Question de M. RENAR Ivan (Nord - CRC) publiée le 26/03/2003

M. Ivan Renar attire l'attention de Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies sur la situation inquiétante de la recherche française. En effet, les restrictions budgétaires et gels de crédits décidés par le Gouvernement risquent de se traduire par une réduction de 30 % des moyens des laboratoires. Cette récession, que la recherche publique française n'a encore jamais connue, ne peut qu'aggraver une situation déjà préoccupante, caractérisée par une crise des vocations, un recul net des dépôts de brevets, de l'indice d'impact des publications, une pénurie importante de postes de chercheurs, significatives à certaines régions. Ainsi le Nord-Pas de Calais, qui représente 7 % de la population française, ne compte que 2 % des effectifs des organismes publics. Autre chiffre significatif, les dépenses de recherche et de développement ne représentent que 2,1 % du PIB. En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui indiquer les mesures qu'elle compte prendre afin d'inverser cette tendance.

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Réponse du Ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche publiée le 07/05/2003

Réponse apportée en séance publique le 06/05/2003

M. Ivan Renar. Monsieur le ministre, l'état de la recherche publique suscite de nombreuses interrogations et craintes que n'a pas levé l'annonce de l'annulation du gel de 30 % des crédits de fonctionnement des organismes publics.

Même si je me félicite de cette décision, qui est à mettre à l'actif de la mobilisation de la communauté scientifique, le dégel ne fait pas forcément le printemps, loin s'en faut.

La recherche française va mal, de nombreux indicateurs l'attestent. De nombreux chercheurs, de nombreux laboratoires en témoignent et s'en inquiètent.

Je prendrai trois exemples.

Premièrement, l'impact des publications scientifiques françaises se dégrade et perd du terrain par rapport aux principaux pays européens.

Deuxièmement, le nombre de brevets déposés diminue, et cela concerne principalement le secteur privé. Nous représentons en effet 6,3 % de la totalité des brevets déposés dans le monde, contre 8,8 % en 1985.

Troisièmement, le déficit en postes et emplois scientifiques s'accentue. De tous les pays développés, mis à part l'Italie, la France est celui où le rapport entre le nombre de chercheurs et la population active a le moins augmenté ces dernières années. Avec le budget de 2003, ce sont 1 000 emplois scientifiques en moins dans l'ensemble du secteur public, dont 150 postes de chercheurs pour les établissements publics à caractère scientifique.

L'exil des jeunes chercheurs ne s'explique pas seulement par des considérations financières. Le marché de l'emploi, la précarité et le peu d'attractivité des carrières ainsi que l'insuffisance des crédits en sont bien les causes principales. Par exemple, 39 % des jeunes docteurs formés à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, INSERM, sont sans emploi.

Ces chiffres inquiétants, associés à la crise de vocation que l'on constate dès l'université, sont lourds de menaces pour demain pour la compétitivité de la recherche française.

Les dix prochaines années doivent voir le renouvellement de près de la moitié des effectifs des organismes de recherche et des universités. N'est-ce pas là, monsieur le ministre, dans le contexte actuel, l'un des enjeux majeurs auquel nous sommes confrontés et qui appelle des moyens et des décisions sans commune mesure avec ce que nous avons connu jusqu'à présent ?

Car c'est à l'investissement dans la matière grise que l'on mesure la grandeur et la puissance d'une nation.

Or, dans ce domaine, les retards pris par rapport aux principaux pays développés, en particulier les Etats-Unis, s'accentuent. La part de la recherche dans le PIB est de 2,1 % en France, contre 2,5 % en Allemagne, 2,7 % aux Etats-Unis et 3 % au Japon. Nous sommes loin, très loin de l'ambition proclamée l'an dernier par le Président de la République de consacrer 3 % du PIB à la recherche.

Depuis des années, la recherche française vit sans financement minimal. Et alors que nos principaux concurrents accentuent leurs efforts, nous diminuons les nôtres, comme en témoigne le budget de 2003.

A périmètre égal, le financement du secteur public de la recherche civile est l'un des plus bas d'Europe.

Les chercheurs français ont déjà prouvé leurs grandes capacités par le nombre et la qualité de leurs travaux. Mais comment faire mieux avec les moyens qui leur sont alloués ? Comment redresser la situation sans s'appuyer sur un secteur public fort, diversifié et modernisé, celui-là même qui a fait la notoriété internationale de la recherche française.

Je veux vous dire ma crainte, monsieur le ministre, devant ces désengagements, devant cette volonté sous-tendue de substituer aux financements d'Etat des financements régionaux et privés. Je ne m'oppose par principe ni aux uns ni aux autres, toutes ces coopérations étant nécessaires.

Mais peut-on croire qu'une véritable politique nationale en faveur de la recherche, équilibrée sur tout le territoire, puisse exister sans une responsabilité publique nationale ?

Quelles dispositions précises le Gouvernement compte-t-il prendre, quels moyens compte-t-il débloquer pour renforcer le potentiel de la recherche publique française et par là même notre place et notre présence dans le monde ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le sénateur, je vous remercie d'avoir posé cette question qui permettra de mettre un terme à la circulation de certaines informations reproduites parfois de bonne foi mais, fort heureusement, erronées.

