Question de M. MÉZARD Jacques (Cantal - RDSE) publiée le 07/05/2015

M. Jacques Mézard attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la politique du Gouvernement concernant la lutte contre les dérives sectaires et, notamment, sur les moyens mis à disposition de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Alors que les dérives de mouvements islamistes rappellent clairement certaines méthodes de groupements et groupuscules coutumiers de dérives à caractère sectaire, en particulier sur internet, alors qu'en matière de santé publique la multiplication de méthodes charlatanesques, par la prolifération de milliers de pseudo-thérapeutes, provoquent de nombreux drames, il apparaît que le Gouvernement - concerné directement, tant au niveau des ministères de l'intérieur, de la justice, de la santé publique que de l'éducation - ne donne pas à la Miviludes les moyens nécessaires à la poursuite et au développement de sa mission, n'assimilant manifestement pas l'islamisation radicale à une dérive sectaire, bien que l'emprise mentale caractérise l'embrigadement de nombreux jeunes. Il est symptomatique de constater la non-utilisation du délit d'abus de faiblesse mis en place par la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales dite « About-Picard ». Par ailleurs, il semble que le groupe d'appui technique (GAT) sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique serait supprimé par le Gouvernement, ce qui serait catastrophique au niveau de la santé publique, en contradiction totale avec les conclusions du rapport sénatorial (n° 480. 2012-2013) : « Dérives thérapeutiques et dérives sectaires : la santé en danger » en date du 3 avril 2013. Il lui demande donc de préciser les intentions du Gouvernement quant à l'avenir de la Miviludes, du GAT, ainsi que sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique et, plus généralement, quant à la politique sur les dérives sectaires, la lutte contre l'utilisation de l'emprise mentale et l'abus de faiblesse.




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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger publiée le 24/06/2015

Réponse apportée en séance publique le 23/06/2015

M. Jacques Mézard. Monsieur le secrétaire d'État, ma question concerne la lutte contre les dérives sectaires, notamment les moyens mis à la disposition de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la MIVILUDES.

Aujourd'hui, les pratiques des mouvements islamistes rappellent clairement certaines méthodes des groupements et groupuscules coutumiers de dérives à caractère sectaire, en particulier en ce qui concerne leur utilisation d'internet. De même, en matière de santé publique, la multiplication de méthodes charlatanesques et la prolifération de milliers de pseudo-thérapeutes provoquent de très nombreux drames chaque année.

Quelle est la position du Gouvernement ? Cette question concerne directement le ministère de l'intérieur, d'où ma question à M. Bernard Cazeneuve, mais aussi le ministère de la justice, le ministère de la santé et le ministère de l'éducation. Le Gouvernement donne-t-il aujourd'hui des moyens suffisants à la MIVILUDES et à d'autres organismes pour mener et développer ses missions ?

En effet, j'ai l'impression que le Gouvernement n'assimile pas l'islamisation radicale à une dérive sectaire, alors que l'emprise mentale caractérise l'embrigadement de nombreux mineurs. Tel est le fond de ma question, qui mérite un vrai débat : c'est bien l'utilisation de l'emprise mentale qui provoque le départ de centaines de jeunes Français en Syrie ou ailleurs.

Premièrement, il est symptomatique de constater la non-utilisation du délit d'abus de faiblesse mis en place par la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, la loi dite« About-Picard », qui, de fait, n'est quasiment pas appliquée.

Deuxièmement, il semble que le groupe d'appui technique, le GAT, sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique pourrait être supprimé par le Gouvernement. Or ce serait catastrophique pour la santé publique et en contradiction totale avec les conclusions rendues en 2013 par la commission d'enquête sur les dérives thérapeutiques et les dérives sectaires, dont j'étais le rapporteur.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous demande donc de préciser les intentions du Gouvernement quant à l'avenir de la MIVILUDES, mais aussi du GAT, ainsi que ses intentions concernant les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique.

Plus généralement, quelle est la politique du Gouvernement à l'égard des dérives sectaires et de la lutte contre l'utilisation de l'emprise mentale, ainsi que de l'abus de faiblesse, dont nous voyons malheureusement les effets avec l'islamisation radicale ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Matthias Fekl,secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d'abord de bien vouloir excuser l'absence du ministre de l'intérieur, M. Bernard Cazeneuve.

