Question de M. COURTEAU Roland (Aude - SOC) publiée le 12/12/2013

M. Roland Courteau attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur l'intervention grandissante, sur le territoire français et, en particulier, en Languedoc-Roussillon, d'entreprises établies dans un autre État membre de l'Union européenne, agissant en dehors du cadre réglementaire français et pouvant, de ce fait, obtenir des marchés à des prix que les entreprises établies en France ne peuvent soutenir.

Ainsi, la recherche systématique du prix le plus bas par le maître d'ouvrage favorise cette concurrence, laquelle, se nourrit du « dumping » social.

Il lui indique que, sans remettre en cause la libre prestation de services dans le cadre du marché unique européen, dès lors que celle-ci s'exerce en conformité avec les règles légales, force est de constater que la loi sur le détachement de salariés est facilement contournée par les entreprises à bas coûts qui mettent à profit les fossés sociaux et fiscaux existant entre les pays membres.

Dès lors, les régimes de prestation de services et de détachement sont détournés pour conduire à de véritables filières de mise à disposition de personnel, sans respect des règles de droit du travail et sans que soient assumées les charges qui s'appliquent aux entreprises françaises.

Ainsi, par exemple, sont proposés, par courriers, des services de recrutement d'ouvriers polonais en contrat de détachement, précisant que le taux horaire du détachement d'un salarié se situe entre 14,50 € et 17,50 €, ce montant comprenant salaire, charges sociales, indemnités des congés payés, etc. Ce taux horaire étant à comparer avec le taux horaire moyen en France, qui est de l'ordre de 34 €.

À signaler également qu'entre les dix-sept pays membres de l'euro, le coût du travail horaire, calculé en additionnant les salaires et traitements aux charges sociales, va de 8,10 € en Estonie à 39,30 € en Belgique.

Il l'interroge, donc, sur de telles pratiques, destructrices d'entreprises et d'emplois locaux, et lui demande quelles initiatives permettant d'y mettre un terme peuvent être prises dans les meilleurs délais.

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Transmise au Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social


Réponse du Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social publiée le 05/02/2014

Réponse apportée en séance publique le 04/02/2014

M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, ma question, qui rejoint celle qui vient d'être posée, fait suite à l'intervention grandissante, sur le territoire français, en particulier en Languedoc-Roussillon, d'entreprises établies dans un autre État membre de l'Union européenne, lesquelles agissent en dehors du cadre réglementaire français, ce qui leur permet ainsi d'obtenir des marchés à des prix que les entreprises établies en France ne peuvent soutenir.

Par ailleurs, comme vous le savez, la pratique des détachements est devenue un problème majeur. Et, sous couvert de libre circulation, un véritable dumping social se développe.

Certes, il n'est pas question de remettre en cause la libre prestation de services dans le cadre du marché unique européen, dès lors que celle-ci s'exerce en conformité avec les règles légales.

Mais force est de le constater, la loi sur le détachement de salariés est facilement contournée par les entreprises à bas coûts qui mettent à profit les fossés sociaux et fiscaux existant entre les pays membres.

J'observe que les régimes de prestation de services et de détachement sont détournés pour conduire à de véritables filières de mise à disposition de personnel, sans respect des règles de droit du travail et sans que soient assumées les charges qui s'appliquent aux entreprises françaises.

Ainsi, par exemple, sont proposés par courrier des services de recrutement d'ouvriers polonais en contrat de détachement dont les taux horaires se situent entre 14,50 euros et 17,50 euros, salaire, charges sociales, indemnités de congés payés compris... Il faut comparer ces montants avec le taux horaire moyen en France, plusieurs fois supérieur.

Je veux signaler également qu'au sein des dix-sept pays membres de la zone euro, le coût du travail horaire, calculé en additionnant salaires et traitements aux charges sociales, va de 8,10 euros en Estonie à 39,30 euros en Belgique.

Enfin, il n'est pas acceptable qu'une entreprise étrangère ne respecte pas l'ensemble des droits sociaux et fiscaux des pays où s'effectue le travail. De plus, cette impunité - quasiment garantie durant des années -, dont ont bénéficié ces dérives est vécue comme une très grande injustice et une concurrence déloyale par ceux qui, en France, s'efforcent de respecter les règles.

Bref, de nouveaux garde-fous contre le dumping social sont absolument nécessaires. Il n'est pas moins indispensable d'établir toutes les responsabilités dès lors que des agissements frauduleux sont constatés.

Le 9 décembre dernier, monsieur le ministre, vous avez obtenu de vos collègues européens un accord sur un renforcement des contrôles afin de lutter contre les dérives relatives au statut des travailleurs détachés, notamment en responsabilisant les sous-traitants.

