Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 26/02/2003

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la situation de l'Imprimerie nationale (IN). Plusieurs éléments convergents récents suscitent de grandes inquiétudes pour la pérennité de cette société nationale, pôle d'excellence au service de la nation depuis 350 ans et deuxième acteur en France de la filière graphique. Le choix injustifiable de France Télécom, société où l'Etat est majoritaire, de confier à des entreprises étrangères l'impression des annuaires téléphoniques pourrait amputer le chiffre d'affaires de l'IN de 30 % d'ici 2005. Par ailleurs, elle a appris que les usines d'Evry (Bondoufle) et de Strasbourg (ISTRA) seraient en voie d'être regroupées dans le cadre d'un centre de profit unique en vue d'une filialisation et d'une cession. Déjà les murs de l'usine de Bondoufle ont été vendus. Enfin, concernant le siège et l'usine historiques de Paris où travaillent plus de 800 salariés, elle lui indique que plusieurs activités industrielles, pourtant très performantes, ont été abandonnées. Le projet, un moment avancé, de délocalisation à Choisy-le-Roi est désormais caduc. Elle se demande s'il n'aurait pas servi à masquer la suppression pure et simple des activités de l'usine de Paris, dont les locaux, situés rue de la Convention dans le 15e arrondissement, excitent l'avidité des sociétés de promotion immobilière. La direction de l'IN aurait déjà confié à deux d'entre elles, la SARI et la banque néerlandaise ING, l'étude de valorisation du site. Sur tous ces sujets, elle lui demande de lui préciser la situation exacte. Elle lui demande également comment a été utilisé le produit de la vente en 1999 de l'" annexe Ménard " de l'usine de Paris. Les salariés et leurs organisations syndicales dénoncent cette stratégie de déclin qui met les comptes de l'IN dans le rouge et menace directement plusieurs centaines d'emplois. Ils redoutent à juste titre un véritable démantèlement de l'IN conduisant à sa privatisation par compartiments. L'inquiétude monte aussi pour le patrimoine culturel de l'imprimerie traditionnelle dont l'IN est le conservatoire. Elle lui rappelle qu'elle l'a interrogé sur l'IN sans obtenir de réponse de sa part lorsqu'il a été auditionné par la commission des finances du Sénat le 13 novembre 2002 sur l'Etat actionnaire. Elle lui fait également remarquer que le rapport 2002 du haut conseil du service public sur l'Etat actionnaire ne comporte aucune étude sur l'IN. Aussi lui demande-t-il de lui indiquer quelles sont les véritables intentions du Gouvernement pour l'avenir de ce fleuron de l'industrie nationale qu'est l'IN. Elle lui demande quelles mesures il compte prendre pour développer les activités de cet atout national, dans une logique de service public et d'intérêt général, ce qui passe par le maintien du siège et de l'usine de Paris, ville où, lui fait-elle remarquer, le chômage a crû de 19 % en 2002.

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Réponse du Ministère délégué au commerce extérieur publiée le 26/03/2003

Réponse apportée en séance publique le 25/03/2003

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, auteur de la question n° 188, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plus de trois cent cinquante ans, l'Imprimerie nationale constitue un pôle d'excellence au service de la nation.

Conservatoire unique au monde de l'imprimerie traditionnelle, l'Imprimerie nationale est surtout une entreprise nationale moderne et performante, deuxième acteur de la filière graphique du pays, disposant de la maîtrise des technologies les plus modernes et d'un personnel hautement qualifié.

Pourtant, aujourd'hui, des craintes sérieuses s'élèvent sur sa pérennité. Un plan social concernant trois cents salariés serait en préparation. Mais, si l'avenir de l'Imprimerie nationale apparaît aujourd'hui hypothéqué, c'est avant tout à cause des choix de gestion de sa direction et de l'Etat, qui ne datent pas, certes, de l'arrivée de votre gouvernement, mais que vous aggravez.

