Question de M. VAUGRENARD Yannick (Loire-Atlantique - SOC) publiée le 10/10/2013

M. Yannick Vaugrenard attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le dossier de l'adoption plénière d'enfants nés en Haïti et rapatriés en France au début de 2010, à la suite du séisme qui s'y est produit le 12 janvier 2010. Le traitement équitable des familles adoptantes et de leurs enfants est compromis par l'application de la circulaire adressée aux procureurs et datée du 22 décembre 2010. Prenant prétexte de ce que les autorités haïtiennes auraient décidé de ne plus légaliser la signature des notaires sur les consentements, elle leur demande d'opposer un avis défavorable aux requêtes des familles de conversion en adoption plénière. La loi haïtienne sur l'adoption prévoit que, dans sa nouvelle famille, l'adopté a les mêmes droits et les mêmes obligations que ceux résultant d'une filiation biologique légitime ou naturelle. Haïti fait, aujourd'hui, évoluer son dispositif législatif pour reconnaître l'adoption simple et l'adoption plénière. Jusqu'à présent, les adoptions étaient prononcées par les tribunaux d'Haïti, avec le consentement éclairé légalisé, document notarié par lequel les parents biologiques donnent leur accord irrévocable pour que l'adoption devienne plénière en France. Les parents adoptifs pouvaient ainsi obtenir, en France, un jugement d'adoption plénière auprès de leur tribunal de grande instance. La fin de la légalisation de la signature des notaires compromettant, aux yeux du précédent garde des sceaux, la validité du document par lequel l'adoption des enfants originaires d'Haïti devient plénière en France, il a émis la circulaire de 2010, aux conséquences désastreuses et, tout particulièrement, sur les procédures d'adoption déjà engagées. Elle s'est, en effet, appliquée sans délai. Sa prise en compte a été et demeure extrêmement variable d'un tribunal de grande instance(TGI) à l'autre. En effet, si certains procureurs émettent un avis défavorable, certaines familles ont pu obtenir, malgré tout, une adoption plénière. Il souligne que des familles des Pays-de-la-Loire se sentent, de fait, lésées par les décisions leur refusant une adoption plénière, alors même que leur dossier est identique à celui d'autres familles situées sur d'autres départements et dépendant d'un autre TGI. Il s'interroge, également, sur les conséquences que va avoir la nouvelle loi sur l'adoption, votée en Haïti en août 2013, sur les procédures en cours. Il lui demande, par conséquent, si elle a l'intention de demander à ses services de réexaminer la circulaire de 2010, en bonne entente avec les autorités haïtiennes, et quel va être son suivi du dossier, afin de débloquer des situations pénalisantes pour des enfants qui ont commencé à prendre leurs racines dans leur famille française.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 18/12/2013

Réponse apportée en séance publique le 17/12/2013

M. Yannick Vaugrenard. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le dossier de l'adoption plénière d'enfants nés en Haïti et arrivés en France au début de 2010, à la suite du séisme survenu le 12 janvier de la même année.

Le traitement équitable des familles adoptantes et de leurs enfants est compromis par l'application de la circulaire adressée aux procureurs en date du 22 décembre 2010. Prenant prétexte de ce que les autorités haïtiennes auraient décidé de ne plus légaliser la signature des notaires sur les consentements, elle leur demande d'opposer un avis défavorable aux requêtes de conversion en adoption plénière présentées par les familles.

La loi haïtienne sur l'adoption prévoit que l'adopté a, dans sa nouvelle famille, les mêmes droits et les mêmes obligations que ceux qui résultent d'une filiation biologique légitime ou naturelle. Aujourd'hui, Haïti fait évoluer son dispositif législatif afin de reconnaître l'adoption plénière.

Jusqu'à présent, toutefois, les adoptions étaient prononcées par les tribunaux d'Haïti avec le consentement éclairé et légalisé, un document notarié par lequel les parents biologiques donnent leur accord irrévocable pour que l'adoption devienne plénière en France. Les parents adoptifs pouvaient ainsi obtenir un jugement d'adoption plénière auprès du tribunal de grande instance de leur lieu de résidence.

Pour le précédent garde des sceaux, la fin de la légalisation de la signature des notaires compromettait la validité du document par lequel l'adoption des enfants originaires d'Haïti devient plénière en France. Il a donc émis la circulaire de 2010 précitée, dont les conséquences ont été désastreuses, tout particulièrement sur les procédures d'adoption déjà engagées.

