Question de Mme BRUGUIÈRE Marie-Thérèse (Hérault - UMP-A) publiée le 02/05/2013

Mme Marie-Thérèse Bruguière attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur l'enseignement de la langue des signes pour les enfants sourds.

Bien que la plupart des travaux linguistiques, sociologiques et psychologiques démontrent la nécessité, pour l'enfant, d'accéder le plus tôt possible à cette langue, seulement 5 % des jeunes sourds ont accès à un dispositif d'enseignement en langue des signes française (LSF). La législation favorisant l'enseignement par l'éducation nationale de cette langue existe mais souffre d'un manque d'application.

En conséquence, elle souhaite savoir quelles sont les intentions du Gouvernement dans ce domaine et si des mesures sont prévues pour rendre effective la LSF comme langue d'enseignement.

- page 1384


Réponse du Ministère de l'éducation nationale publiée le 24/07/2013

Réponse apportée en séance publique le 23/07/2013

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, en remplacement de Mme Marie-Thérèse Bruguière, auteur de la question n° 459, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. René-Paul Savary. Tout d'abord, je vous prie d'excuser l'absence de Mme Bruguière, convalescente après une intervention chirurgicale. Mais je vous rassure, mes chers collègues : tout se passe bien.

Dans le contexte de la discussion sur la refondation de l'école de la République, la question que ma collègue Marie-Thérèse Bruguière m'a demandé de vous poser, monsieur le ministre, concerne l'enseignement de la langue des signes pour les enfants sourds.

Après Étienne de Fay en 1710, premier professeur sourd à enseigner en langue des signes, l'abbé de l'Épée ouvre en 1760 la première école destinée aux jeunes sourds à Paris. Il instaure une véritable éducation en langue des signes en démontrant par là même l'importance que revêt la constitution de groupes d'enfants sourds pour le développement du langage de ces enfants. Pour la première fois, on reconnaît que les gestes peuvent exprimer la pensée humaine autant qu'une langue orale.

La langue des signes va s'imposer progressivement. Son essor et l'accès à l'enseignement permettent alors aux sourds d'exercer de vrais métiers et de se regrouper en associations.

La langue des signes est axée sur l'appréhension visuelle et gestuelle du monde. Les enfants sourds perçoivent avec leurs yeux, parlent avec leurs mains et cela avec autant de richesse et de facilité que le font les enfants entendants s'exprimant dans une langue vocale.

Bien que la plupart des travaux linguistiques, sociologiques et psychologiques démontrent la nécessité pour l'enfant d'accéder le plus tôt possible à la langue des signes, la quasi-totalité des enfants sourds ne peut toujours pas la découvrir, alors même qu'a été très largement prouvé combien la pratique précoce de la langue des signes favorisait le désir d'aller vers d'autres formes langagières orales ou écrites.

La langue des signes française est parfois présente dans les lieux d'éducation ou de rééducation, mais le plus généralement de manière très réduite. Certaines associations déplorent aussi l'orientation éducative actuelle visant à dissoudre les groupes d'enfants sourds en les plaçant seuls en intégration dans leur école de quartier. Cela conduit à la fois à isoler ces enfants d'une relation enrichissante avec leurs pairs et à ôter par là même sa vitalité à la langue des signes française. Les spécialistes s'accordent pourtant sur ce point : si l'on veut que les enfants sourds accèdent au français écrit dans toute sa richesse littéraire, il est indispensable de constituer des groupes d'enfants signeurs parlant une langue des signes de grande qualité.

En dépit de la législation existante, le constat est aujourd'hui encore dramatique : seulement 5 % des jeunes sourds ont accès à un dispositif d'enseignement en langue des signes française.

Or la législation française favorisant l'enseignement de cette langue par l'éducation nationale existe mais souffre d'un manque d'application depuis déjà un certain temps.

Monsieur le ministre, au-delà des discours, la législation actuelle en matière de « libre choix de communication » se révèle donc dans les faits inégalitaire et discriminatoire puisqu'elle ne met pas en place les véritables conditions d'accès à cette langue au bénéfice des familles et des enfants sourds eux-mêmes.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer, à Marie-Thérèse Bruguière et à moi-même, quels sont les projets du Gouvernement concernant l'enseignement de la langue des signes pour tous les enfants sourds, et au-delà, pour les parents, afin que ceux qui le souhaitent puissent recevoir gratuitement une formation en langue des signes française et que les enseignants sourds bénéficient d'un véritable statut d'enseignant correspondant à leurs compétences.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir transmettre à Mme Bruguière tous mes vœux de prompt rétablissement.

Je profite de la question que vous soulevez aujourd'hui pour rappeler ma conviction et mon engagement au sujet de l'école inclusive.

Je l'entendais encore récemment, il y a les « diseux » et les « faiseux ». En l'espace d'un an, vous le savez, la priorité accordée à l'école inclusive a été fortement affirmée, ou plutôt réaffirmée. En effet, si le principe de l'école inclusive a été pour la première fois posé dans la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, à laquelle vous avez participé activement au cours des débats, il n'en est pas moins vrai que l'idée en a été lancée par François Fillon en 2005.

Cependant, à partir de 2010, je le redis, notre pays n'a pas consacré à ce projet d'une grande ampleur les moyens nécessaires et, après quelques années d'efforts, la situation s'est même fortement détériorée.

