Question de Mme LUC Hélène (Val-de-Marne - CRC) publiée le 26/02/2003

Mme Hélène Luc tient à attirer l'attention de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche sur le devenir du Centre national de documentation pédagogique (CNDP). Editeur de l'éducation nationale, le CNDP, fort de son réseau très largement déconcentré, offre une synergie de compétences dans les domaines de l'écrit, de l'audiovisuel et du multimédia. A cet effet, la présence de la tête de réseau en Ile-de-France est la garantie d'une organisation efficace et qui a fait ses preuves. C'est pourquoi envisager dans la précipitation et sans études préalables une délocalisation à Chasseneuil-du-Poitou, qui immanquablement entraînerait la perte de nombreuses compétences utiles, apparaît totalement contre-productif. Elle lui demande donc de suspendre toute décision de transfert et d'engager la concertation immédiate et indispensable sur le devenir du CNDP avec toutes les parties concernées intervenant dans l'accomplissement des missions du CNDP.

- page 603


Réponse du Ministère délégué à l'enseignement scolaire publiée le 26/03/2003

Réponse apportée en séance publique le 25/03/2003

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 189, adressée à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Mme Hélène Luc. Le 5 décembre 2002, le ministre de l'éducation nationale annonçait la délocalisation du Centre national de documentation pédagogique, le CNDP, à Chasseneuil-du-Poitou, près du Futuroscope.

Cette décision est des plus préoccupantes, car elle intervient dans la précipitation, sans étude préalable approfondie et sans qu'ait été engagée une véritable concertation sur ses conséquences prévisibles sur le plan fonctionnel, sur le plan social ou sur le plan financier.

En effet, le regroupement des neuf sites du CNDP en région parisienne est justifié en ce qu'il les place au plus près des centres de décision de l'éducation nationale et leur permet d'interagir au mieux avec eux.

La mise en place d'un large réseau déconcentré de 128 centres régionaux, départementaux et locaux ont fait du CNDP une véritable structure de proximité, au contact constant de tous les acteurs de ce secteur : élèves, étudiants, parents, chefs d'établissement, documentalistes, conseillers d'orientation, psychologues.

Cet équilibre entre les échelons national, régional et local se trouverait gravement atteint si la délocalisation devenait effective.

J'ajoute que le CNDP a d'autres partenaires publics, tels l'INA, ou l'Institut national de l'audiovisuel, la Ligue de l'enseignement, le ministère de l'éducation nationale - cela va de soi -, France 5, France 3, le ministère de la culture et la Cité des sciences et de l'industrie.

Le CNDP a été fondé en 1879. Depuis Jules Ferry et Ferdinand Buisson, cet établissement est au service des politiques éducatives nationales. Il ouvre l'école sur la vie, il fait le lien entre les savoirs les plus complexes et les élèves les plus défavorisés en utilisant les supports les plus modernes de transmission de la connaissance, et ce tout en préservant son indépendance par rapport aux logiques marchandes.

Comment peut-on laisser croire aux personnels, qui sont attachés à leur mission, que, délocalisé, cet établissement serait plus fort ?

Ces personnels, je les connais depuis bien longtemps pour avoir beaucoup travaillé avec eux en tant que vice-présidente du conseil général du Val-de-Marne et en tant que sénatrice.

Cette délocalisation serait grave parce que c'est le service public qui se trouverait écartelé, parce que la garantie de la qualité et de l'objectivité des services rendus par les personnels - qui n'iraient pas tous en Poitou-Charentes - ne serait plus assurée, ce qui provoquerait une perte de cohérence de l'ensemble de leurs productions, qui sont si appréciées.

Les productions les plus rentables financièrement seraient choisies et elles ne couvriraient plus tout le champ du service public.

Il est évident que la région Poitou-Charentes a grand besoin de services publics de proximité - ce n'est pas moi qui le nierais - à côté du Futuroscope et du CNED. C'est d'ailleurs ce que nous affirmons, avec mes amis Paul Fronteil et Nicole Borvo. Mais ce n'est pas en cassant ce qui existe à Paris que vous renforcerez les services rendus aux enseignants et aux élèves.

Plus que jamais, avec la somme de connaissances qui s'accroît chaque jour, avec le développement de l'informatique, avec des élèves qui changent, le CNDP est indispensable.

