Question de M. RENAR Ivan (Nord - CRC) publiée le 30/06/2005

M. Ivan Renar attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'inquiétante explosion des importations européennes de textiles provenant de Chine. Celle-ci résulte de la suppression des quotas d'importation entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Depuis le début de l'année, les importations de certaines catégories de produits textiles chinois au sein de l'Union européenne ont augmenté de plus de 500 %. De tels flux représentent une très grave menace pour les emplois de ce secteur industriel européen, déjà fragilisé et qui poursuit sa modernisation, notamment en proposant de nouveaux produits à haute valeur ajoutée. A très court terme, ce sont quelque 20 000 emplois qui devraient disparaître. Les effets seront particulièrement dramatiques pour des régions telles que le Nord - Pas-de-Calais, où l'industrie textile emploie plusieurs dizaines de milliers d'hommes et de femmes. Particulièrement préoccupée par cette menace pesant sur ce secteur vital de l'économie nationale et européenne, il lui demande de lui préciser les intentions du Gouvernement en la matière et, notamment, s'il compte demander à l'Union européenne la rédaction formelle de clauses de sauvegarde et s'il compte agir sur ceux qui importent. Il souhaiterait également savoir si la France entend demander à l'Europe d'exiger de la Chine qu'elle respecte les engagements pris lors de son adhésion à l'Organisation internationale du commerce en 2001, à savoir reconnaître aux autres pays adhérents le droit de limiter leurs importations d'articles de confection et de textiles chinois à 7,5 % au-dessus de leur niveau de l'année précédente, et ce jusqu'en 2008, dès lors que ces pays ont fait la preuve des dommages subis par leurs propres entreprises.

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Réponse du Ministère délégué à l'industrie publiée le 10/11/2005

Réponse apportée en séance publique le 09/11/2005

M. Ivan Renar. Monsieur le ministre, j'ai souhaité interroger le Gouvernement sur la catastrophique explosion des importations de textiles chinois résultant de la suppression des quotas le 1er janvier 2005. De tels volumes d'importations représentent une menace mortelle pour les emplois des secteurs de l'habillement et du textile de toute la France et de l'Union européenne.

En France, où les importations chinoises connaissent une progression de 47 %, l'industrie textile perd en moyenne 2 000 emplois par mois. Les effets de la libéralisation des échanges avec la Chine sont particulièrement dramatiques pour des régions telles que le Nord-Pas-de-Calais, où cette industrie emploie encore plusieurs milliers de salariés.

La levée des quotas d'importations chinoises touche, de façon inégale, toutes les branches du secteur textile, mais affecte surtout le secteur de l'habillement, déjà laminé dans les années passées. Aujourd'hui, il ne reste qu'une seule grande entreprise, basée à Poix-du-Nord, et quelques centaines de moyennes et très petites entreprises sous-traitantes la plupart du temps.

A l'impact de ces importations massives s'ajoutent les effets de la parité entre l'euro et le dollar, qui a fortement pénalisé les exportations, ainsi que ceux de la concurrence de pays comme l'Inde, le Sri Lanka ou l'Indonésie.

En outre, nombre d'entreprises de linge de maison ont déjà subi les conséquences de la libéralisation totale des échanges avec le Pakistan. Dans cette branche, les fermetures de filatures, d'entreprises de tissages et de confection se multiplient. Aucune entreprise n'est épargnée.

L'emprise de la Chine sur l'industrie textile se manifeste aussi indirectement par la reprise de capitaux étrangers investis dans nos entreprises. Ainsi, sur décision des actionnaires chinois, la dentelle de Calais a recentré son activité sur le prototypage, la production étant envoyée en Asie.

Sur ce point, il faut souligner que la Chine elle-même, ayant trouvé une main-d'oeuvre encore moins chère ailleurs, est déjà en train d'externaliser une partie de ses entreprises du textile dans d'autres pays d'Asie et d'Afrique, contournant ainsi les divers accords commerciaux.

A cette situation dramatique vient s'ajouter l'attitude de la grande distribution, qui avait anticipé la levée des quotas pour passer ses commandes en Chine dès le second semestre de l'année 2004. Ces commandes étant déjà payées, les distributeurs ont fait pression sur Bruxelles pour que les millions d'articles bloqués dans les ports puissent être mis sur le marché. Ainsi, les quotas d'importations textiles chinoises pour 2005 ont été très largement dépassés, seule la moitié de ces articles étant retranchée des quotas prévus pour 2006.

Je signale au passage que, si l'extrême libéralisation des échanges avec la Chine a permis aux enseignes d'habillement d'obtenir une baisse spectaculaire de leurs prix d'achat, les prix à la consommation étaient, selon l'INSEE, restés stables.

On peut se demander à qui profite la déferlante du textile chinois. Cependant, obtenir la garantie de 2 % à 3 % d'articles de la vente par correspondance à l'industrie textile française permettrait de sauver plusieurs dizaines de milliers d'emplois.

