Question de M. MADRELLE Philippe (Gironde - SOC) publiée le 09/09/2010

M. Philippe Madrelle appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur la réforme de la formation des enseignants. La suppression de l'année de formation en alternance après le concours risque d'accroître les difficultés des enseignants débutants qui devront assurer un service d'enseignement aussi lourd que celui d'un enseignant chevronné. La mise en place de masters à géométrie différente aboutira à ce que les enseignants n'auront pas tous la même formation. Cette décision gouvernementale porte atteinte au principe de la République une et indivisible en favorisant des formations à caractère propre. La circulaire du 25 février 2010 est en contradiction avec le sens de la loi Fillon du 23 avril 2005 (Loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programmes pour l'avenir de l'école). Cette dernière précise que les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) sont devenus des écoles internes des universités qui assurent la formation des maîtres. La formation dispensée dans les IUFM répond à un cahier des charges fixé par les ministres chargés de l'éducation et de l'enseignement supérieur. Elle fait alterner des périodes de formation théorique et des périodes de formation pratique. Cette circulaire du 25 février 2010 est contestable sur plusieurs points. La formation s'appuyant sur le seul compagnonnage tel qu'il apparaît dans les premiers textes ne permettra pas une formation sereine des enseignants stagiaires. On peut s'interroger sur le devenir du rôle prépondérant des IUFM dans la formation des maîtres.

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Réponse du Ministère de l'éducation nationale publiée le 03/11/2010

Réponse apportée en séance publique le 02/11/2010

M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la rentrée scolaire, de très nombreux rapports sur l'éducation ont été publiés dans notre pays. Leurs conclusions sont extrêmement alarmantes.

La gravité de tels constats exigerait des réponses fortes, capables de mettre un terme à ces échecs et de redonner au service public de l'éducation nationale un rôle prioritaire. On en est malheureusement très loin avec la réforme de la formation des enseignants, qui risque d'avoir des conséquences particulièrement néfastes sur l'ensemble du système éducatif.

La loi Fillon du 23 avril 2005, qualifiée de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, précisait le rôle des IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres. Faisant alterner des périodes de formation théorique et de formation pratique, les cours dispensés par les IUFM donnaient satisfaction. Dès lors, pourquoi avoir imposé une telle réforme souvent qualifiée d'« aberrante » par les professionnels eux-mêmes ?

Les lauréats des concours de 2009 – avant cette réforme, donc – ont accompli une année de formation en alternance, alors que les lauréats des concours de 2010 sont passés directement des connaissances théoriques universitaires à une classe. Vous serez d'accord, monsieur le ministre, pour dire que le tout jeune enseignant que l'on plonge ainsi brutalement dans une classe doit être doté de solides qualités et équilibré psychologiquement pour réussir à se faire respecter.

Pourquoi avoir pris le risque d'accroître les difficultés des enseignants débutants, qui doivent assurer un service d'enseignement aussi lourd que celui des enseignants chevronnés ?

Pour passer les épreuves orales et écrites d'un master 2 effectué en deux ans ou plus, les étudiants devront faire face à un programme d'études ambitieux, avec de très nombreuses heures de cours, sans bénéficier d'une formation pédagogique digne de ce nom. Loin de les préparer au terrain, cette « universitarisation » subite et précipitée de la formation constitue une prise de risque dangereuse pour l'étudiant qui aura à participer à une course d'obstacles particulièrement difficile. En outre, cette « universitarisation » renforcera et amplifiera les inégalités sociales en raison de temps d'études de plus en plus longs, de coûts de plus en plus lourds, sans oublier une sélection de plus en plus sévère, voire cruelle.

Monsieur le ministre, permettez-moi de souligner le caractère paradoxal de telles mesures au moment où l'on assiste à la multiplication de dispositifs d'admission préférentielle destinés à aider les élèves les plus défavorisés. Hélas, ces dispositifs ne sont que cosmétiques, largement insuffisants pour ne pas dire inopérants !

Les étudiants qui se retrouvent dans ce parcours de mastérisation mi-universitaire, mi-professionnel ne bénéficient plus de véritable formation en alternance. Ils doivent se contenter de « compagnonnage » et de « stages en responsabilité ». On peut donc s'interroger sur les modalités de formation et de rémunération de ces « compagnons ». Selon quels critères les professeurs expérimentés seront-ils appelés à exercer ce tutorat sur les étudiants ? Aucun contenu précis ni aucune définition n'ont été apportés à cette formation.

