Question de Mme LUC Hélène (Val-de-Marne - CRC) publiée le 13/04/2006

Mme Hélène Luc attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la situation très critique de l'établissement de l'Imprimerie nationale à Choisy-le-Roi. Il est prévu que cet établissement, unité spécialisée dans l'imprimerie « offset feuille » et qui emploie actuellement 120 salariés, fasse prochainement l'objet d'une vente à une société privée avant l'été prochain. L'imprimerie de Choisy s'était pourtant installée dans cette ville, voici un an, à la suite d'un plan global de recapitalisation par des fonds publics qui avait été accepté par la Commission de Bruxelles. Cette installation, favorisée par le conseil régional, le conseil général et la municipalité, devait permettre un développement de l'entreprise qui, pour cela, s'était fixée un certain nombre d'objectifs de redressement. Or il se trouve que l'État, directement ou par l'entremise d'entreprises du secteur public, n'a pas joué son rôle en lui assurant une charge de travail suffisante. C'et ainsi, par exemple, que depuis la décision de France Télécom de ne plus lui confier l'impression de ses annuaires, le chiffre d'affaire de l'entreprise ne cesse de diminuer, son département « sujets d'examens et concours » ne pouvant suffire, à lui seul, à pallier ce manque. D'autres commandes, comme les notes d'évaluation de l'éducation nationale ou les imprimés d'autres ministères, lui ont fait défaut. De la même façon, l'établissement de Douai avait vu son avenir menacé par la décision, aujourd'hui invalidée, de confier la fabrication des passeports biométriques à une entreprise privée. Elle lui demande en conséquence, de bien vouloir l'informer des mesures qu'il compte prendre, tant pour empêcher la vente de l'établissement de Choisy-le-Roi que pour contribuer à lui assurer une charge de travail suffisante et maintenir le statut public de l'Imprimerie nationale.

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Réponse du Ministère délégué au commerce extérieur publiée le 10/05/2006

Réponse apportée en séance publique le 09/05/2006

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 1021, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mme Hélène Luc. Madame la ministre, je regrette que, bien qu'il m'ait prévenue, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Breton, n'ait pu être présent. Je pense que vous êtes tout à fait habilitée à me donner une réponse, pourvu qu'elle soit positive.

L'Imprimerie nationale, institution séculaire créée par le cardinal de Richelieu en 1640, est gravement menacée dans sa pérennité. Pourtant, elle a fait preuve d'un savoir-faire indiscutable, qui lui vaut une réputation allant bien au-delà de nos frontières, qu'il s'agisse de l'imprimerie ou de son atelier artistique, mémoire du travail effectué depuis plusieurs centaines d'années et que les salariés veulent transmettre.

Depuis plus de deux ans, malgré les engagements pris auprès des salariés, des autorités de la direction générale de la concurrence de la Commission de Bruxelles et de la profession, à la suite de sa recapitalisation par des fonds publics, l'Imprimerie nationale est progressivement démantelée.

Ce démantèlement s'est déjà traduit par la vente de ses imprimeries rotatives de Bondoufle et de Strasbourg, ainsi que de ses activités « Édition technique » et « Beaux-livres », et par la cession de ses services de logistique et de vente par correspondance implantés à Douai.

Ce démantèlement prend la forme d'arrêts d'activités, de restructurations ou de filialisations et résulte de décisions financières, industrielles et politiques qui ont des conséquences sociales intolérables.

En 1993, 1900 salariés travaillaient à l'Imprimerie nationale dans le XVè arrondissement à Paris. En 2003, après un premier plan social, ils n'étaient plus que 1450 ; en 2005, après un second plan social, il restait 550 personnes. Aujourd'hui, l'annonce de la cession de Choisy-le-Roi réduirait à nouveau de 120 personnes les effectifs de l'entreprise !

L'avenir de l'établissement de Douai n'est nullement assuré puisque, malgré la décision du Conseil d'État de lui confier la fabrication et la personnalisation des passeports biométriques, ce marché ne lui a été attribué par convention que pour huit mois, alors que des résultats remarquables ont pourtant été obtenus pour la qualité, le prix de revient et le temps de réalisation de ces passeports. Madame la ministre, voilà la preuve du savoir-faire de l'Imprimerie nationale, voilà pourquoi il faut le conserver à tout prix !

