Question de Mme DUPONT Bernadette (Yvelines - UMP-A) publiée le 25/05/2006

Mme Bernadette Dupont appelle l'attention de M. le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes sur les modalités de décompte du temps de travail dans certains établissements sociaux et médico-sociaux privés à but non lucratif. Pour ce qui concerne les périodes de surveillance nocturne en chambre de veille, le décret n° 2001-1384 du 31 décembre 2001 avait prévu que le calcul de la durée légale du travail, dans les établissements et les emplois qu'il vise, se faisait sur la base d'un forfait de trois heures de travail effectif et pour les neuf premières heures de présence, et une demi-heure pour chaque heure au-delà. Or, par un arrêt Dellas et autres du 1er décembre 2005 (affaire n° C-14/04), la Cour de justice des Communautés européennes a estimé qu'une réglementation nationale ne pouvait prévoir, s'agissant des gardes effectuées selon le régime de la présence physique et pour les besoins du décompte du temps de travail effectif, un système d'équivalence tel que celui posé par le décret cité. Cette décision revient à supprimer les chambres de veille, structures pourtant adaptées aux caractéristiques des gardes de nuit des établissements d'hébergement permanent où une surveillance de nuit n'est pas nécessaire. Ses conséquences risquent d'être problématiques pour le fonctionnement de ces derniers. La rétribution intégrale du personnel embauché pour une présence de nuit, sans aucun caractère éducatif, grévera sans conteste le nombre de personnes compétentes nécessaires à la présence éducative de jour, lorsque l'on sait que les budgets des établissements médico-sociaux sont contraints. Elle souhaiterait donc savoir comme il entend assurer la sauvegarde du fonctionnement de ces établissements qui, en région parisienne, sont déjà fortement fragilisés par les difficultés de recrutement.

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Réponse du Ministère délégué à la cohésion sociale et à la parité publiée le 07/06/2006

Réponse apportée en séance publique le 06/06/2006

Mme Bernadette Dupont. Madame la ministre, pour ce qui concerne les périodes de surveillance nocturne en chambre de veille, le décret n° 2001-1384 du 31 décembre 2001 avait prévu que le calcul de la durée légale du travail, dans les établissements et les emplois qu'il vise, se faisait sur la base d'un forfait de trois heures de travail effectif pour les neuf premières heures de présence et d'une demi-heure pour chaque heure au-delà.

Or, par l'arrêt Dellas et autres du 1er décembre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a estimé qu'une réglementation nationale ne pouvait prévoir, s'agissant des gardes effectuées selon le régime de la présence physique, pour les besoins du décompte du temps de travail effectif, un système d'équivalence tel que celui qui est posé par le décret cité.

Le Conseil d'État, dans un arrêt du 28 avril dernier, a annulé le décret, car, si la directive ne fait pas obstacle à l'application des rapports d'équivalence aux durées maximales de travail fixées par le droit national, il ne saurait en résulter une inobservation des seuils et plafonds communautaires pour l'appréciation desquels les périodes de travail effectives doivent être comptabilisées dans leur intégralité, sans possibilité de pondération.

Cette décision revient à supprimer les chambres de veille, structures pourtant adaptées aux caractéristiques des gardes de nuit des établissements d'hébergement permanent où une surveillance de nuit n'est pas nécessaire sur le plan médical. Ses conséquences risquent d'être très problématiques pour le fonctionnement de ces établissements. La rétribution intégrale du personnel embauché pour une présence de nuit, sans aucun caractère éducatif, grèvera sans conteste le nombre de personnes compétentes nécessaires à la présence éducative de jour, lorsque l'on sait que les budgets des établissements médicosociaux sont déjà très contraints.

Je voudrais donc savoir comment vous entendez assurer la sauvegarde du fonctionnement de ces établissements qui, en région parisienne, sont déjà très fortement fragilisés par les difficultés de recrutement de personnel, compte tenu du coût du logement par rapport aux salaires.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Madame la sénatrice, vous avez attiré l'attention du Gouvernement sur les modalités de décompte du temps de travail dans certains établissements sociaux et médicosociaux privés à but non lucratif.

Un décret institue une durée d'équivalence de la durée légale du travail dans les établissements sociaux et médicosociaux gérés par des personnes privées à but non lucratif.

Ce décret prévoit, comme vous le rappelez très justement, que chacune des périodes de surveillance nocturne en chambre de veille est décomptée comme trois heures de travail effectif pour les neuf premières heures de travail et comme une demi-heure pour chaque heure au-delà de neuf heures.

