Question de Mme MORIN-DESAILLY Catherine (Seine-Maritime - UCR) publiée le 07/06/2012

Mme Catherine Morin-Desailly attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur le blocage dont souffre la décentralisation des enseignements artistiques.

La loi du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, comprenait un volet « enseignements artistiques » qui prévoyait un aménagement de l'exercice des compétences des acteurs publics (communes, départements, régions, État), un transfert des crédits budgétaires et une redéfinition des missions des établissements.

En juillet 2008, constatant que la loi n'était toujours pas appliquée, Mme Catherine Morin-Desailly a rédigé un rapport au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Il identifiait les blocages et formulait vingt propositions articulées autour de trois grands objectifs : définir une méthodologie pour sortir de l'impasse, mettre en œuvre la réforme avec pragmatisme et consolider la rénovation des enseignements artistiques. En juillet 2009, elle a traduit ces préconisations dans une proposition de loi. Le 29 octobre 2009, elle a initié un débat au Sénat sur ce sujet. Enfin, en octobre 2011, après un nouveau travail de suivi et d'auditions, elle a dressé un nouveau bilan, dont il ressort que seules trois régions ont appliqué la réforme, les autres étant restées en retrait. Pourtant les politiques conduites en la matière dans ces régions sont un succès. Ceci inciterait à l'optimisme pour l'avenir des enseignements artistiques si une impulsion politique était engagée pour appliquer la réforme sur l'ensemble du territoire.

Or, le Gouvernement a annoncé son souhait d'approfondir la décentralisation. La mise en œuvre de celle des enseignements artistiques pourrait donc utilement constituer une première action concrète en ce sens, preuve d'une réelle volonté politique. En outre, une telle action donnerait corps et cohérence à la récente déclaration de la ministre de la culture relative à la possibilité d'une éducation artistique de la maternelle à l'université. Celle-ci s'inscrirait ainsi dans le cadre d'un continuum de l'apprentissage artistique.

Dans ce contexte,elle souhaiterait savoir si oui, et comment, le Gouvernement envisage d'appliquer la loi sur la décentralisation des enseignements artistiques. Il est urgent que ce dossier puisse se clore par le haut.

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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 25/07/2012

Réponse apportée en séance publique le 24/07/2012

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, au moment même où se déroule le festival d'Avignon et alors que onze associations d'élus viennent de présenter leur déclaration solennelle pour « une République culturelle décentralisée », je souhaite attirer votre attention sur le sujet précis de la décentralisation des enseignements artistiques.

Le volet « enseignements artistiques » de la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004, prévoyait, en ses articles 101 et 102, une clarification de la répartition des compétences entre collectivités publiques, ainsi qu'un transfert de crédits budgétaires afin de rééquilibrer la charge financière supportée par ces dernières, notamment les communes et, le cas échéant, les intercommunalités.

Si cette loi n'opérait pas stricto sensu un transfert de compétences, elle permettait de définir les rôles respectifs des communes, départements, régions et de l'État dans un objectif louable de plus grande efficacité et de plus grande cohésion territoriale. Cela répondait aussi au souhait de favoriser la démocratisation de ces établissements et leur ouverture sur la diversité des publics et des pratiques artistiques.

En juillet 2008, constatant que la loi n'était toujours pas appliquée, j'ai rédigé, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, un rapport où j'identifiais les blocages et formulais vingt propositions, articulées autour de trois grands objectifs : définir une méthodologie pour sortir de l'impasse, mettre en œuvre la réforme avec pragmatisme, consolider la rénovation des enseignements artistiques.

J'ai d'ailleurs traduit ces préconisations dans une proposition de loi visant à préciser la loi de 2004 ; la Haute Assemblée n'en a malheureusement pas encore débattu.

Souhaitant poursuivre la réflexion, j'ai, ici même, lancé un débat avec votre prédécesseur sur ce sujet, le 29 octobre 2009.