Aussi, dès notre arrivée au Gouvernement, dans ce qui a été appelé « le plan d'urgence de la rentrée 2012 », j'ai souhaité - le Président de la République et le Premier ministre me l'ont accordée - la création en urgence de 1 500 postes d'auxiliaires de vie scolaire pour l'aide individuelle et de 2 300 postes d'auxiliaires de vie scolaire pour l'aide mutualisée.

Ensuite, le 16 octobre dernier, sous l'impulsion forte du Parlement, en particulier du Sénat, Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative et Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, ont installé un groupe de travail sur les questions de pérennisation et de formation des emplois d'auxiliaires de vie scolaire, dans la suite du rapport de Mme Komitès.

Vous le savez, nous cheminons vers la CDIsation de ces personnels tant attendue depuis de nombreuses années.

Par ailleurs, pour la rentrée, j'ai obtenu 10 000 contrats aidés. Pour la première fois, il s'agira de contrats sur plusieurs années. Ils donneront lieu, ce qui a toujours été un problème majeur pour les uns et pour les autres, à une véritable formation pour accompagner des enfants en situation de handicap.

Vous savez également que, sur ma demande, dans le cadre des écoles supérieures du professorat et de l'éducation, qui seront créées à la rentrée, un module de formation sur la prise en charge dans les classes des enfants en situation de handicap sera proposé à tous les enseignants et à tous les personnels de l'éducation nationale qui intégreront ces écoles. Ça n'a d'ailleurs pas été simple à mettre en œuvre.

La détermination du Gouvernement est donc entière sur ce sujet, car il s'agit d'une question où l'on voit vraiment la différence entre les paroles et les actes. Un pays comme le nôtre peut s'honorer de progresser, je l'espère dans un consensus national, dans la prise en charge de ceux qui ont besoin d'être intégrés et d'avoir accès dans notre République à l'école.

Dans le rapport annexé du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, à la suite des propositions du Sénat, en particulier de la sénatrice Dominique Gillot, nous avons modifié les éléments juridiques et précisé que « Les élèves sourds auront accès à un parcours scolaire en communication bilingue (enseignement en langue des signes et langue française) ou en communication en langue française (enseignement en français oral avec langage parlé complété et français écrit). Pour cela, des dispositifs adaptés à cette scolarisation seront développés par le regroupement des élèves dans une même classe - ce qui répond à une partie de votre question - ou la mutualisation des moyens nécessaires dans un même établissement à l'échelle académique. » La logique n'est donc pas d'isoler ces élèves, elle est, au contraire, de les regrouper et de leur donner des moyens.

Aujourd'hui, 6 000 à 7 000 élèves présentent des troubles de l'audition. Des pôles pour l'accompagnement à la scolarisation des jeunes sourds, les PASS, ont été créés en 2010 pour permettre à tous les élèves sourds, quel que soit le mode de communication choisi par leur famille, de suivre un enseignement au plus près possible - là est souvent la question - d'une scolarisation ordinaire sans se focaliser sur la seule langue des signes française, la LSF.

Les PASS ont pour vocation de donner à chaque élève la possibilité de choisir son mode de communication, sans qu'aucune hiérarchie ne soit établie entre la LSF et le langage parlé complété, le LPC.

Les pôles, actuellement au nombre de trente-deux, sont articulés autour d'un réseau de personnes ressources constitué de médiateurs pédagogiques choisis parmi les professeurs du premier ou du second degré.

Dans un rapport remis en juillet 2012, que j'ai rendu public comme tous les rapports de cette institution, l'Inspection générale de l'éducation nationale a mis l'accent sur les difficultés réelles liées à la mise en place du dispositif et en particulier sur la question de la ressource enseignante capable de proposer ces modes de communication. C'est une question que vous avez évoquée et c'est la première limite à laquelle nous nous heurtons aujourd'hui.

J'ai donc souhaité que nous puissions contourner cette difficulté structurelle en mobilisant - j'ai demandé aux services académiques d'agir dans cette direction - les professionnels et les associations de parents d'enfants sourds, seuls capables de déterminer quelles sont les meilleures conditions de scolarisation. Toutes les compétences, comme vous l'avez souhaité, doivent être reconnues. J'encourage nettement l'ensemble des académies à mutualiser aussi les moyens à leur disposition afin de prendre en charge le plus efficacement possible ces élèves.

Nous avons devant nous un travail de longue haleine. Nous aurons à franchir encore de nombreuses étapes, d'ordre culturel et matériel, mais aussi en termes de formation. Croyez que notre détermination est entière. Le Sénat nous a déjà accompagnés dans les premiers progrès. Nous sommes heureux de poursuivre avec vous cette lutte, qui est importante.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Je vous remercie, monsieur le ministre, de la précision de votre réponse en deuxième partie d'intervention. En effet, dans la première partie, vous avez rappelé votre loi pour la refondation de l'école et vous en avez fait la promotion, ce que je comprends bien volontiers.

Effectivement, depuis 1991, des lois permettaient de prendre véritablement en compte le problème évoqué. En 2005, la loi sur le handicap a apporté un certain nombre d'améliorations. Elle prévoit un traitement bien spécifique pour les handicaps sensoriels avec une prestation de compensation forfaitaire pour les personnes en situation de surdité. C'est peut-être un moyen de faire avancer les choses.

Il n'empêche que, dès 1998, un rapport sur le droit des sourds a fait état d'un illettrisme très important parmi les personnes sourdes. C'est la raison pour laquelle il faut véritablement s'atteler à ce problème. J'ai cru comprendre, au travers de votre réponse, que vous étiez déterminé. Je tiens à vous en remercier, au nom de Mme Bruguière.

- page 7553

Page mise à jour le