La vente de l'établissement de Choisy-le-Roi à une société privée signifierait le démantèlement complet de l'Imprimerie nationale alors qu'elle appartient au patrimoine industriel et culturel de la France Le déménagement du XVè arrondissement vers Choisy-le-Roi n'aurait été qu'un leurre, alors qu'il devait être un nouveau départ !

Ce serait un véritable gâchis économique, culturel et social.

Gâchis économique, tout d'abord, puisqu'il serait la conséquence d'un désengagement de l'État, détenteur de 100 % du capital de l'entreprise, sur un site dont l'installation a été largement financée par l'argent public de l'État, de la région, du département et de la ville de Choisy-le-Roi. En outre, ce site étant implanté dans l'une des zones franches supplémentaires créées par le projet de loi pour l'égalité des chances et voulues par le Premier ministre, il serait incohérent que l'État disparaisse ainsi d'un territoire de développement prioritaire.

Gâchis culturel, ensuite, de par la perte de mémoire ; gâchis social, enfin, puisqu'un accord d'entreprise avait fixé à l'année 2008 le bilan des restructurations qui se sont traduites par la suppression de 900 emplois au niveau du groupe. Cet accord et l'échéancier annoncé doivent être respectés pour permettre le déploiement des stratégies industrielles et commerciales prévues.

Madame la ministre, il est hors de question d'accepter la vente du site de Choisy-le-Roi, car tout nouveau plan social compromettrait irrémédiablement l'avenir de l'ensemble du groupe !

Dans cette affaire, la responsabilité de l'État est entièrement engagée, car il n'a pas joué son rôle, directement ou par l'entremise du secteur public, et n'a pas assuré une charge de travail suffisante à l'imprimerie de Choisy-le-Roi.

C'est ainsi que, par exemple, depuis la décision de France Télécom de ne plus lui confier l'impression de ses annuaires, le chiffre d'affaires de l'entreprise ne cesse de diminuer, son département « sujets d'examens et de concours » ne pouvant, à lui seul, suffire à pallier ce manque. D'autres commandes, comme la note Évaluation de l'Éducation nationale ou les imprimés d'autres ministères, lui ont également fait défaut.

À quoi donc servirait une imprimerie nationale, si l'État ne se réserve pas un certain nombre de travaux, en premier lieu les documents sécurisés, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays européens ?

Madame la ministre, je vous demande donc de bien vouloir m'informer des mesures que vous avez l'intention de prendre pour contribuer à assurer une charge de travail suffisante aux établissements de Douai et Choisy-le-Roi, et empêcher la vente de Choisy-le-Roi. Quelles mesures comptez-vous prendre, avec le ministre de la culture, pour reloger et faire fonctionner l'atelier d'art, provisoirement abrité dans un entrepôt à Ivry-sur-Seine ?

Ce sont les conditions essentielles pour garantir le statut de l'Imprimerie nationale et préserver sa mission de service public.

M. le président. Madame Luc, compte tenu de l'importance du problème, je vous ai laissé dépasser votre temps de parole avec une grande générosité.

Mme Hélène Luc. Je vous en remercie, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Madame la sénatrice, si mon habilitation à vous répondre dépend de la nature de ma réponse, je m'interroge... Je puis vous assurer, en tout cas, du regret de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de ne pouvoir être présent ce matin pour vous répondre.

À la suite de déficits grandissants depuis la fin des années 1990 et de la perte du marché des annuaires téléphoniques en 2002, l'Imprimerie nationale a dû faire face à la nécessité d'un plan de restructuration d'une grande ampleur, en même temps qu'au besoin d'une très forte recapitalisation.

Cette dernière a été acceptée par la Commission européenne, à hauteur de 197 millions d'euros, moyennant un très fort recentrage de l'entreprise sur les métiers les plus liés aux fonctions de souveraineté de l'État français : passeports, cartes d'identité, permis de conduire, cartes grises, notamment, tous ces documents étant désormais réalisés sur le site de Douai. Dans le cadre de ce plan, l'activité « offset feuilles », jusque-là exercée sur le site historique de Paris, a été transférée sur le nouveau site de Choisy-le-Roi au printemps 2005.

Je sais quelle a été l'implication des élus de la commune de Choisy-le-Roi et du département du Val-de-Marne pour convaincre l'Imprimerie nationale d'implanter à Choisy-le-Roi ses activités d'imprimerie « offset feuilles » et de sujets de concours, même si ces dernières, dans le plan présenté à la Commission européenne, ne faisaient pas partie du coeur de cible de l'entreprise.

