Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC) publiée le 26/02/2003

Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche sur le fait que l'aide sociale attribuée aux étudiants parisiens et franciliens manque de moyens. Des milliers d'étudiants qui en auraient pourtant cruellement besoin ne peuvent bénéficier de chambres en résidence universitaire ni de bourses ni d'aides sociales appropriées. Les quarante-quatre résidences d'Ile-de-France offrent à peine 20 000 places alors qu'on dénombre un demi-million d'étudiants ! La mairie de Paris a programmé la construction de 3 000 logements, mais le retard pris depuis vingt ans sera long à combler. Pour atteindre l'objectif, déjà bien modeste, de loger un étudiant sur cinq que l'Etat s'était fixé dans les années soixante-dix, il doit redevenir bâtisseur de logements universitaires. Quant à l'aide sociale, il est à constater que c'est souvent le prix des loyers qui oblige aujourd'hui 40 % des étudiants à se salarier, soit sur une période de l'année soit durant toute l'année universitaire. Les estimations d'étudiants vivant en dessous du seuil de pauvreté (450 euros par mois) vont jusqu'à 100 000. Certains vivent dans une très grande précarité. Nombre d'organisations représentatives des étudiants revendiquent la création d'une allocation d'autonomie pour les jeunes en formation ou en insertion. Fin 2001, à la suite d'une proposition de loi émanant des parlementaires communistes, une commission nationale fut créée pour étudier sa mise en place effective. A quel moment le Gouvernement compte-t-il rouvrir ce dossier ? Par ailleurs, quelle politique le Gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre pour remédier au manque de moyens criant de l'aide sociale étudiante à Paris et en Ile-de-France ?

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Réponse du Ministère délégué à l'enseignement scolaire publiée le 09/04/2003

Réponse apportée en séance publique le 08/04/2003

Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, vous connaissez le constat : alors que les enfants d'ouvriers constituent plus d'un tiers des jeunes âgés de 17 à 19 ans, ils représentent seulement un septième des effectifs universitaires. Etre étudiant relève, hélas ! encore de l'aubaine pour cette catégorie sociale.

En outre, l'ascenseur social de l'université s'arrête souvent au premier étage, c'est-à-dire au premier cycle universitaire, et continue rarement en deuxième, voire en troisième cycle. On estime à près de 100 000 le nombre d'étudiants qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ; plus des trois quarts des étudiants exercent une activité rémunérée ; 34 % travaillent à la fois l'été et en cours d'année.

Pourtant, l'exercice d'une activité régulière augmente les risques d'abandon en cours de scolarité et constitue l'une des premières causes d'échec, notamment en premier cycle universitaire.

A cette reproduction des inégalités sociales s'ajoute, à Paris et en Ile-de-France, un bilan désastreux en matière de logements : des milliers d'étudiants qui en auraient pourtant besoin ne peuvent bénéficier de chambres en résidences universitaires, de bourses ou d'aides sociales appropriées.

Les quarante-quatre résidences universitaires d'Ile-de-France offrent à peine 20 000 places alors qu'on dénombre un demi-million d'étudiants !

La mairie de Paris a programmé la construction de 3 000 logements - ce n'est pas rien -, mais le retard pris depuis des dizaines d'années sera long à combler. Pour atteindre l'objectif, déjà bien modeste, de loger un étudiant sur cinq qu'il s'était fixé dans les années soixante-dix, soit il y a trente ans, l'Etat doit de nouveau construire des logements universitaires.

J'en viens à l'aide sociale : c'est souvent le prix des loyers qui oblige aujourd'hui 40 % des étudiants à se salarier, l'été comme en cours d'année. C'est pourquoi nombre d'organisations resprésentatives des étudiants revendiquent la création d'une allocation d'autonomie pour les jeunes en formation ou en insertion. Fin 2001, à la suite d'une proposition de loi émanant des parlementaires communistes, une commission nationale fut créée pour étudier sa mise en place effective. A quel moment le Gouvernement compte-t-il rouvrir ce dossier ?

Par ailleurs, quelle politique le Gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre pour remédier au manque de moyens criant de l'aide sociale étudiante à Paris et en Ile-de-France ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Madame la sénatrice, la politique menée en faveur du logement s'articule, comme vous le savez, autour de trois axes : offrir aux étudiants des logements à prix modéré, créer de nouveaux logements et remettre à niveau le patrimoine. Tous ceux qui ont à s'occuper des problèmes de logements étudiants connaissent ces trois orientations.

Les crédits consacrés à l'aide au fonctionnement des cités universitaires, qui s'élevaient à 29,51 millions d'euros en 2002, devraient permettre de maintenir le montant de la redevance mensuelle payée par l'étudiant. Ce dernier bénéficie, en outre, de l'allocation logement à caractère social, la fameuse ALS, et le montant de la redevance mensuelle est donc, au total, très faible.

S'agissant de l'Ile-de-France, madame Borvo - vous êtes en effet sénatrice de Paris -, les besoins en matière de construction sont évalués sur vingt ans à environ 15 000 logements. Cette estimation sera modulable selon l'évolution démographique et selon les tensions propres au marché du logement étudiant. Un tiers de ces 15 000 logements devrait présenter un caractère très social, au sens où l'entend la loi. Par ailleurs, dans le cadre d'une action concertée entre l'Etat, la région et la Ville de Paris, un objectif de réalisation, dans les cinq ans, de 3 000 logements étudiants supplémentaires a été fixé.