Vous avez pris des mesures que vous avez imposées autoritairement, de manière bureaucratique. Une telle attitude s'accorde mal avec le désir de décentralisation qu'affiche le Premier ministre.

De plus, le CNDP est devenu, avec le réseau SCEREN - services culture éditions ressources pour l'éducation nationale -, un des plus importants éditeurs de ce secteur.

Sur le plan social, la délocalisation entraînerait plus de 150 pertes d'emplois. Aujourd'hui déjà, les postes budgétaires sont en baisse alors que l'activité du CNDP est en constante augmentation. Au final, Chasseneuil-du-Poitou accueillerait un CNDP affaibli par un plan de restructuration néfaste. Sur 540 personnes, seules 256 sont titulaires. Le seul objectif, c'est de faire des économies !

Monsieur le ministre, je pense aux familles qui seront touchées par cette décision et aux conséquences que cela entraînera : éloignement, éclatement de la cellule familiale, difficultés pour trouver un logement, un travail, pour reconstruire une vie nouvelle.

Je sais à quel point la stabilité familiale est importante tant pour les parents que pour les enfants. Aussi, je m'étonne de la justification avancée par le Gouvernement, pour qui la délocalisation devrait être envisagée de manière positive par les personnels au motif que cette région assure « la bonne santé et la tonicité », selon les termes mêmes de M. le Premier ministre. Voilà une formule bien légère pour un problème réel, une formule qui est loin de satisfaire et de convaincre les personnes qui seront directement touchées par vos mesures.

C'est d'ailleurs pour cette raison que les personnels sont soutenus par un si grand nombre d'élus de différentes obédiences politiques.

Enfin, sur le plan financier, la présence du CNDP en Ile-de-France représente un coût moins important que les millions d'euros nécessaires à l'achat d'un parc immobilier à Chasseneuil-du-Poitou.

Je déplore que vous envisagiez, monsieur le ministre, une opération d'une telle ampleur, alors même que 4 millions d'euros ont été supprimés ou gelés sur le budget de l'éducation nationale.

Pourquoi ne pas utiliser les crédits pour renforcer le centre régional de documentation pédagogique, ou CRDP, de Poitou-Charentes ? Avez-vous réfléchi à l'expérience du départ de l'ENA pour Strasbourg, qui coûte plus cher que prévu puisqu'il a fallu réinstaller une antenne à Paris ?

Compte tenu de toutes ces considérations, il est urgent, monsieur le ministre, d'engager une véritable concertation et d'être à l'écoute de toutes les parties concernées par le devenir du CNDP.

Je vous demande donc d'organiser une table ronde, de suspendre cette décision suicidaire de délocalisation. L'avenir des missions pédagogiques essentielles au bon fonctionnement de l'éducation nationale et celui des salariés de cet établissement en dépendent.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Madame la sénatrice, la question que vous soulevez n'est pas nouvelle et nous en avons déjà souvent parlé.

Je voudrais revenir, en sachant raison garder, sur cette affaire que vous décrivez, à tort, de manière apocalyptique.

D'abord, il est inexact de dire que cette décision est d'une totale brutalité et qu'elle n'a été précédée par rien, puisque, bien au contraire, comme vous le savez, délocaliser le CNDP, c'est s'inscrire dans une chaîne de décisions, prises par des gouvernements précédents,...

Mme Hélène Luc. Décisions qui n'ont jamais été appliquées.

M. Xavier Darcos, ministre délégué. ... décisions qui ont permis d'installer près du Futuroscope la direction générale du Centre national d'enseignement à distance qui, bien que délocalisé, continue à rendre les services publics que l'on sait - cette décision fut prise par Mme Edith Cresson - ainsi que l'Ecole de formation des cadres de l'éducation nationale - cette opération a été réalisée sous le gouvernement Balladur, et j'étais alors directeur de cabinet du ministre chargé de cette question -, avant de créer sur le site, dans le cadre du contrat de plan signé par le gouvernement de Lionel Jospin, un pôle national des industries de la connaissance. Je précise que cette décision avait été en quelque sorte préparée par le plan Universités 2000 de Lionel Jospin.

Prétendre qu'il s'agit là d'une nouvelle stupéfiante est donc sans doute excessif.

Je considère, tout à l'inverse de vous, que, pour le service public - je parlerai ensuite des personnels pour qui la situation est plus délicate, je le reconnais -, la délocalisation est une chance.