Monsieur Mézard, vous posez une question fondamentale. Le phénomène qui conduit certains de nos jeunes à la radicalisation violente est le résultat d'un processus complexe, qui fait intervenir plusieurs facteurs, variant d'un individu à l'autre.

Des profils de personnes vulnérables peuvent être identifiés, à chacun desquels correspond une forme de propagande djihadiste particulière : il peut s'agir, par exemple, de jeunes femmes animées par une vocation de solidarité à qui la propagande promet un engagement humanitaire auprès des populations syriennes, ou encore de jeunes désœuvrés ou en situation d'échec scolaire ou professionnel qui désirent se mettre en valeur, ou encore de petits délinquants qui ont été approchés par des recruteurs lors d'un séjour en prison.

L'emprise mentale est alors proche de celle qui est pratiquée par les organisations sectaires, comme vous l'avez souligné. C'est l'un des leviers actionnés par les recruteurs pour cibler certains profils. C'est la raison pour laquelle la MIVILUDES est étroitement associée au dispositif de prévention de la radicalisation piloté par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance, le SG-CIPD.

La MIVILUDES participe ainsi aux actions de formation qui ont été mises en place à destination des agents de l'État et des partenaires. Ces actions ont permis de sensibiliser plus de 2 500 personnes depuis une année, afin de leur apprendre à détecter, sur le terrain, les situations inquiétantes et à les prendre en charge.

La MIVILUDES intervient également dans les formations proposées aux élèves de l'École nationale de la magistrature, de l'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse et des écoles de police et de gendarmerie.

Parallèlement, elle est chargée d'identifier et de mobiliser des réseaux de psychologues et de psychiatres susceptibles de prendre en charge localement des situations individuelles. Ces réseaux locaux sont particulièrement précieux depuis la mise en place récente de l'équipe mobile d'intervention, qui intervient ponctuellement, à la demande des préfets, pour« désendoctriner » des individus. À l'issue des séances assurées par l'équipe mobile, le relai de la prise en charge psychologique auprès d'eux est assuré par ces réseaux de professionnels de la santé mentale mobilisés par la MIVILUDES.

Vous évoquez, monsieur le sénateur, le manque de moyens donnés à la MIVILUDES pour accomplir ses missions. Interrogée récemment sur le sujet, cette instance a fait savoir qu'elle dispose de moyens suffisants.

Son budget, qui s'élevait à 110 000 euros en 2014, n'est mobilisé que pour des dépenses ponctuelles, telles que des frais de déplacement, les dépenses structurelles étant quant à elles prises en charge par les services du Premier ministre, qui assurent le financement des frais de fonctionnement comme les bureaux, le matériel et les abonnements informatiques et téléphoniques, ou par les ministères partenaires que vous avez cités, à savoir l'intérieur, la justice, l'éducation nationale et la santé, qui mettent à disposition des ressources humaines.

S'agissant enfin du groupe d'appui technique, le GAT, sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, sa réunion la plus récente s'est tenue le lundi 15 juin dernier, sous l'égide de la direction générale de la santé.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. À vous entendre, monsieur le secrétaire d'État, il semble que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes : la politique de lutte contre les dérives à caractère sectaire serait parfaite et la MIVILUDES disposerait de tous les moyens nécessaires à son action... Permettez-moi de trouver cette vision quelque peu irénique !

De fait, un certain nombre d'informations qui nous sont communiquées nous conduisent à conclure qu'il est nécessaire de renforcer les moyens, notamment humains, accordés à la police et à la magistrature, en même temps que de mener une politique plus claire en matière de lutte contre les emprises mentales, qui sont au cœur des méthodes à caractère sectaire employées par les réseaux djihadistes, en particulier sur internet. Au reste, ces méthodes ont été parfaitement décrites.

Enfin, je le répète, il importe de tirer parti dans la politique pénale du délit d'abus de faiblesse, sans quoi nous avancerons beaucoup moins vite que ce qui est possible. À cet égard, monsieur le secrétaire d'État, il n'est pas besoin de grands moyens ; il faut, en revanche, de la volonté, ce qui est parfois plus difficile !

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