Question de M. BAILLY Gérard (Jura - Les Républicains) publiée le 30/07/2015

M. Gérard Bailly appelle l'attention de Mme la secrétaire d'État, auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire sur les accords conclus entre les grandes et moyennes surfaces (GMS), soit Auchan et Système U, d'une part, et Casino et Intermarché, d'autre part, quatre centrales d'achats qui totalisent l'achat de plus de 90 % des productions alimentaires de notre pays. L'on doit y ajouter l'alliance annoncée le 5 juin 2015 entre le groupe Leclerc - 45,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2014 - et le géant allemand de la distribution Rewe, qui a lui réalisé un chiffre d'affaires de 51 milliards d'euros en 2014. Ces accords semblent ne pas être refusés par l'Autorité de la concurrence.

Pourtant dans le même temps, cette dernière inflige une amende de 15,2 millions d'euros à vingt-et-un abatteurs de volailles pour entente. Il lui demande d'abord s'il n'y a pas deux poids, deux mesures, d'autant que cette condamnation fait suite à deux autres : une dans le secteur laitier en mars 2015, avec des fabricants de yaourts condamnés à 195 millions d'amende, et une autre, en 2012, dans le secteur de la meunerie à une amende de 242 millions.

Il s'inquiète de savoir s'il est possible de persister dans une telle voie, laquelle conduit indubitablement les entreprises de transformation de l'agro-alimentaire à fermer leurs portes, alors même qu'elles ont déjà perdu 44 000 emplois en dix ans. Car ce sont les très fortes pressions exercées par les GMS, lors des négociations commerciales sur les prix, sur les entreprises de transformation, lesquelles redoutent de se voir déréférencées, qui entraînent une perte de volumes et de grosses difficultés pour les entreprises de transformation. Or avec seulement quatre centrales d'achats, ce phénomène va s'accentuer. Cette très forte pression à la baisse des prix est d'autant plus inquiétante qu'elle a des répercussions en cascade sur toute la chaîne de production alimentaire puisque, faisant suite à une telle pression sur leurs prix, les transformateurs font, à leur tour, pression sur les producteurs. Il en résulte un fort malaise dans tous les maillons des élevages qui sont déjà confrontés à d'importantes difficultés.

C'est pourquoi il souhaite connaître l'avis des pouvoirs publics sur les regroupements d'Auchan et Système U et de Casino et Intermarché. Plus précisément, il veut savoir si ces accords ont fait l'objet de contestation ou de refus, et à défaut, il aimerait comprendre pourquoi l'Autorité de la concurrence fait preuve de tant de sévérité envers les secteurs de transformation agroalimentaire comme ceux de la volaille, du lait, de la meunerie et de si peu envers le regroupement des GMS, alors même que les volumes en cause dans les ententes entre les transformateurs sont infiniment moindres que ceux des GMS regroupées.
De plus, il la remercie de lui faire connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre contre cette course aux prix bas, laquelle fragilise les entreprises de transformations alimentaires et les producteurs avec des conséquences graves pour l'emploi et la sécurité alimentaire de notre pays.

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Transmise au Ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique


Réponse du Ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique publiée le 05/05/2016