Monsieur le ministre, vous en conviendrez, cette réforme a été décidée dans la plus grande confusion. Les textes d'application restent vagues, très flous et obscurs en ce qui concerne les orientations. Chaque académie va être libre d'interpréter les textes : on peut alors craindre que la mise en concurrence des universités, déjà effective par endroits, n'accentue les inégalités entre les rectorats, les départements et les régions. Une telle réforme peut engendrer de très bons étudiants, futurs précaires de l'éducation nationale, et non pas de bons enseignants. Enseigner est un métier, un métier qui s'apprend.

Lourde à mettre en œuvre, contraire à l'égalité républicaine, une telle réforme remet en cause la continuité du service public. Force est de constater que l'éducation nationale n'échappe pas elle non plus à cette idéologie de l'ultralibéralisme qui réduit les services publics et supprime les fonctionnaires. La politique d'éducation nationale est loin d'être à la hauteur des ambitions affichées.

Comme le remarque fort justement l'écrivain, réalisateur mais aussi professeur Philippe Claudel, « quand une société n'est plus capable de reconnaître le rôle civilisateur de l'éducation, de comprendre que cette fonction est essentielle et qu'elle doit s'exercer dans des conditions satisfaisantes, elle marche sur la tête. »

M. le président. Monsieur Madrelle, je vous rappelle que le temps de parole dont dispose l'auteur de la question est de trois minutes.

La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Madrelle, le recrutement et la formation des enseignants sont des enjeux essentiels pour la performance de notre système éducatif. C'est ce qui nous a poussés à prolonger d'une année la formation de ceux-ci. Une telle mesure traduit la haute ambition que nous avons pour l'école ; nous avons ainsi aligné la durée de formation de nos enseignants sur celle de la plupart des pays développés.

Cette évolution se traduit d'abord par une exigence disciplinaire – il s'agit de recruter les meilleurs dans leur matière – mais aussi par une capacité d'adaptation à l'évolution des connaissances.

Je le dis clairement, l'excellence académique et la transmission des savoirs ne sont pas contradictoires. Le nouveau concours que nous avons instauré reflète d'ailleurs cette complémentarité : les épreuves écrites attestent de la maîtrise des savoirs à enseigner, tandis que les épreuves orales d'admission valorisent la capacité à concevoir et à développer une séquence d'enseignement.

Cependant, comme vous l'avez indiqué, l'apprentissage du métier d'enseignant passe d'abord par la pratique. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en place des séquences à la fois d'observation et de mise en situation pendant les études.

Dorénavant, en première année de master, les étudiants qui se préparent au concours effectueront 108 heures de stage d'observation et de pratique accompagnée. Lors de leur deuxième année de master, c'est-à-dire en cinquième année d'études, ils pourront même exercer la totalité des missions confiées à un enseignant à l'occasion de stages de mise en situation de 108 heures également. De plus, ils seront encadrés par des professeurs expérimentés tout au long de leur formation.

Une fois le concours obtenu, les professeurs stagiaires effectuent dorénavant des stages de formation au sein de leur académie d'accueil. C'est une nouveauté mise en place à la rentrée dernière. Ils sont ensuite accompagnés et encadrés par un professeur expérimenté dans le cadre d'un tutorat. S'effectuant sur la base du volontariat, ce tutorat est valorisé puisque chaque enseignant-tuteur perçoit une rémunération. Dans le premier degré, l'accompagnement est d'ailleurs très actif puisque ces tuteurs sont présents dans les classes, en doublon avec les professeurs stagiaires, jusqu'aux vacances d'automne.

En outre, tout au long de l'année scolaire, les professeurs stagiaires bénéficient d'une formation complémentaire sur mesure dont les heures peuvent être réparties au cours de la semaine ou groupées par séquence de formation au cours de l'année.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous avons pris toutes les dispositions pour relever le niveau de formation de nos enseignants, afin qu'il y ait une complémentarité entre le savoir disciplinaire et la pédagogie.

L'année 2010-2011 constitue une année transitoire, vous le savez, puisque les élèves qui ont été reçus au concours ont commencé leurs études sous l'ancien système. Nous ferons un premier bilan au cours du mois de novembre et, si cela était nécessaire, nous pourrions apporter des améliorations au dispositif pour la rentrée prochaine.

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais vous ne pouvez pas m'empêcher de penser qu'une telle réforme contient à terme la disparition des IUFM et des concours. L'État recrutera alors des enseignants vacataires et non plus par la voie du concours. Certes, le coût sera moins élevé, mais cet objectif d'économie à court terme et cette pure vision comptable constituent un renoncement à investir, ce qui sera encore plus coûteux à long terme. Cela montre que l'éducation nationale n'est plus une priorité dans notre pays.

C'est la raison pour laquelle, cette réforme, si mal préparée, fait l'unanimité contre elle. L'art d'enseigner ne s'improvise pas. C'est un métier exigeant et extrêmement éprouvant.

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