Question de M. del PICCHIA Robert (Français établis hors de France - UMP) publiée le 13/12/2012

M. Robert del Picchia attire l'attention de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur le refus de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) de mettre en oeuvre la jurisprudence permettant d'appliquer de façon cumulative plusieurs conventions bilatérales de sécurité sociale pour calculer le taux de la retraite de nos compatriotes ayant travaillé dans deux ou plusieurs pays.

Dans un arrêt de principe du 28 mars 2003, la Cour d'appel de Caen, confirmant la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale du 22 février 2002, affirme que, si le champ d'application des conventions bilatérales ne vise, par définition, que les deux pays signataires, « aucune règle issue du droit national, communautaire ou international ne s'oppose à l'application conjointe des deux accords bilatéraux […] et aucune règle, ni même aucune contrainte d'ordre technique, n'impose en l'espèce qu'un choix entre le bénéfice de l'un ou de l'autre soit effectué par l'assuré susceptible de bénéficier de l'un et de l'autre ».

Malgré cette décision qui fait jurisprudence, la CNAV continue à ne prendre en considération que les périodes de travail dans un seul pays. La direction de la sécurité sociale justifie cette position en expliquant que les champs d'application des conventions bilatérales concernent uniquement les deux pays signataires de chaque convention, ce que nul ne conteste. Il ne s'agit pas de savoir si l'on peut inclure un pays tiers dans le champ d'application d'une convention bilatérale ni même de dire qu'un pays tiers peut être pris en compte dès lors qu'il serait lié par une convention bilatérale avec deux pays, eux-mêmes liés par une convention bilatérale. La question est de savoir si l'on peut appliquer de façon cumulative les conventions bilatérales ou si l'assuré doit effectuer un choix entre le bénéfice de l'une ou de l'autre. Lorsqu'un doute existe sur l'interprétation d'un traité ou d'une convention, il appartient aux tribunaux de trancher, pas à l'administration.

En l'occurrence, les tribunaux ont tranché et leur décision est logique. Puisqu'un pays a le droit de signer plusieurs conventions bilatérales, il doit pouvoir toutes les appliquer, sans avoir à demander l'accord de ses précédents partenaires. La Cour d'appel ayant pris le soin de préciser qu'aucune mesure réglementaire ou technique n'était nécessaire pour appliquer la règle du cumul des conventions, il lui demande de donner instruction à la CNAV et aux caisses régionales d'appliquer, sans délai, la jurisprudence.

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Réponse du Ministère chargé des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion publiée le 06/02/2013

Réponse apportée en séance publique le 05/02/2013

M. Robert del Picchia. Madame la ministre, ma question porte sur le refus de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, la CNAV, de respecter la jurisprudence permettant d'appliquer de façon cumulative plusieurs conventions bilatérales de sécurité sociale pour le calcul du taux de la retraite de nos compatriotes ayant travaillé dans deux ou plusieurs pays.

Prenons l'exemple d'une personne ayant travaillé deux ans en France, puis vingt ans en Belgique et, pour finir, vingt ans aux États-Unis.

Sur ces quarante-deux années de travail, la CNAV n'en retiendra que vingt-deux : les deux années en France, complétées soit par les vingt années effectuées en Belgique, soit par les vingt années effectuées aux États-Unis.

Voilà donc une personne ayant effectué une carrière complète, qui devrait par conséquent pouvoir bénéficier du taux plein pour le calcul de sa retraite, mais à qui la CNAV n'accorde qu'un taux réduit, et même le taux minimum !

Dans un arrêt de principe du 28 mars 2003, la Cour d'appel de Caen, confirmant la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale du 22 février 2002, affirme qu'« aucune règle issue du droit national, communautaire ou international ne s'oppose à l'application conjointe des deux accords bilatéraux [...] et aucune règle, ni même aucune contrainte d'ordre technique, n'impose en l'espèce qu'un choix entre le bénéfice de l'un ou de l'autre soit effectué par l'assuré susceptible de bénéficier de l'un et de l'autre ».