Enfin, deux ans plus tard, pour finir de rassurer les régions - qui, je dois le dire, ont eu sur ce dossier une position changeante -, j'ai de nouveau réalisé un travail d'auditions et dressé un nouveau bilan à partir des régions ayant appliqué la réforme, Nord-Pas-de-Calais et Poitou-Charentes. Il s'avère que, dans ces régions pilotes, l'expérimentation est très positive et n'a pas entraîné le surcoût imaginé.

La plupart des acteurs que j'ai rencontrés tout au long de ces années demandent donc maintenant, démonstration faite, une mise en œuvre rapide de la loi.

Madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez a annoncé, d'une part, son souhait d'approfondir la décentralisation et, d'autre part, un plan d'éducation artistique et culturelle. Il me semble donc que la mise en œuvre de la décentralisation des enseignements artistiques pourrait utilement constituer une première action concrète en ce sens. Une telle action donnerait corps et cohérence à l'ambition d'une éducation artistique et culturelle de la maternelle à l'université, qui s'inscrirait ainsi dans un continuum de l'apprentissage artistique.

Je souhaiterais que vous me précisiez les ambitions du Gouvernement sur le sujet et les mesures que vous comptez prendre pour clore ce dossier « par le haut ».

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, tout d'abord, je vous félicite pour le travail que vous avez accompli au service des enseignements artistiques spécialisés dans l'ensemble de nos collectivités.

Vous le savez, je souhaite mettre en œuvre un nouveau partenariat entre l'État et les collectivités locales en matière culturelle dans le cadre de l'acte III de la décentralisation annoncé par le Premier ministre. Il s'agira de mieux définir le rôle de chaque échelon et de viser à une cohérence accrue des politiques portées par chacun.

L'article 101 de la loi de 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales avait précisément pour objectif de favoriser le développement d'un enseignement artistique spécialisé mieux réparti et mieux coordonné sur l'ensemble du territoire. Il visait également à améliorer les formations professionnalisantes par la création du cycle d'enseignement professionnel initial, le CEPI, et du diplôme national d'orientation professionnelle, le DNOP, dont l'organisation et le financement devaient être assurés par les régions.

Cette réforme n'a pas abouti, vous l'avez dit. Deux régions - Nord-Pas-de-Calais et Poitou-Charentes - l'ont mise en place, les autres disant qu'elles n'avaient pas reçu les compensations financières nécessaires pour assumer ces nouvelles missions.

Le travail réalisé par ces deux régions est encourageant. Mais je veux sortir de l'impasse que nous connaissons depuis 2004. C'est la raison pour laquelle je compte m'appuyer sur les résultats du dialogue que j'ai renoué avec le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, le CCTDC, au sein duquel un groupe de travail est spécifiquement consacré aux enseignements artistiques.

L'ensemble des associations d'élus ont fait part de leur accord sur une modification de l'article 101 de la loi de 2004 sur les points suivants : la région ne serait plus chargée d'organiser et de financer le CEPI, mais pourrait participer au financement des établissements ; une commission régionale des enseignements artistiques serait créée, pour conforter l'approche territoriale ; l'accès du plus grand nombre aux pratiques artistiques serait affirmé et inscrit dans la loi ; le cycle d'enseignement professionnel initial serait dénommé « cycle d'orientation professionnelle », destiné à des jeunes qui souhaitent rejoindre l'enseignement supérieur.

Vous l'avez dit, des positions divergentes ont été exprimées s'agissant de la collectivité destinataire du transfert des crédits de fonctionnement. La loi de 2004 prévoit en effet que ces crédits transitent par les régions ou par les départements. Le dialogue entre l'État et les associations d'élus devrait nous permettre de préciser les modalités d'organisation des CEPI, de définir le fonctionnement de la commission régionale des enseignements artistiques et de spécifier les objectifs des cursus d'études.