La perspective d'un démantèlement et d'une privatisation par compartiments se dessine.

Ainsi, France Télécom a annoncé, à l'automne, qu'il retirerait la plus grande partie du marché de l'annuaire à l'Imprimerie nationale pour la confier à des entreprises étrangères espagnole et américaine, dont le groupe Donneley. Cette décision de France Télécom, qui amputerait le chiffre d'affaires de l'Imprimerie nationale de 30 % d'ici à 2005, est, selon moi, injustifiable et irresponsable. Que je sache, l'Etat demeure l'actionnaire majoritaire de France Télécom, qui siège d'ailleurs au conseil d'administration de l'Imprimerie nationale.

Cette logique de déclin se retrouve dans les choix des ministères - y compris le vôtre, sa tutelle - et des administrations : il s'agit de livrer toujours plus leurs commandes d'impression au secteur marchand aux dépens de l'Imprimerie nationale. C'est même le cas pour les sujets d'examen, qui nécessitent pourtant son savoir-faire en matière de confidentialité.

Ce sont ces coupes dans le carnet de commandes, en plus des pratiques de mauvais payeur de l'Etat - est-il vrai que les ministères doivent plus de 50 millions d'euros à l'Imprimerie nationale ? - qui sont à l'origine des déficits au nom desquels la direction prétexte les « restructurations » programmées.

L'usine de Douai serait frappée de plein fouet par le départ de l'impression de l'annuaire. A court terme, 100 emplois seraient menacés, comme l'a dénoncé mon collègue député du Nord, M. Georges Hage.

Quant à l'usine de Bondoufles, près d'Evry, dans l'Essonne, la direction a décidé de la regrouper avec la filiale ISTRA, située à Strasbourg, dans un centre de profit unique, qui préfigure, de l'avis de tous les analystes, une filialisation de l'ensemble en vue de sa privatisation. D'ores et déjà, les murs de l'usine ont été vendus !

A ce sujet, je m'interroge sur la gestion du patrimoine de l'Imprimerie nationale. A quoi ont été utilisés les produits de cette vente et de celle de l'annexe de l'usine de Paris ? A combler des dettes fabriquées ?

J'ai également cette crainte à propos des projets concernant l'usine et le siège historiques de Paris. La direction a programmé la vente et la fermeture du site. N'est-il pas exact qu'elle a confié à la banque privée néerlandaise ING et à la filiale de Bouygues SARI l'étude de la valorisation des terrains situés dans une zone de très forte spéculation immobilière ?

La direction justifie bien cette opération par le besoin de liquidités, mais aussi par l'inadaptation des locaux, qui seraient « surdimensionnés », argument qui, encore plus après la fermeture de l'annexe Ménard, reflète bien une stratégie de déclin. Je me souviens que c'était au contraire le manque de surface pour de nouvelles machines qui avait servi de prétexte à une précédente tentative de délocalisation.

La direction affirme étudier deux pistes pour l'avenir des activités industrielles de Paris : soit leur répartition entre Bondoufles et Douai, soit une délocalisation, d'abord évoquée à Bobigny, maintenant à l'étude à Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne, où, en l'état du projet, et après plusieurs rumeurs et informations contradictoires, se retrouveraient une partie des activités industrielles, deux cents emplois ouvriers et un musée de l'imprimerie traditionnelle.

Pour le moment, on assiste, en fait, au démantèlement du site de Paris, dont on peut redouter qu'il ne soit le prélude au démantèlement de l'ensemble du groupe.

Sur plus de 800 salariés, 200 des 500 ouvriers seraient concernés par un plan social, et ce qui est déjà certain, c'est que les départs en retraite ne sont plus remplacés, que des services ont été fermés ou devraient l'être, comme celui qui est chargé de l'impression des enveloppes, désormais sous-traitée au privé.