Madame la ministre, comme ce n'est pas la première fois que je pose cette question, je vous demanderai de nous épargner les pseudo-arguments de la direction de la sécurité sociale sur les champs d'application des conventions bilatérales. Personne ne conteste en effet que les conventions bilatérales ne concernent que les deux parties signataires !

La question n'est pas de savoir si l'on peut inclure un pays tiers dans le champ d'application d'une convention bilatérale, ni même de dire qu'un pays tiers peut être pris en compte dès lors qu'il serait lié par une convention bilatérale avec deux pays, eux-mêmes liés par une convention bilatérale.

La question est de savoir si l'on peut appliquer de façon cumulative des conventions bilatérales ou si l'assuré doit effectuer un choix entre le bénéfice de l'une ou de l'autre.

C'est du moins la question que se pose la CNAV, puisqu'il est évident pour tout le monde qu'à partir du moment où un État n'a pas à demander l'avis de ses précédents partenaires avant de signer une nouvelle convention avec un nouveau partenaire, il n'a pas à demander leur avis pour appliquer la nouvelle convention. Par exemple, si la France signe une convention avec l'Espagne, elle n'a pas à se demander s'il en existe déjà une avec le Portugal.

Les tribunaux ont répondu sans ambiguïté à cette question, confirmant qu'on pouvait cumuler les conventions. La Cour d'appel de Caen a même pris le soin de préciser qu'aucune mesure réglementaire ou technique n'était nécessaire pour appliquer la règle du cumul.

Madame la ministre, l'administration étant soumise au droit et au principe de légalité, elle doit se conformer à l'interprétation normative des tribunaux. Cela permet, vous en conviendrez, de protéger les citoyens contre l'arbitraire. Dès lors, au nom des retraités injustement pénalisés par le non-respect du droit, je vous demande de bien vouloir donner instruction à la CNAV et aux caisses régionales de respecter l'ordre juridique et d'appliquer sans délai la jurisprudence.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, la France est liée à presque quarante États à travers le monde par des conventions de sécurité sociale, afin que la mobilité de nos concitoyens soit facilitée par la mise en œuvre de règles bilatérales permettant d'assurer une continuité de leurs droits en matière de sécurité sociale.

Si l'on ajoute les vingt-sept États de l'Union européenne, les trois États de l'Association européenne de libre-échange qui sont liés à l'Union européenne par l'accord de l'espace économique européen, à savoir l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège, ainsi que la Suisse, liée à l'Union européenne par un accord sur la libre circulation des personnes, le réseau français de sécurité sociale s'étend à soixante-huit États. Comparé à ceux de nos principaux partenaires, il est l'un des plus importants. La plupart des pays de l'Union européenne n'ont signé en effet qu'une dizaine de conventions avec des pays autres que les États membres.

Les conventions bilatérales de sécurité sociale signées par la France avec des pays étrangers reposent sur les deux principes fondamentaux de réciprocité et d'exportabilité des pensions de retraite acquises. En effet, le pays signataire d'une convention bilatérale avec la France s'engage à reconnaître la même durée d'assurance vieillesse que la France et à rendre exportable la pension de retraite due sur ces bases. Le champ de ces accords bilatéraux est limité en outre par des champs d'application - personnel, matériel et géographique -, qui rendent imperméables les dispositions d'une convention bilatérale par rapport à une autre, sauf accord des parties pour étendre le bénéfice de la convention.

Une convention bilatérale ne peut donc inclure un pays tiers qu'avec l'accord des deux pays signataires, et non uniquement de la France. Pour cette raison, de nombreuses conventions bilatérales ne reconnaissent pas encore, à ce stade, les périodes d'activité effectuées dans des pays tiers.

Il existe certes un arrêt d'une cour d'appel faisant droit à la demande d'un requérant que soit pris en compte simultanément des périodes d'assurance, même si celles-ci relèvent de deux conventions bilatérales différentes. Selon la juridiction, bien qu'il n'existe pas de convention entre la Nouvelle-Calédonie et le Gabon en la matière, le cumul est possible, car il n'est pas interdit.

Toutefois, ce raisonnement, qui ne tient pas compte de la limite des engagements réciproques agréés entre États souverains dans le cadre de conventions internationales, ne peut être considéré comme étant à l'origine d'une jurisprudence ayant été validée par l'arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2004.