Une réflexion sur la procédure de classement par l'État des établissements, confiée à l'Inspection de la création artistique de la Direction générale de la création artistique, la DGCA, va être amorcée très rapidement. L'originalité du projet de chaque conservatoire et la valorisation des pratiques amateurs devront être mieux prises en compte, mais aussi, ce qui est également important à mes yeux, l'ouverture des conservatoires à l'ensemble de la population : il n'est pas normal que, dans certains de nos conservatoires, les parents soient obligés de faire la queue pendant des heures pour pouvoir inscrire leurs enfants dans les disciplines artistiques. Le libre accès à l'enseignement de ces disciplines doit faire partie des droits offerts à chacun de nos concitoyens.

Par ailleurs, l'offre doit être plus équilibrée entre les différents domaines du spectacle vivant.

L'évaluation de l'État pourrait se concentrer sur l'expertise qualitative et sur l'étendue des enseignements artistiques offerts, concourant ainsi à assurer l'égalité des territoires sous ces deux aspects. Les collectivités auraient la charge d'organiser l'offre territoriale, leur objectif prioritaire étant alors de permettre l'égal accès des élèves au service public de l'enseignement artistique.

C'est de ce scénario que je souhaite débattre avec le CCTDC.

Dans l'attente des conclusions de ce dialogue, je vous annonce que je prolongerai de deux années les classements des conservatoires dont le terme est fixé aujourd'hui au 11 octobre 2013. Cette proposition a d'ailleurs reçu un avis favorable des associations d'élus siégeant au CCTDC.

Les conservatoires ont un rôle essentiel à jouer pour la politique de démocratisation de l'accès aux pratiques culturelles qui est portée le Gouvernement. Cela passe par une ouverture plus large des établissements aux amateurs et par une valorisation des pratiques amateurs. Il s'agit de diversifier les publics et d'apporter des réponses différenciées en fonction des besoins des populations. Les enseignements artistiques doivent ainsi s'inscrire dans la réflexion engagée pour développer une politique d'éducation artistique et culturelle ambitieuse, prenant en compte à la fois ce qui se passe pendant le temps scolaire mais aussi en dehors de celui-ci.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions. Vous avez raison de vouloir vous appuyer sur le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, qui, je le rappelle, n'avait pas été réuni pendant des années et qui l'a été à la suite de la préconisation inscrite dans mon rapport, précisément pour qu'il débatte de cette question. C'est bien dans cette instance que nous avons pu avancer sur ce sujet.

Je reviens un instant sur le rôle des régions.

Vous avez rappelé, madame la ministre, comme je l'avais fait moi-même, que deux régions pilotes ont mené avec succès la réforme, et cela sans surcoût avéré, et vous avez ajouté que les autres régions avaient dit ne pas avoir disposé des compensations nécessaires pour mettre en œuvre la réforme.

En vérité, cette réforme, elles n'ont pas souhaité la mettre en œuvre et elles n'ont donc pas demandé le transfert de crédits : on ne pouvait pas définir les compensations nécessaires puisque le coût n'avait pas été évalué. Je l'ai évalué dans mon rapport. Dès lors, les régions peuvent être tout à fait rassurées : il n'y a absolument aucun surcoût. Je tiens tous les chiffres à votre disposition, madame la ministre.

Appuyons-nous sur les régions pilotes et sur l'expérimentation - c'est ce qu'a encore redit récemment le président de l'Observatoire des politiques culturelles de Grenoble - et soyons pragmatiques. On ne peut plus différer la mise en œuvre d'une loi attendue par tous. Car il s'agit d'ouvrir nos conservatoires au plus grand nombre, aux pratiques amateurs comme aux pratiques professionnelles. C'est, me semble-t-il, l'enjeu de cette réforme, un enjeu que nous partageons. Mais les régions auront un rôle à jouer ; sinon, nous régresserons par rapport à tout le travail qui a été accompli, gouvernement après gouvernement, pour mettre en œuvre cette vraie démocratisation de l'enseignement artistique.

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