J'ai conscience aussi des inquiétudes que peut nourrir actuellement le projet de cession de cette usine à un repreneur privé.

Il est fondamental, aujourd'hui, de souligner que, si le soutien de 197 millions d'euros accordé par l'État à l'Imprimerie nationale l'a été dans le strict respect de la réglementation communautaire, l'État ne peut plus aujourd'hui verser de dotation complémentaire à l'entreprise. La situation de l'Imprimerie nationale dans sa globalité demeurant très fragile, celle-ci ne peut, sans mettre sa survie en péril, conserver des activités qui, à la fois, ne relèvent pas de son coeur de métier et constituent des foyers de pertes récurrents. Le maintien de la feuille au sein des activités de l'Imprimerie Nationale dépendait donc de son retour à l'équilibre.

Or, les résultats de ces deux dernières années sont largement déficitaires, et les projections financières pour les prochains exercices ne permettent pas d'anticiper une évolution suffisamment favorable. À ce titre, il est important de souligner que le secteur de la feuille est malheureusement, comme celui de la rotative, un secteur en difficulté, où l'État ne peut pas garantir une charge de travail, compte tenu du caractère concurrentiel de cette activité.

Désormais, il me paraît important de noter que la cession de la feuille ne signifie en aucun cas que cette activité soit destinée à disparaître. Bien au contraire, l'objectif de l'entreprise est de céder cette activité à un partenaire industriel plus à même que l'Imprimerie nationale de réussir sa consolidation et son développement, et qui soit déterminé à assurer sa pérennité sur le site de Choisy-le-Roi.

Je puis vous assurer que l'État, en tant qu'actionnaire de l'Imprimerie nationale, sera très attentif au projet industriel du repreneur et aux perspectives qu'il offrira à la division et à l'ensemble de ses salariés.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Madame la ministre, les propos que vous venez de tenir au nom de M. Breton ne me rassurent pas, je dois l'avouer franchement.

Après notre entrevue au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie avec le directeur adjoint de cabinet de M. Breton, nous espérions que vous nous feriez des propositions. Nous attendions l'annonce d'un effort commercial de la part du directeur de l'Imprimerie nationale. En effet, les commerciaux qui auraient dû être embauchés lors du déménagement du xvè arrondissement vers Choisy-le-Roi ne viennent que de l'être et n'ont donc pas été en mesure de créer les conditions pour que l'entreprise tourne à plein.

Nous ne voulons pas entendre parler d'un repreneur privé dans les conditions que vous avez mentionnées.

Dans les tribunes et devant le Sénat, des délégations de salariés de Choisy-le-Roi, de Douai et d'Ivry-sur-Seine attendent des réponses qui prouvent que l'engagement du Gouvernement à oeuvrer pour sauver l'Imprimerie nationale sera suivi d'actes concrets, comme l'a dit le directeur adjoint du cabinet de M. Breton lors de sa rencontre avec M. Daniel Davisse, maire de Choisy-le-Roi, et moi-même.

Or, tel n'est pas le cas aujourd'hui. La vente de l'imprimerie, dans les conditions envisagées par le directeur, n'apporte pas de réponse aux questions posées. La population de Choisy-le-Roi vit cette situation comme une tromperie et un gâchis inexcusable.

Des décisions commerciales urgentes et énergiques doivent être prises et, en même temps, l'État doit faire face à ses engagements. Nul doute que le personnel saura se montrer à la hauteur des exigences, comme il a su le prouver dans la confection des passeports biométriques.

Madame la ministre, comme nous l'avons déjà dit, avec le maire de Choisy-le-Roi, Daniel Davisse, le président du conseil général du Val-de-Marne, Christian Favier, nous sommes décidés à mener ce combat jusqu'au bout, aux côtés des salariés et de la population de Choisy-le-Roi et de Douai.

Plus de 4 000 pétitions ont déjà été signées et un conseil municipal ouvert à la population se tiendra le jeudi 11 mai pour renforcer la mobilisation, car le temps presse, il n'y a plus un seul jour à perdre ! Nous attendons le rendez-vous promis par M. le ministre dans quelques jours, afin de décider des mesures à prendre en fonction des solutions que propose le Gouvernement.

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