Or ce décret a fait l'objet de plusieurs recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État, qui, vous l'avez rappelé également, a saisi la Cour de justice des Communautés européennes, CJCE.

La CJCE n'a pas mis en cause le système des équivalences en tant que tel, mais elle a rappelé que les objectifs fixés par la directive sur le temps de travail étaient respectés dès lors que la durée maximale hebdomadaire de travail - y compris le temps de présence et de veille inactive sur le lieu de travail - n'était pas supérieure à une durée de travail hebdomadaire de quarante-huit heures calculée sur une période de quatre mois.

La CJCE a donc confirmé que le mécanisme d'équivalence prévu par la réglementation française n'était pas contraire à la directive européenne dès lors qu'il intervenait dans les limites des seuils et plafonds communautaires.

Elle a par ailleurs rappelé que la directive européenne ne s'appliquait pas aux conditions de rémunération.

À la suite de la décision de la CJCE, le Conseil d'État, dans son arrêt Dellas du 28 avril 2006, a considéré que le régime d'équivalence institué par le décret ne pouvait faire l'objet d'une censure totale sur le fondement de l'arrêt rendu par la CJCE. Il a ainsi prononcé une annulation partielle du décret en tant que ce dernier ne disposait pas que la durée de travail maximale hebdomadaire de quarante-huit heures en moyenne, calculée heure pour heure, sur une période de quatre mois consécutifs, devait être respectée.

Un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt a été accordé au Gouvernement pour amender ces dispositions réglementaires.

Contrairement à ce que pouvaient craindre les fédérations d'employeurs, le système des veilles nocturnes dans les établissements sociaux et médicosociaux n'est donc pas annulé par l'arrêt Dellas ; il est seulement limité par la durée maximale communautaire. En pratique, les salariés des établissements sociaux et médicosociaux ne pourront effectuer en moyenne plus de deux veilles nocturnes par semaine.

Toutefois, la remise en cause de ce système d'équivalences risque, vous l'avez souligné, d'affecter l'organisation du travail et l'équilibre financier des secteurs concernés.

Si l'arrêt Dellas concerne le secteur médicosocial, cette jurisprudence, par extension, est susceptible de s'appliquer à beaucoup d'autres secteurs : hospitaliers, services de secours d'urgence, police, etc.

Ses conséquences peuvent, dans certains cas, présenter de graves inconvénients pour l'équilibre financier des établissements, le recrutement de nouveaux personnels qualifiés, pour les revenus des salariés eux-mêmes si l'on réduit leur temps de présence non travaillée.

La solution pourrait certes venir de la révision de la directive sur le temps de travail. En effet, la proposition actuellement sur la table du Conseil des ministres européens règle la définition du temps de travail et des gardes inactives dans un sens qui protégerait les systèmes d'équivalence pour les États membres qui les pratiquent. Malheureusement, cette révision est bloquée par le désaccord persistant sur la question dite de l'opt-out.

Le Gouvernement français est donc pris dans un étau entre le souci d'obtenir une révision rapide de la définition du temps de garde et le blocage persistant de la négociation.

En attendant la révision de la directive, il faut donc rechercher une solution nationale avec réalisme et pragmatisme.

Dans un certain nombre de cas où les dépassements de la limite de quarante-huit heures sont peu fréquents, la simple application de l'arrêt du Conseil d'État suffira sans doute. Il laisse une souplesse que l'on peut utiliser.

D'autres cas seront peut-être plus délicats et il ne faut pas s'interdire, pour maintenir le fonctionnement normal de ces secteurs, en attendant que la révision de la définition des temps de garde soit actée à Bruxelles, de recourir temporairement à l'opt-out, lorsque ce serait le seul moyen d'éviter une désorganisation du temps de travail dans les secteurs des soins, de la sécurité et des services d'urgence.

Dans le secteur social et médicosocial, afin d'évaluer précisément les conséquences tant juridiques que budgétaires de cette décision, une concertation sera prochainement engagée avec l'ensemble des partenaires sociaux. À cet effet, ce point sera mis à l'ordre du jour du prochain comité national de l'organisation sanitaire et sociale, le 22 juin prochain.

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont.

Mme Bernadette Dupont. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Cette prochaine concertation va certainement aider les établissements ; je constate donc que la porte n'est pas fermée. Il s'agit néanmoins d'un problème fondamental, car des dépenses supplémentaires sont impossibles non seulement pour ces établissements, qui sont en permanence sur la corde raide, mais aussi pour le ministère des affaires sociales qui les subventionne et pour les conseils généraux qui ne pourront certainement pas augmenter leurs budgets !

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