En effet, le recours en cassation de la caisse régionale d'assurance maladie de Normandie portait uniquement sur la restitution de la portion de pension de l'intéressé correspondant au versement qu'il avait effectué au titre de l'assurance volontaire pour atteindre le taux plein au titre de sa pension française.

L'arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2004 ne se prononce donc pas sur la solution proposée par la cour d'appel. Il confirme simplement que le remboursement des sommes versées par le requérant au titre d'un rachat volontaire de périodes ne doit pas donner lieu à la restitution des sommes perçues par celui-ci, car c'est à bon droit que la cour d'appel a jugé souverainement que ce supplément de pension constituait les dommages et intérêts demandés par le requérant.

Toutefois, une telle difficulté peut effectivement se révéler délicate à gérer, en particulier quand un assuré ne peut se prévaloir du taux plein pour sa retraite, faute de reconnaissance réciproque entre les États parties dans le cadre des conventions bilatérales de sécurité sociale.

Pour remédier à l'absence de prise en compte simultanée des périodes acquises sous l'empire de deux ou plusieurs conventions bilatérales, les conventions de sécurité sociale signées ou modifiées récemment prennent en compte cette préoccupation, puisqu'elles incluent les pays tiers dès lors qu'ils sont liés par convention aux deux autres pays signataires.

C'est le cas, par exemple, des conventions signées récemment avec l'Uruguay et l'Inde. Un tel souci sous-tend ainsi la dynamique actuelle d'élaboration des conventions et s'étend même progressivement aux conventions déjà signées, comme, notamment, celle avec le Maroc.

Par ailleurs, il convient de rappeler que les Français expatriés qui le souhaitent peuvent cotiser volontairement à l'assurance volontaire vieillesse, l'AVV, qui permet une reconstitution parfaite des droits à l'assurance vieillesse de l'affilié, quel que soit le pays où il se trouve.

Enfin, la loi portant réforme des retraites de novembre 2010 prévoit un droit à l'information des assurés expatriés en matière de retraite. En conséquence, un groupe de travail dédié à ce sujet a été mis en place en avril 2011 au sein du GIP Info Retraite. Il traitera notamment de la manière optimale d'informer les futurs expatriés sur leurs droits, ainsi que sur leur possibilité d'adhérer à l'assurance volontaire vieillesse.

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Madame la ministre, j'entends bien vos arguments, qui ont d'ailleurs été déjà invoqués ici : nous avons en effet obtenu quasiment les mêmes réponses à cette question !

Vous nous dites que ces assurés n'ont qu'à prendre une assurance complémentaire. Or, si la France a signé des conventions de sécurité sociale, c'est précisément pour leur éviter de payer deux fois, puisqu'ils sont obligés, dans ces pays étrangers, de cotiser pour leur retraite.

On a l'impression que le droit, en dépit des décisions rendues, ne sert à rien ! Certes, l'affaire est délicate, et je ne vous accuse pas personnellement, madame la ministre, ni même le gouvernement auquel vous appartenez. En effet, les réponses qui m'ont été faites sous les gouvernements précédents étaient identiques.

À quelqu'un qui a déjà payé ses cotisations durant quarante-deux ans, on répond qu'il aurait dû prendre une assurance complémentaire ! Peut-être aurait-il fallu le lui dire plus tôt. Vous affirmez que, désormais, l'information sera donnée. Mais à tous ceux dont la carrière est derrière eux et qui ont déjà payé, que proposez-vous ? Repartir pour quarante-deux ans maintenant qu'ils sont informés ?

Je suis très naïf, madame la ministre, car j'ai cru que nous arriverions à faire comprendre le problème. Malheureusement, malgré tous les moyens que j'ai pu mettre en œuvre, je n'ai obtenu que des réponses négatives. Ayant posé la même question orale au gouvernement précédent, j'avais eu à peu près la même réponse. La vôtre, certes, est beaucoup plus technique et complète. Nous allons l'étudier. Mais je vous le dis franchement, je sais bien ce que me diront les retraités à qui je la montrerai : mon cher ami sénateur, nous espérions plus d'un gouvernement socialiste !

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