Dans le contexte de guerre des prix que se livrent les principales enseignes de la grande distribution depuis le début de l'année 2013, plusieurs rapprochements à l'achat entre enseignes françaises ont été annoncés et opérés depuis la rentrée 2014. Les rapprochements à l'achat opérés entre Auchan et Système U, Carrefour et Cora, Intermarché et Casino représentent respectivement 21,6 %, 25,1 % et 25,9 % de parts de marché. En octobre 2014, le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, ainsi que la commission des affaires économiques du Sénat, ont saisi l'Autorité de la concurrence afin qu'elle mesure l'impact sur la concurrence de la concentration des centrales d'achat de la grande distribution et ses conséquences éventuelles pour les fournisseurs en matière d'accès au consommateur final. L'Autorité de la concurrence a rendu un avis sur les deux saisines le 1er avril 2015 (avis n°  15-A-06 du 31 mars 2015 relatif au rapprochement des centrales d'achat et de référencement dans la grande distribution). L'Autorité de la concurrence a souligné que si ce type d'accord peut conduire à des effets pro-concurrentiels notamment sur les niveaux de prix des produits de grande consommation achetés par les consommateurs, il présente plusieurs risques concurrentiels sur les marchés aval (distributeurs) : la symétrie des conditions d'achat qui peut entraîner une homogénéisation des prix d'achat favorisant une entente de prix sur le marché de détail, et amont (fournisseurs) : des risques de limitation de l'offre, une réduction de la qualité ou de l'incitation de certains fournisseurs à innover ou investir du fait de la pression sur les marges des fournisseurs. L'Autorité de la concurrence a formulé plusieurs recommandations. Elle invitait les distributeurs à prendre des précautions quant à la sélection des fournisseurs concernés par le périmètre des accords, en s'appuyant sur des critères de sélection objectifs et non discriminatoires compte tenu des incidences que leur choix pourrait avoir sur le marché de l'approvisionnement. D'autres propositions ont été intégrées dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, comme l'accroissement de la mobilité des magasins pour maintenir la concurrence inter-enseignes, ou l'instauration d'une obligation légale d'information préalable sur tout nouvel accord de rapprochement. Les pratiques mises en œuvre par les enseignes de la grande distribution pour obtenir des réductions de prix de la part de leurs fournisseurs, relèvent essentiellement du champ d'action de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au titre des règles relatives aux droits des pratiques restrictives de concurrence, puisqu'elles concernent la relation bilatérale entre deux contractants. Ce n'est que lorsqu'elles sont susceptibles de compromettre le bon fonctionnement ou la structure de la concurrence, qu'elles peuvent être appréhendées par l'Autorité de la concurrence au titre de l'article L. 420-2 alinéa 2, comme le furent les pratiques des secteurs de la volaille, du lait et de la meunerie, condamnés par l'Autorité de la concurrence pour entente. Les conséquences éventuelles des rapprochements entre enseignes sur leurs relations contractuelles avec les fournisseurs sont attentivement surveillées par les services de la DGCCRF. Chaque année à l'issue de la période des négociations commerciales, une enquête nationale porte sur les relations entre les principales enseignes de la grande distribution à dominante alimentaire et leurs fournisseurs. L'objectif de cette enquête consiste à examiner les clauses contractuelles et pratiques commerciales issues des accords. Cette année, compte tenu du contexte particulier dans lequel se déroulent les négociations commerciales, des contrôles ont été réalisés avant l'achèvement de ces négociations. Les pratiques abusives constatées feront l'objet de suites appropriées, telles que, par exemple, des assignations portées devant les juridictions commerciales compétentes. En effet, sur le fondement de l'article L. 442-6 III du code de commerce, le ministre chargé de l'économie peut assigner l'auteur présumé de pratiques commerciales abusives pour demander au juge la cessation des pratiques, la condamnation à une amende civile ou la répétition de l'indu. Ce dispositif a encore récemment été mis en œuvre par la DGCCRF au nom du ministre de l'économie à l'encontre de deux enseignes de la grande distribution qui ont, au cours de l'année 2014, demandé à leurs fournisseurs des avantages financiers, non prévus au contrat, leur permettant de maintenir leurs marges. L'article 34 de la loi n°  2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques permettra au juge de porter le plafond de l'amende à 5 % du chiffre d'affaires hors taxes de l'entreprise afin de prendre en compte la puissance économique réelle de l'entreprise à l'origine des pratiques illicites. Le plafond de 2 M€ sera conservé afin d'appréhender l'ensemble des entreprises susceptibles de ne pas respecter le droit de la concurrence, notamment les entreprises qui grâce à leur forme juridique, ont un chiffre d'affaires très modeste ne reflétant pas leur puissance économique réelle. En outre, depuis l'entrée en vigueur de la loi n°  2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, les services de la DGCCRF peuvent enjoindre à tout professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer à ses obligations, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite, et peuvent aussi prononcer des amendes administratives sanctionnant les manquements constatés. Un comité de suivi des négociations commerciales, piloté par la DGCCRF, s'est réuni plusieurs fois, en 2014 et 2015. L'objectif de ce comité est d'être un lieu de dialogue entre les différents acteurs de la distribution (fournisseurs et distributeurs) et d'identification des bonnes et mauvaises pratiques, dans le contexte des rapprochements entre enseignes et de l'application du nouveau dispositif juridique, issu de la loi relative à la consommation, encadrant les négociations commerciales.

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