Cette circulaire s'est appliquée sans délai. Toutefois, sa prise en compte a été, et demeure, extrêmement variable d'un tribunal de grande instance à l'autre. En effet, si certains procureurs émettent un avis défavorable, certaines familles ont pu obtenir, malgré tout, une adoption plénière. Je veux souligner que des familles se sentent lésées par des décisions leur refusant une adoption plénière, alors même que leur dossier est identique à celui d'autres familles vivant dans d'autres départements et relevant donc d'un autre tribunal de grande instance, dont la demande a connu une issue favorable. D'une certaine manière, ces jugements à géométrie variable contreviennent au principe de l'unicité de la République.

Je m'interroge également sur les conséquences qu'emportera, pour les procédures en cours, l'application de la nouvelle loi sur l'adoption votée en Haïti en août dernier. En effet, après la promulgation de cette loi, les légalisations devraient devenir beaucoup plus aisées.

Madame la ministre, je souhaite par conséquent savoir si vous avez l'intention de demander à vos services de réexaminer la circulaire de 2010, en concertation avec les autorités haïtiennes. Comment comptez-vous suivre le dossier afin de débloquer des situations pénalisantes pour des enfants qui ont commencé à trouver leurs racines dans leur famille française ? Comptez-vous intervenir pour mettre fin aux différences de traitement constatées selon les juridictions ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le dossier est extrêmement sensible et à forte charge émotionnelle, comme le sont tous les contentieux impliquant des enfants.

Concernant votre observation relative à une différence de traitement selon les juridictions, la direction des affaires civiles et du sceau, interrogée par mes soins, n'a pas eu connaissance de remontées du terrain faisant état d'une diversité des jugements, et je ne dispose donc pas d'éléments précis sur ce point. Si vous en avez, je vous remercie par avance de bien vouloir me les communiquer, car nous sommes nous aussi très soucieux de l'unité des jugements, comme en témoigne le travail que nous avons engagé pour rapprocher les jurisprudences à tous les niveaux.

En ce qui concerne l'adoption d'enfants haïtiens par des familles françaises, un accord avait été conclu, après le séisme, entre l'ambassade de France et le Premier ministre de la République d'Haïti afin de faciliter la procédure pour 300 enfants en cours d'adoption. Une circulaire avait été prise sur cette base, mais, en 2009, le commissaire au Gouvernement d'Haïti a considéré que les conditions de transformation d'une adoption simple en adoption plénière n'étaient pas conformes au décret de 1974. Il a alors été précisé, dans la circulaire, que les adoptions devraient être légalisées. Il n'existe pas de convention bilatérale entre Haïti et la France qui aurait permis de se dispenser de cette formalité. La République d'Haïti n'avait pas, alors, ratifié la convention de La Haye. Elle l'a fait récemment, et une loi adoptée en août 2013, dont nous attendons la promulgation, en tire les conséquences. Cela facilitera les choses.

Pour l'heure, l'adoption simple permet déjà la prise en charge des enfants et l'autorité parentale exclusive, ainsi que l'attribution du nom et l'engagement des démarches en matière de déclaration de nationalité française. À leur majorité, les enfants adoptés pourront faire le choix d'une adoption plénière. Néanmoins, il est exact que, dans l'attente que la promulgation de la loi produise ses effets, la situation actuelle pose question. Je la sais douloureuse pour les familles françaises : elles n'ont pas compris la position de la République d'Haïti, que nous sommes cependant tenus de respecter, comme l'ont confirmé la Cour de cassation et le Conseil d'État, saisi pour abus de pouvoir. Nous sommes également obligés de respecter les effets qui découleront de la ratification par Haïti de la convention de La Haye.

Nous allons étudier avec la République d'Haïti la possibilité de trouver une solution sécurisante pour les familles et les enfants, concernant toutes les adoptions antérieures à l'entrée en vigueur de la loi d'août 2013.

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

L'adoption plénière a été accordée sans problème par les tribunaux de grande instance de Bourges, de Poitiers et d'Angers, tandis que celui de Nantes a rejeté les demandes de sept ou huit familles présentant des dossiers en tous points similaires.

Ce sont des situations douloureuses, vécues difficilement par les familles et les enfants concernés, qui commencent à grandir. La ratification par Haïti de la convention de La Haye pourra-t-elle avoir un effet rétroactif en matière d'adoption plénière ? Je sais que la chose est compliquée, mais cela permettrait de rassurer les familles et les enfants.

Quoi qu'il en soit, j'ai pris bonne note de votre réponse, madame la ministre, et j'espère que ce dossier pourra avancer dans les mois à venir. Je vous remercie par avance de vos efforts en ce sens.

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