C'est une chance pour l'établissement concerné : c'est une manière de le redynamiser, de coordonner ses actions, de mettre en cohérence sur un même site, dans les mêmes lieux, des établissements qui sont aujourd'hui dispersés et de les implanter dans un lieu unique.

C'est une chance aussi parce que l'implantation actuelle du CNDP est plutôt baroque et inadaptée. Le CNDP est installé dans une dizaine de bâtiments, et, si nous sommes propriétaires de certains, d'autres sont loués. Bref, tout cela n'est pas très cohérent.

Si le service est écartelé, comme vous sembliez le dire tout à l'heure, c'est bien actuellement. Sur le site du Futuroscope, au contraire, le CNDP disposera d'un bâtiment unique et neuf que nous allons acheter 10 millions d'euros, ce qui nous reviendra beaucoup moins cher qu'aujourd'hui.

Pour ce qui est de votre inquiétude à l'égard des personnels, je la comprends et ne veux pas la sous-estimer. Je comprends en effet que des personnes ayant pris des habitudes de vie à Paris soient embarrassés à l'idée de quitter cette ville pour aller s'installer dans le Poitou, même si, étant moi-même du Sud-Ouest, je confirme que c'est un endroit où l'on peut vivre très agréablement.

Je souhaite donc que les personnels ne soient affectés au CNDP qu'après une concertation, et qu'il n'y ait pas de décision brutale. Et si vous voulez que nous organisions une table ronde pour parler de ces questions avec eux, nous le ferons évidemment. Nous le devons à nos fonctionnaires, qui n'ont pas démérité.

La délocalisation du CNDP n'est pas une mesure d'ostracisme ou une punition que nous infligerions à des fonctionnaires ou à un organisme. Nous sommes contents du travail accompli.

Le service public continuera, l'édition continuera, le travail continuera. Simplement, cela se fera dans des conditions nouvelles.

Je le répète, je suis convaincu qu'en agissant ainsi, nous faisons de la bonne gestion, nous nous inscrivons dans une ligne politique qui nous paraît logique.

Nous permettrons au CNDP de continuer son action, qui est efficace et conforme au service public que nous attendons de lui. Bien entendu, nous ferons en sorte que les personnels puissent vivre cette transition dans les meilleures conditions possible.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Je persiste à dire, monsieur le ministre, que l'annonce - pour le moment, il s'agit non pas d'une décision définitive, mais d'une annonce - faite en décembre 2002 a un caractère brusque, d'autant qu'il s'agit là de la troisième tentative et qu'il faut réfléchir aux causes des deux précédents échecs.

Je vous remercie par ailleurs d'organiser cette table ronde.

Je vous en remercie d'autant plus volontiers que je me souviens de la tentative de délocalisation de l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort.

M. Xavier Darcos, ministre délégué. Ce n'était pas la même chose !

Mme Hélène Luc. Au début, le ministre concerné ne comprenait pas notre point de vue. Puis, après les discussions, il s'est rendu compte - ce n'était pas évident au départ - de l'intérêt qu'il y avait à maintenir cette école dans la région parisienne. Je vois des ressemblances entre ces deux situations.

Monsieur le ministre, je suppose que vous ne pouvez pas rester insensible à mes arguments. Je les défends avec conviction, car ils sont de qualité et conformes aux intérêts des maîtres et des élèves.

Si vous ne les entendiez pas, vous persisteriez dans votre politique non pas de décentralisation, mais de délocalisation, de démantèlement de l'éducation nationale.

En effet, je vous l'ai dit et je le redis, il est clair qu'à côté de ce Futuroscope et du CNED, il faut un CRDP très fort auquel il faut donner plus de moyens.

Les collèges, je les connais bien puisque je suis membre du conseil d'administration de l'un d'entre eux. Je sais que l'outil documentaire est très utilisé et doit se développer, et qu'il ne faut donc pas remettre en cause l'existence du CNDP.

J'espère que les 540 employés de cet organisme ne feront pas partie des 130 000 membres du personnel de l'éducation nationale dont vous voulez décentraliser les postes pour les mettre à la disposition des régions, des départements et des communes. J'ai manifesté avec eux les 27 février et 18 mars : ils ont conscience du fait que ce transfert casserait le service public de l'éducation nationale.

Je vous demande vraiment de ne pas participer à la démolition de cet établissement qui existe depuis si longtemps et qui joue un très grand rôle dans notre éducation nationale.

- page 2038

Page mise à jour le