Je vous demande donc, monsieur le ministre, de nous préciser les intentions du Gouvernement, notamment le calendrier qu'il envisage.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Madame la sénatrice, vous avez attiré l'attention du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les préoccupations que vous inspire la situation de l'Imprimerie nationale.

La loi n° 93-1419 du 31 décembre 1993 institue, au profit de l'Imprimerie nationale, un monopole légal pour l'impression des documents de sécurité, notamment des titres de sécurité. Ce monopole ne représente néanmoins qu'une faible part des activités de l'Imprimerie nationale, qui réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires dans des domaines ouverts à la concurrence et donc soumis au droit commun.

Or le secteur des industries graphiques est un secteur fortement concurrentiel qui nécessite une adaptation constante des entreprises si elles veulent maintenir leur compétitivité vis-à-vis de leurs concurrents nationaux ou étrangers. C'est dans ce contexte difficile, et pour faire face à la réduction progressive de la charge industrielle liée à la perte du marché de l'annuaire à l'horizon 2005, que l'Imprimerie nationale mène une réflexion, en concertation avec ses salariés, sur l'évolution de ses métiers et de son organisation commerciale et industrielle.

Le constat a été fait de l'inadéquation du site de Paris, qui réunit le siège de la société et un centre de production, aux besoins de l'Imprimerie nationale. Ce site constitue un élément du patrimoine de la société à même de fournir des moyens supplémentaires pour son développement, dont vous vous souciez à juste titre. Le redéploiement des activités industrielles du site ne signifie nullement leur arrêt, mais s'inscrit dans la nécessaire optimisation de l'organisation de la société. Le projet de délocalisation à Choisy-le-Roi constitue à ce jour l'une des options à l'étude.

Je tiens à cet égard à vous assurer que, soucieux de la préservation du patrimoine typographique dont l'Imprimerie nationale est le dépositaire, j'ai donné l'instruction aux services compétents de mettre en oeuvre les moyens adéquats pour assurer leur conservation. D'ores et déjà, un plan de formation est à l'étude, avec l'aide du ministère de la culture, pour transmettre le savoir-faire des ouvriers typographes.

Par ailleurs, il paraît aujourd'hui indispensable que certains des métiers de la société soient en mesure de nouer des partenariats.

L'Etat, pour sa part, reste soucieux de l'avenir de la société mais il est confiant dans sa capacité à mener son redressement.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. J'observe, monsieur le ministre, que vos réponses sont limitées, imprécises, et même, sous certains aspects, dangereuses.

Mes interrogations et celles du personnel demeurent. Tous ceux qui sont attachés à l'Imprimerie nationale en tant que patrimoine culturel considèrent que les équipements doivent être modernisés, et l'institution réhabilitée.

En ce qui concerne les travaux qui ont pu être retirés à l'Imprimerie nationale, trouvez-vous normal que les salariés de l'Imprimerie nationale paient les conséquences de la gestion désastreuse de France Télécom depuis l'ouverture de son capital ? Le coût pour le pays, et même pour France Télécom, de ce transfert ne sera nullement compensé, bien loin de là, par les petites économies qui lui servent de prétexte, à moins que derrière cette décision ne se profile la volonté de privatiser à brève échéance les « pages jaunes ». Sur ce sujet, monsieur le ministre, je vous informe que des retraités aident bénévolement à la présentation d'une partie de l'impression traditionnelle.

Le Gouvernement devrait agir pour rendre à l'Imprimerie nationale ses « marchés publics naturels », y compris l'annuaire. C'est d'ailleurs ce que proposent les organisations syndicales afin de développer des activités correspondant aux besoins du pays et devant échapper à la loi du marché. Je pense, par exemple, à l'impression des livres scolaires.

Pour conclure, je souhaite vous redire ce matin que la disparition pure et simple de l'entité centrale de l'Imprimerie nationale associant l'usine, le siège et l'après-presse scellerait, de mon point de vue, le démantèlement de l'ensemble du groupe Imprimerie nationale.

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