Monsieur le ministre, les salariés du secteur du textile et de l'habillement sont les premières victimes des concessions faites à la Chine, à qui la France souhaite vendre TGV, centrales nucléaires et Airbus. La question peut se poser. Ce secteur constitue-t-il une monnaie d'échange utilisée pour assurer nos relations commerciales avec la Chine ? Encore faudrait-il assumer politiquement ce choix.

Le Gouvernement compte-t-il prendre des dispositions pour permettre de sauvegarder, voire de développer, ce secteur historique de notre industrie nationale ? Le cas échéant, entend-il donner suite à la proposition des syndicats de mettre en oeuvre un vaste plan national d'urgence pour ce secteur, comme cela avait été le cas pour la sidérurgie dans les années quatre-vingt ?

Il y a urgence, monsieur le ministre. Le textile, c'est deux Hewlett-Packard par mois, si je puis dire. D'ici à deux ans, 50 % des 100 000 emplois concernés auront disparu.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Loos, ministre délégué à l'industrie. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de m'offrir l'opportunité de dresser un état des lieux du secteur du textile et de l'habillement, dix mois après le démantèlement de l'accord sur les textiles et les vêtements.

Je tiens, tout d'abord, à vous assurer que le Gouvernement est conscient des difficultés que traverse l'industrie textile et des conséquences importantes pour l'emploi, dans certaines régions, des mutations actuelles.

Comme vous avez pu le constater à la lecture des communiqués de presse, ce sujet a été au coeur de l'actualité, dans un premier temps en raison de l'augmentation spectaculaire des importations de produits textiles dans l'Union européenne, et, dans un second temps, en conséquence des blocages de marchandises dans les ports européens l'été dernier.

Comme vous le savez, l'Union européenne a mis en place une surveillance a posteriori des importations originaires des pays tiers pour les produits libéralisés au 1er janvier 2005 sur les prix et les quantités, doublée d'une surveillance préalable pour les catégories libéralisées originaires de Chine, cela à ma demande, d'ailleurs, et l'Union européenne n'y a pas accédé sans mal, car elle n'aurait pas agi ainsi spontanément.

Cette surveillance statistique, aujourd'hui disponible sur le site Internet de la Commission, répond à la pression des Etats membres producteurs de textile et d'habillement dans l'Union européenne, au premier rang desquels se situe la France.

Pour les sept premiers mois de l'année 2005, les importations de l'Union européenne, notamment de la France, sont restées quasiment stables. En revanche, une modification des fournisseurs de la Communauté s'opère et la part de marché de la Chine dans les approvisionnements s'est envolée. En France, on constate des évolutions de parts de marché très sensibles pour les produits sous quota à propos desquels la part de la Chine était anormalement faible. C'est le cas des pull-overs, des pantalons et des tee-shirts.

La Chine est ainsi à l'origine de 24,4 % des importations françaises de pull-overs en volume, contre seulement 3,4 % l'année dernière. Pour d'autres produits, comme les soutiens-gorge, pour lesquels la Chine occupait déjà une position importante, la croissance est forte, mais reste en deçà des évolutions des autres articles. Cette modification a entraîné un recul de la plupart des fournisseurs traditionnels de l'Union européenne, en particulier de la France.

Face à la croissance très rapide des importations en provenance de Chine, j'ai demandé, au sein du comité compétent du Conseil, la publication par la Commission des lignes directrices relatives à la clause de sauvegarde spécifique relative au textile.

En effet, conformément à l'article 241 du protocole d'accession de la Chine à l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, la Commission a établi des critères et des procédures pour mettre en oeuvre l'article 10 A du règlement 3030/93, relatif à la clause spécifique concernant les produits textiles chinois qui est prévue jusqu'en 2008 au cas où les importations chinoises se développeraient trop vite et déstabiliseraient les marchés des membres de l'OMC.

Conformément à ces lignes directrices, la Commission a ouvert, fin avril, une enquête sur neuf catégories de produits textiles et a, quelques jours plus tard, annoncé son intention d'utiliser la procédure d'urgence, écourtant la procédure d'enquête pour deux catégories, à savoir les tee-shirts et les fils de lin.

Parallèlement à la mise en application de ces lignes directrices, la Commission a mené avec la Chine des consultations qui ont abouti, le 10 juin dernier, à la signature d'un mémorandum d'accord fixant les plafonds d'exportations chinoises pour dix catégories de produits textiles jusqu'à la fin de l'année 2007. Il s'agit des tissus de coton, des tee-shirts, des pull-overs, des pantalons pour hommes, des chemisiers, du linge de lit, des robes, des soutiens-gorge, du linge de table et des fils de lin et de ramie.

Ces dix catégories représentent environ 50 % des importations européennes originaires de Chine. Les taux de croissance annuels sont limités pour trois ans à des niveaux variant entre 8 % et 12,5 % selon les catégories.

Certes, la couverture concernant les produits visés par cet accord n'est pas totalement satisfaisante, mais la possibilité d'avoir recours si nécessaire à la clause de sauvegarde pour les produits non couverts par l'accord atténue ce point négatif.

