Question de M. BOUTANT Michel (Charente - SOC) publiée le 27/11/2014

M. Michel Boutant attire l'attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur les dérives dichotomiques d'une profession médicale qui ne peut avoir un intérêt financier dans la prescription. Sous l'incitation des fabricants industriels, des chirurgiens-dentistes commencent à investir dans des machines de conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) en lieu et place des prothésistes dentaires, leur permettant de fabriquer pour eux-mêmes, dans leurs cabinets dentaires, les prothèses dentaires qu'ils prescrivent.
L'acquisition de tel matériel de CFAO dont les premiers prix commencent à 120 000 euros est une incitation à effectuer des actes abusifs afin de rentabiliser cet investissement. En effet il est difficile de croire qu'un tel investissement, représentant à lui seul le coût global d'un cabinet dentaire classique (matériels et agencements), puisse n'être utilisé que pour moins d'une dizaine de cas par mois. En outre, aucune des études réalisées ne permet d'affirmer que la CFAO en cabinet dentaire puisse faire baisser le prix des prothèses dentaires payées par les patients.

Le chirurgien-dentiste ne peut opposer le titre de prothésiste dentaire, ne disposant pas d'un diplôme nécessaire à l'exercice de cette profession. Il lui demande comment on peut autoriser à fabriquer pour soi-même un dispositif médical sur mesure que l'on se prescrit, et le facturer à son propre patient sans faire acte de commerce. Il lui demande comment on peut concilier dans ce cas l'obligation de résultat du prothésiste dentaire, alors que les chirurgiens-dentistes n'ont, selon la jurisprudence, qu'une obligation de moyens.

En outre l'acquisition de telles machines à usage commercial créera à terme la disparition d'emplois et la fermeture de nombreux laboratoires de prothèses dentaires, déjà touchés par plus de 30 % d'importations de prothèses dentaires hors Union européenne, dont les seuls bénéficiaires sont déjà les cabinets dentaires.

L'association « Perspectives dentaires » demande le strict respect du code de déontologie des chirurgiens-dentistes et le rappel de ses limites. L'association propose donc l'interdiction pour les cabinets dentaires de pratiquer la fabrication de prothèses dentaires, pour les raisons évoquées ci-dessus.

Il lui demande donc si le Gouvernement envisage de se pencher sur ces pratiques et de trouver des solutions pérennes aux difficultés qu'elles soulèvent.

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Réponse du Ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes publiée le 06/08/2015

Le code de déontologie des chirurgiens-dentistes ne comporte aucune interdiction relative à la fabrication de prothèses dentaires. Le chirurgien-dentiste a donc le droit de fabriquer ses prothèses dentaires, mais deux obligations s'imposent à lui pour la fabrication de celles-ci. La première est relative à la sécurité des produits. Les prothèses dentaires sont des dispositifs médicaux soumis à des normes de traçabilité. Aussi, lorsque le chirurgien-dentiste recourt à un procédé de CFAO et/ou qu'il possède son propre laboratoire de prothèse, il est considéré comme fabricant au titre de la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux. Dès lors, il doit satisfaire à toutes les obligations liées à cette qualité et se déclarer en tant que fabricant de dispositifs médicaux auprès de l'agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM). Le chirurgien-dentiste doit alors établir une déclaration de conformité. Par son statut de fabricant, le praticien qui recourt à un procédé de CFAO et/ou qui possède son propre laboratoire de prothèse doit, pour chaque prothèse fabriquée, établir lui-même une déclaration de conformité de la prothèse dentaire. À l'issue de l'acte prothétique, le chirurgien-dentiste remet au patient la déclaration de conformité du dispositif médical. Cette déclaration doit également être ajoutée au dossier médical et tenue à la disposition du patient et du directeur général de l'ANSM par le praticien, pendant au moins cinq ans. Tout praticien recourant à un dispositif de CFAO et/ou qui possède son propre laboratoire de prothèse encourt jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende s'il n'établit pas une déclaration de conformité de son dispositif médical. La seconde obligation du chirurgien-dentiste est relative à la transparence des devis, il doit garantir la lisibilité des coûts facturés au titre de la fabrication de la prothèse dentaire. L'avenant n° 2 à la convention des chirurgiens-dentistes met en place un devis type. La convention précise que : « avant l'élaboration d'un traitement pouvant faire l'objet d'une entente directe sur les honoraires, le chirurgien-dentiste doit remettre à l'assuré un devis descriptif écrit, établi conformément à l'article L. 1111-3 du code de la santé publique ». Le devis remis au patient doit comporter le prix de vente du dispositif médical sur mesure (qui comprend l'achat du dispositif médical au fournisseur, majoré d'une partie des charges de structure du cabinet dentaire), le montant des prestations de soins, et enfin les charges de structure du cabinet, autres que celles déjà affectées au prix de vente du dispositif. Ces règles sont adaptées aux prothèses fabriquées par CFAO. Le coût du dispositif médical sur mesure est alors calculé en incluant le coût d'achat des matériaux relatifs à la fabrication, les salaires et charges sociales des personnes affectées à la fabrication, et une partie des charges générales du professionnel. Enfin, il convient de noter que le chirurgien-dentiste qui fabrique des prothèses dentaires est soumis à une obligation de moyen et de résultat : sa responsabilité peut être engagée par le patient, y compris au titre de la conception prothétique qu'il a prescrite. Une jurisprudence établie par la Cour de cassation en 1985 précise que le chirurgien-dentiste, en tant que fournisseur d'une prothèse dentaire, doit délivrer un appareil apte à rendre le service que le patient peut légitimement en attendre, c'est-à-dire un appareil sans défaut (Civ. 1re, 19oct. 1985). Elle est expressément qualifiée de résultat par la Cour de cassation (Civ. 1re, 23 novembre 2004) : « le chirurgien-dentiste est, en vertu du contrat le liant à son patient, tenu de lui fournir un appareillage apte à rendre le service qu'il peut légitimement en attendre, une telle obligation incluant la conception et la confection de cet appareillage, étant de résultat. » Cette obligation inclut la conception et la confection de l'appareillage (Civ.1ère, 9 décembre 2010).

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