la traduction des revendications, conformément à la convention de 1973 instituant le brevet européen. La délégation française a en outre rappelé aux autres Etats membres de l'OEB que le Gouvernement entend maintenir à disposition des utilisateurs francophones la base de connaissance en français que constitue le corpus des brevets : dans l'hypothèse où ce protocole entrerait en vigueur, il serait demandé à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) de faire procéder à une traduction des brevets européens délivrés qui désignent la France, lorsque la langue de procédure n'est pas le français. La traduction des revendications mais aussi des descriptions serait ainsi intégralement disponibles en français. Par ailleurs, un tel accord ne peut être signé que si sa compatibilité avec la Constitution est claire et s'il assure à la langue française un traitement équitable par rapport aux autres langues officielles de l'OEB. Le Conseil d'Etat, saisi pour avis par le Premier ministre, a estimé que le projet d'accord n'est pas en lui-même contraire à l'article 2 de la Constitution, qui stipule que la langue de la République est le français. Pour les déposants français - entreprises, chercheurs, parfois simples particuliers -, ce projet d'accord limiterait considérablement le coût et la complexité d'un outil indispensable. Vis-à-vis de la langue française, il affirmerait la prééminence des trois langues de l'OEB, dont le français fait partie, avec l'anglais et l'allemand. Ce projet d'accord suscite cependant depuis plusieurs mois des interrogations et de réelles inquiétudes en France, notamment de la part des parlementaires et des professionnels de la propriété industrielle. Le Gouvernement est conscient des préoccupations ainsi soulevées et entend donc ne signer l'accord que si l'intérêt général en est parfaitement établi et s'il suscite une large adhésion permettant d'envisager sereinement sa ratification. Lors de la seconde Conférence intergouvernementale, qui s'est tenue les 16 et 17 octobre 2000 à Londres, le Gouvernement a donc annoncé que la France ne pouvait à ce jour envisager la signature de l'accord proposé. Il a ainsi rappelé que son objectif était de parvenir à une réduction notable des coûts d'obtention des brevets tout en préservant la place de la langue française dans le système européen des brevets. Lors de la Conférence intergouvernementale de Londres des 16 et 17 octobre 2000, huit Etats ont signé l'accord (Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Monaco, Liechtenstein), et cinq ont annoncé qu'ils ne signeront pas l'accord (Portugal, Grèce, Italie, Espagne, Finlande). Deux autres Etats, la Belgique et le Luxembourg, ont annoncé leur intention de se joindre aux premiers signataires. Les autres Etats membres (Chypre, Irlande, Autriche) réservent leur position, mais n'excluent pas de signer ultérieurement. Pour sa part, le Gouvernement français a décidé de poursuivre les consultations, en sollicitant toutes les parties intéressées : parlementaires et élus, entreprises et chercheurs, avocats, conseils en propriété industrielle, académies, etc. Le Gouvernement s'appuiera sur cette concertation pour arrêter sa position à l'égard de l'accord, au plus tard le 30 juin 2001.

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