Question de Mme HOARAU Gélita (La Réunion - CRC-SPG) publiée le 08/10/2009

Mme Gélita Hoarau attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur les problèmes que rencontre l'enseignement de la langue et culture réunionnaises (LCR).

Jusqu'en juin 2009, le programme provisoire de l'option LCR était établi par un groupe de travail de l'académie de La Réunion. Dorénavant, cette tâche est dévolue au ministère de l'éducation nationale. Selon certains enseignants, cette évolution menace l'avenir de l'enseignement de la LCR si des précautions ne sont pas prises, essentiellement deux.
Tout d'abord, le singulier employé dans le terme "programme créole" laisse croire qu'il n'existe qu'une langue créole dont le créole réunionnais est une variante. Ce singulier à créole empêche la mise au point d'un programme propre au créole de La Réunion et à sa culture régionale, adapté aux besoins de cette région.

Ensuite, les niveaux à atteindre (A1 et A2) fixés par le cadre commun des compétences européennes, ne sont pas en adéquation avec la réalité linguistique réunionnaise.

Aussi elle lui demande, outre la reconnaissance du créole réunionnais comme langue à part entière, d'envisager que le programme provisoire devienne le programme pour les cinq années à venir ou du moins, que la rédaction du programme ministériel prenne en considération ces éléments.

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Réponse du Ministère de la santé et des sports publiée le 28/10/2009

Réponse apportée en séance publique le 27/10/2009

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau, auteur de la question n° 643, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

Mme Gélita Hoarau. Je souhaitais attirer l'attention de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, sur l'enseignement de la langue et culture réunionnaises.

Jusqu'en juin dernier, les compléments au programme de langue et culture réunionnaises étaient élaborés par un groupe de travail de l'académie de la Réunion.

Ce programme a été présenté à la rentrée 2008 et validé pour deux années, c'est-à-dire 2008-2009 et 2009-2010. Les travaux de ce groupe pour 2009-2010 ont été interrompus, un « programme de créole » devant être établi par les services du ministère de l'éducation nationale.

Selon les enseignants de cette option, cette évolution menace l'avenir de l'enseignement de la langue et de la culture réunionnaises si certaines précautions ne sont pas prises, essentiellement deux d'entre elles.

Tout d'abord, le singulier employé dans l'expression « programme créole » pourrait laisser croire qu'il n'existe qu'une langue créole, dont le créole réunionnais serait une simple variante. C'est une fiction dont l'absurdité sur le plan scientifique est dénoncée par bon nombre de linguistes, de Robert Chaudenson à Marie-Christine Hazaël-Massieux, en passant par Lambert-Félix Prudent.

Les créoles atlantique et réunionnais ont pris naissance en des lieux séparés par un continent et presque deux océans. En d'autres termes, entre deux créolophones unilingues de ces deux régions, la communication est impossible, même si ces langues ont pour origine commune le français.

Jusqu'ici, les créoles sont enseignés, à dose homéopathique le plus souvent, en tant que langues et cultures régionales. Cela souligne une évidence : chaque créole est porteur de son histoire, de sa culture ; chaque créole est un ciment identitaire, forgé dans des conditions particulières et réductibles à nulle autre.

De plus, ce singulier à l'adjectif « créole » empêcherait la mise au point d'un programme propre à la langue et à la culture réunionnaises, programme adapté à nos besoins.

Ensuite, l'autre précaution à prendre, madame la ministre, lors de l'élaboration du programme de créole concerne les niveaux à atteindre par les élèves.

Les niveaux exigés, A1 et A2, en référence au cadre européen commun, ne sont pas en adéquation avec la réalité linguistique des jeunes Réunionnais. En effet, à quatorze ans passés, l'élève de la Réunion aura appris à donner des informations simples sur sa famille et à faire des achats en créole,…ce qu'ils font quasiment tous aujourd'hui dès le cours préparatoire !

Si ces exigences étaient retenues, le programme ferait du créole réunionnais une langue étrangère à enseigner en tant que telle, dans une société créolophone à 90% ! Face à un enseignement de sa langue maternelle aussi régressif et rédhibitoire, quel est le jeune Réunionnais qui acceptera de suivre un tel enseignement de la langue réunionnaise ?

Or l'enseignement du créole est indispensable, d'abord pour sa reconnaissance en tant que langue à part entière, avec ses règles grammaticales et sa syntaxe, ensuite pour sa survivance même.

Pour ces raisons, madame la ministre, je vous demande s'il est possible d'envisager que le programme académique provisoire de langue et culture réunionnaises devienne le programme pour les cinq années à venir ou du moins que, lors de la rédaction du programme ministériel, ces éléments soient pris en considération.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Madame Hoarau, je vous prie d'excuser le ministre de l'éducation nationale, M. Luc Chatel, qui est retenu à l'Assemblée nationale.

Je veux vous rassurer : contrairement à ce que vous indiquez, l'enseignement de la langue et de la culture réunionnaises à l'école n'est pas menacé, bien au contraire ! Cet enseignement est même dans une phase ascendante.

En effet, le nombre des enseignants habilités bilingues dans le premier degré est en fort développement. Ils étaient sept en 2002 ; ils sont cent dix en 2009. De même, le nombre de classes maternelles bilingues est passé de zéro en 2007 à seize en 2009.

Enfin, le nombre d'enseignants du second degré à la rentrée 2009 est de vingt et un : quatorze en collège, cinq en lycée, un en lycée professionnel et un titulaire en zone de remplacement, en l'occurrence, celle de Saint-Denis. Le nombre d'élèves est passé de mille deux cent six en 2008 à deux mille cent trente-neuf en 2009 ; il a donc pratiquement doublé en un an !

Les chiffres sont parlants, madame la sénatrice !

En outre, conformément au Bulletin officiel n° 19 d'avril 2002, l'Académie s'est dotée d'un Conseil académique de langue et culture réunionnaises.

Concernant le singulier employé dans l'expression « programme créole », dans le premier degré, chaque académie habilite ses propres enseignants. À la Réunion, les enseignants sont donc habilités en créole réunionnais.

Dans le second degré, chaque candidat au CAPES de créole expose dans le créole de son département.

Par ailleurs, la mise en place d'un programme décidé au niveau national doit être vue comme un témoignage de reconnaissance qui ne peut être accueilli que favorablement.

Toutefois, la réflexion académique menée au cours de ces deux dernières années à la Réunion sur les programmes et les documents d'accompagnement sera utile pour la nouvelle rédaction nationale, avant sa parution officielle.

Concernant les niveaux à atteindre, il faut d'abord prendre en compte la nécessité de traiter, au niveau national, toutes les langues de la même manière. Cependant, le niveau A 1 est un minimum qui pourra être dépassé si le niveau des élèves le permet, ce qui est le cas à la Réunion, notamment pour l'oral.

Par conséquent, le groupe de travail chargé de réfléchir à la rédaction des programmes qui seront publiés en 2010 prend bien en compte la spécificité du créole réunionnais et de sa pratique, afin d'adapter les compétences à atteindre à la réalité locale.

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Madame la ministre, je vous remercie d'avoir rappelé tous ces chiffres, que je ne remets absolument pas en question. Simplement, cette année, ce programme a été interrompu !

Distinguons donc ce qui se dit de ce qui se fait sur le terrain !

Ma question reflète l'inquiétude, et même l'angoisse, des enseignants de langue et culture réunionnaises.

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