La France a déjà fait savoir qu'elle n'excluait pas d'y faire appel si les importations chinoises risquaient de mettre en péril certains secteurs de notre économie. Je peux vous assurer que le Gouvernement portera toute son attention à ce dossier.

D'autres membres de l'Organisation mondiale du commerce, tels que les Etats-Unis ou la Turquie, ont mis en oeuvre directement des mesures de sauvegarde spécifiques relatives au textile chinois sur plusieurs produits, conformément au protocole d'accession de la Chine à l'OMC.

Vous avez lu ce matin, dans la presse, que le responsable du commerce américain et son homologue chinois venaient, avec quelques mois de retard, de signer un accord du même type que celui que l'Union européenne a conclu. Cet accord n'est pas parfait, mais a au moins l'avantage d'offrir une visibilité jusqu'en décembre 2007, soit sur une période de plus de deux ans, ce qui va faciliter le processus d'ajustement structurel déjà largement amorcé durant les dix années d'application de l'accord de l'OMC sur les textiles et les vêtements, l'ATV.

Je comprends vos préoccupations s'agissant du poids de la République populaire de Chine dans le secteur du textile et de l'habillement, notamment après l'expérience des derniers mois. Cependant, bien que la Chine soit un concurrent de taille, elle s'est aussi engagée, en entrant à l'OMC, à ouvrir son marché aux importations de textiles. Des prévisionnistes estiment que la consommation annuelle de textile par habitant dans ce pays devrait augmenter dans les cinq années à venir.

Il convient de rappeler la position favorable de l'Union européenne, deuxième exportateur mondial de textile, avec 15 % des exportations mondiales, pour répondre à cette demande croissante. Cela se traduit par de nouvelles opportunités pour nos entreprises, qui sont très bien positionnées, grâce à l'image de marque et à la qualité des produits français.

A cet égard, la France et, plus largement, l'Europe, veillent à ce que la Chine respecte tous ses engagements pris lors de son accession à l'OMC.

De plus, les prochaines négociations commerciales de Hong Kong, en décembre prochain, seront l'occasion de rechercher une amélioration de l'accès au marché des pays tiers dans le secteur du textile et de l'habillement. Nous espérons améliorer ainsi l'accès des entreprises françaises aux marchés des autres pays.

Dans cette perspective, je vous rappelle que l'Union européenne a institué un groupe politique de haut niveau sur le textile et l'habillement, ce qui est une preuve de la prise en compte de ce secteur par les instances communautaires, et qui découle de la communication de la Commission sur l'avenir du secteur du textile et de l'habillement dans l'Union européenne élargie en octobre 2003.

Ce groupe est composé de quatre commissaires européens issus de quatre Etats membres, d'une représentante du Parlement européen, de représentants du secteur de l'industrie ainsi que de représentants de syndicats et des distributeurs.

Les intérêts français sont bien représentés, à la fois par moi-même, au nom du Gouvernement, et par des membres de l'Union des industries textiles et d'Euratex, pour ce qui est du secteur de l'industrie. Ce groupe a été mis en place pour examiner les initiatives possibles et faire des recommandations aux décideurs européens dans ce secteur afin qu'il s'adapte aux nouvelles conditions du marché.

J'espère avoir répondu, monsieur le sénateur, à vos préoccupations.

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse détaillée. Je ne sais pas si toutes les mesures que vous avez énumérées permettront de régler le problème, compte tenu de l'espèce de fascination qu'exerce la Chine, et j'ignore également si les produits français ou européens arriveront à pénétrer le marché chinois, malgré les efforts de modernisation de notre industrie textile, dont je suis le témoin dans le Nord-Pas-de-Calais.

Tout semble bon pour développer nos relations commerciales avec la Chine, et l'Europe paraît fermer les yeux.

Je tiens à évoquer, par ailleurs, les fréquentes violations de la propriété intellectuelle perpétrées par la Chine. Bon nombre d'observateurs ont pu constater qu'elle se livrait à un véritable pillage dans ce domaine. Qu'adviendra-t-il, demain, lorsque, disposant de la technologie nécessaire, elle produira ses propres Airbus et TGV ?

Enfin, la Chine s'attache à diminuer ses coûts de main-d'oeuvre. Le salaire horaire, en Chine continentale, est de 0,38 euro, alors qu'en France, il est de 14,61 euros. Une délégation du Conseil économique et social s'est rendue en Chine récemment et a rapporté que quelques entreprises chinoises avaient décidé de délocaliser leur activité en Afrique du Sud, où le coût horaire du travail est encore plus bas.

Monsieur le ministre, je crains de voir notre textile servir de monnaie d'échange à des spéculations plus importantes qui se feraient au niveau de la fabrication. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) J'estime qu'il faut défendre l'emploi, dans le secteur non seulement du textile, mais aussi de l'Airbus et du TGV.

Le problème n'est, hélas ! pas réglé. Nous ne ferons jamais preuve de trop de vigilance sur toutes ces questions.

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