Ces engagements - vous le savez sans doute - ont été formalisés dans le cadre du contrat de plan Etat-région et d'une convention entre l'Etat et la Ville de Paris. Une charte entre la Ville de Paris et le CROUS, ou centre régional des oeuvres universitaires et scolaires, rappelle cet objectif et précise que la majeure partie de ces logements sera confiée en gestion au CROUS.

Plus généralement - et je réponds ainsi à votre souci en matière de réhabilitation -, le principe retenu est celui du maintien des capacités d'accueil avec une mise en sécurité des installations, une amélioration sensible du confort des chambres et locaux collectifs. Des moyens nouveaux ont été inscrits dans la loi de finances pour 2003 afin d'accélérer la réalisation des réhabilitations. Ce plan de réhabilitations permettra de passer nationalement de 2 200 réhabilitations à environ 7 000 réhabilitations en moyenne sur les prochains exercices et regroupera des moyens aujourd'hui dispersés - je pense aux contrats de plan Etat-région, aux fonds de contractualisation des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires, etc. - ou inutilisés - je pense en particulier aux réserves du CROUS, qui ne sont pas négligeables -, afin de mobiliser ces moyens autour d'un apport complémentaire de l'Etat.

Je vous rappelle que le budget du ministère de l'éducation nationale pour l'ensemble des bourses de l'enseignement supérieur s'est élevé à près de 1,3 milliard d'euros en 2003, soit 26 % de plus qu'en 1997.

Par ailleurs, dans le cadre de cette politique de grande ampleur, a notamment été créée une allocation d'étude contingentée destinée à répondre à certaines situations objectives d'autonomie.

S'agissant de la « précarité », pour utiliser le terme qui a été le vôtre, madame la sénatrice, il est difficile d'apprécier de manière satisfaisante le nombre d'étudiants en situation de grande précarité.

L'approche la plus scientifique dont nous disposons est celle du rapport Grignon publié en 2000 sur les résultats de l'enquête réalisée par l'Observatoire de la vie étudiante entre 1994 et 1997.

Cette approche estimait à près de 23 000 le nombre d'étudiants en situation de précarité structurelle - en particulier à partir d'une analyse de leur endettement - pour une population de deux millions d'étudiants, et à environ 110 000 le nombre d'étudiants contraints d'occuper un emploi salarié à mi-temps au moins six mois par an et dont l'activité non intégrée à leurs études risque de nuire au bon déroulement de ces dernières. Ces chiffres sont certes importants, mais ils restent tout de même à la marge par rapport au nombre total d'étudiants.

Il n'est pas envisagé dans l'immédiat de modifier le dispositif actuel qui nous semble avoir permis d'améliorer incontestablement la situation matérielle des étudiants, en particulier de ceux qui disposent de moyens insuffisants pour entreprendre des études dans l'enseignement supérieur.

Telle est, madame la sénatrice, la réponse que m'a demandé de vous transmettre M. Luc Ferry.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je constate certaines divergences entre nous quant au nombre des étudiants les plus pauvres.

J'ai indiqué au début de mon intervention que les inégalités sociales continuaient d'être reproduites. C'est là ma préoccupation essentielle. Les échecs en premier cycle sont bien sûr dus le plus souvent à la difficulté des étudiants des milieux les plus modestes à poursuivre leurs études. C'est ce constat qui doit nous guider.

Concernant le logement, je vous remercie des éléments que vous avez rappelés. Je souhaite vous faire observer qu'on recense à Paris une chambre pour 150 étudiants contre une chambre pour 17 étudiants en province. Je me garderai bien d'opposer la province à Paris, mais chacun sait qu'il existe une situation très particulière à Paris compte tenu de la spéculation immobilière.

Les étudiants parisiens vivent durement cette crise du logement. Certains, bien entendu, sont logés chez leurs parents, mais il ne faut pas exagérer l'incidence de cette situation.

Ensuite, la politique du CROUS pose d'une manière générale quelques problèmes : en effet, les chambres dites « à bas loyer » sont abandonnées alors même que les besoins sont énormes.

La construction de studios visant à répondre aux critères du confort moderne, élément bien évidemment positif, s'accompagne cependant pour les étudiants d'une hausse sensible des loyers. De surcroît, comme les montages financiers pour les programmes de construction ont été élaborés en lien avec des organismes de logements sociaux et que les CROUS ne sont pas tout de suite propriétaires, les aides au logement qu'offrent ces studios ne prennent pas en compte les charges qui sont très élevées.

Par ailleurs, les CROUS doivent de plus en plus compter sur leurs ressources propres. Certes, ils ont des réserves, mais, en réalité, ils font face à leurs dépenses en augmentant les prix qu'ont à payer les étudiants. On constate, par exemple, une hausse continue du prix des tickets de restaurant universitaire.

Je renouvelle donc mon souhait de voir l'Etat remettre sur le chantier la question de l'aide sociale, reconnue comme l'un des facteurs déterminants de réussite pour une population qui, certes, s'est accrue, mais qui continue de souffrir d'une forme de ségrégation.

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