J'apprécie d'autant plus votre action que le phénomène que je dénonce est particulièrement dévastateur pour les entreprises françaises du bâtiment, et donc pour l'emploi. La région Languedoc-Roussillon souffre particulièrement de ces dérives : 4 200 emplois ont été perdus entre 2007 et 2012 dans ce secteur !

Pouvez-vous, à la suite de l'accord obtenu à l'échelon européen, me faire connaître les mesures que vous entendez prendre pour mettre enfin un terme à de telles pratiques.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, je vais placer ma réponse dans le prolongement de celle que je viens de faire à M. Reichardt.

Dans le secteur du bâtiment, puisque c'est principalement celui sur lequel vous m'interrogez, les dérives, manifestes et massives, s'appuient sur des mécanismes extrêmement sophistiqués : s'il existe bien un donneur d'ordre, ce dernier va s'adresser à un sous-traitant, qui s'adressera à un autre sous-traitant d'une nationalité différente, lequel s'adressera à son tour à un autre sous-traitant, d'une nationalité encore différente...

Afin de lutter efficacement contre ces dérives et de rendre le donneur d'ordre responsable de ce qui se passe sur son chantier, il fallait mettre en place, sur l'ensemble du territoire européen, une obligation permettant d'engager la responsabilité des donneurs d'ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants.

C'est là le cœur de la décision du 9 décembre dernier qui, je le rappelle, n'a pas été prise à l'unanimité. Certains pays sont restés sur cette position extrêmement dogmatique - je pense en particulier à la Grande-Bretagne - selon laquelle le laisser-faire vaut toujours mieux que la réglementation. Non ! À un moment donné, la réglementation est nécessaire pour permettre d'éviter ces dérives extrêmement préjudiciables aux salariés comme au tissu économique lui-même.

Cette responsabilité solidaire va donc être instaurée sur l'ensemble du territoire européen. Sans attendre, vous aurez, je le répète, mesdames, messieurs les sénateurs, à débattre dans les semaines qui viennent de la mise en place de cette responsabilité dans tous les secteurs, notamment celui du bâtiment où cela est particulièrement nécessaire.

La législation française sera en conformité avec la future directive avant même que celle-ci ne soit définitivement adoptée par le Parlement européen ! Il s'agit d'un progrès considérable, qui peut être mis en place extrêmement rapidement.

Je terminerai, monsieur le sénateur, en disant que la situation que vous décrivez en Languedoc-Roussillon existe aussi dans de nombreuses autres régions du territoire français. Nous le constatons, la proximité des frontières peut faciliter l'apparition de mécanismes délictueux.

Toutefois, je voudrais que chacun prenne ses responsabilités. En effet, si certaines dérives ont été dénoncées sur le territoire national, c'est aussi parce que des entreprises françaises les ont acceptées. Les mêmes qui vont se plaindre, à juste titre, d'abus ayant des conséquences catastrophiques sur l'emploi en France, sont aussi celles qui répondront à ces petites annonces ou petits tracts que vous avez décrits et qui ne sont rien d'autre que la description d'un délit, personne n'ignorant qu'il est impossible de payer un ouvrier - fût-il polonais - au tarif horaire que vous avez annoncé en respectant le droit du travail. Chacun doit donc se sentir responsable, même les entreprises.

Pour ma part, je suis prêt à accompagner, y compris à travers de meilleurs contrôles, la lutte contre ces dérives et cette concurrence tout à fait déloyale, mais, je le répète, je demande à chacun de prendre ses responsabilités. Je sais qu'au Sénat, vous serez unanimement favorables à cet appel à la responsabilité. Nous aurons les moyens juridiques, nous aurons les contrôles, nous aurons les sanctions, mais il faut aussi que chacun soit droit dans ses bottes !

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, et de votre action face à ce problème majeur.

Nous ne pouvons tolérer ni les conditions de travail et d'hébergement indignes réservées aux travailleurs détachés, nouvelles figures de l'esclavage moderne, ni les conséquences de cette concurrence déloyale sur la compétitivité de nos entreprises.

Je sais que la croissance et l'emploi sont une priorité pour le Gouvernement, au plan tant national qu'européen. Toutefois, cette croissance n'a de sens que si elle bénéficie à tous, ce qui implique de lutter contre le dumping social et le travail low cost.

L'Europe, en ce domaine, doit faire plus. Ce que les Européens attendent, c'est une Europe solidaire, c'est une croissance solidaire ! Tel est le sens de votre action ; je vous en félicite et vous en remercie, monsieur le ministre.

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