Vous avez évoqué, comme nombre de chercheurs, un risque de réduction de 30 % des moyens des laboratoires de recherche. Beaucoup ont même mentionné un niveau de récession jusqu'alors inconnu au sein de la recherche publique française.

Ces informations, diffusées par la presse et colportées par certains leaders syndicaux, sont fort heureusement fausses, comme Mme Claudie Haigneré l'a d'ailleurs rappelé à plusieurs reprises, notamment le 9 avril dernier, devant la représentation nationale, ces erreurs étant en outre attestées par un récent rapport de l'Inspection générale de l'administration.

Il est vrai que, par un arrêté du 14 mars 2003, le Gouvernement a été contraint, au vu des déficits publics constatés, de procéder à une annulation de 9,3 % des crédits des organismes de recherche hors rémunérations. C'est le tribut total de la recherche pour la maîtrise des dépenses publiques en 2003. Mais vous conviendrez avec moi, du moins je l'espère, que 9,3 % ne sont pas 30 % ! M. le Premier ministre a en effet indiqué qu'il n'y aurait plus aucune annulation en 2003 et que l'ensemble des gels, comme vous avez d'ailleurs eu le fair-play de le souligner, monsieur le sénateur, étaient levés.

Je rappelle malgré tout que l'annulation dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique, les EPST, porte en 2003 sur 53 millions d'euros, soit exactement, au centime près, la somme annulée en 2002. Ce montant est en outre inférieur aux annulations effectuées par le gouvernement précédent en 2001 - j'ai bien évidemment fait vérifier les chiffres par les services du ministère ce matin même -, soit plus de 60 millions d'euros.

Avec 2,2 % du PIB, notre pays figure au quatrième rang mondial pour ses dépenses de recherche : ce n'est tout de même pas rien, même si, nous le reconnaissons, c'est insuffisant. Notre ambition - nous nous y sommes d'ailleurs engagés avec nos partenaires de l'Union européenne -, est que, en 2010, 3 % du PIB soient consacrés à la recherche et développement, dont un tiers pour la part publique et deux tiers pour la part privée.

Des mesures ont déjà été prises en ce sens, en particulier le plan innovation ; d'autres vont suivre très prochainement, sur l'initiative de Mme Haigneré qui va ouvrir les « chantiers de la science » pour dynamiser notre potentiel avec tous les acteurs concernés.

La recherche reste donc, monsieur le sénateur, une priorité statégique pour le Gouvernement, lequel y consacre un très fort investissement en termes de moyens.

Toutefois, le véritable problème, comme souvent d'ailleurs, tient non pas tant aux moyens, même si, j'en conviens avec vous, nous devons poursuivre notre effort, qu'à la crise très profonde des vocations dans les sciences dures, la physique et la biologie notamment : nous avons assisté en France - mais ce phénomène est enregistré un peu partout en Europe, notamment en Allemagne, ainsi qu'au Canada - à une baisse de 10 % à 20 % des vocations scientifiques dans les premiers cycles universitaires. C'est là une situation très préoccupante dont il nous faut comprendre les causes et à laquelle nous devons chercher à remédier. Mme Claudie Haigneré et moi-même proposerons donc à cette fin un plan de revalorisation de la science, dès l'école primaire, mais aussi au collège et au lycée, prévoyant la visite de laboratoires par tous les professeurs de biologie, accompagnés de leurs élèves, ainsi que bien d'autres mesures à mon avis énergiques et efficaces que nous annoncerons très prochainement. C'est en effet au stade de l'école primaire et de l'enseignement secondaire qu'il faut lutter contre cette crise des vocations scientifiques, qui est notre principale inquiétude.

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Même si M. le ministre de l'éducation nationale ne m'a pas donné entière satisfaction, par sa réponse, je le remercie d'avoir eu le fair-play de reconnaître un certain nombre des difficultés auxquelles se trouve confrontée la recherche.

Vous me permettrez, au-delà du débat sur les chiffres, de formuler quelques remarques.

Je crois qu'on ne rappellera jamais assez que la recherche est un élément primordial dans le développement d'un pays ou d'une région. Ses résultats influent directement sur la production des services, dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la culture, et ses effets indirects ont également une importance capitale à long terme.

Il est nécessaire d'opérer une plus grande mise en cohérence du pôle de la recherche publique, fondée sur des missions de service public intégrant à la fois le long terme et la recherche fondamentale, et les besoins les plus immédiats de développement technologique et de recherche appliquée. Les universités devraient pouvoir jouer un autre rôle en collaboration avec les organismes et les grandes écoles.

Je partage votre point de vue, monsieur le ministre, sur la nécessité de revaloriser les enseignements scientifiques pour répondre en partie à la crise des vocations. En effet, pour être à la hauteur des enjeux et répondre aux besoins, il faut que l'emploi scientifique soit, dans notre pays, non seulement plus développé, mais aussi plus attractif. Le Gouvernement ferait bien, selon moi, de se pencher sur cet aspect de la question.

Enfin, il conviendrait à mon avis d'engager un débat et une consultation nationale sur la recherche. (M. le ministre acquiesce.) Nous avons en effet tout à gagner à associer la société, la collectivité publique, les citoyens à une discussion sur les enjeux que nous venons d'évoquer trop rapidement.

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